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«Ce qui est clair, c’est que rien n’est clair»

Le Glacier Express monte vers le Col de l’Oberalp, en Suisse centrale. Tout le monde n’a pas la même notion de ce qu’est un paysage préservé. swiss-image

La question des résidences secondaires n’est pas une simple question juridique. Il faut aussi tenir compte des lois économiques et des comportements des propriétaires, des hôtes et des milieux du tourisme. Le plaidoyer d’un économiste de St-Gall.

Pendant la campagne précédant la votation sur les résidences secondaires, on s’est battu autour des questions du bétonnage et de la protection du paysage. Maintenant que l’initiative de Franz Weber a été acceptée, on se bat pour les dispositions transitoires et les directives.

Mais on n’a guère débattu de ce qu’enseignent l’expérience et l’étude du comportement humain et économique des acteurs du tourisme. Et on n’en parle toujours pas, comme le souligne l’économiste Christian Laesser, professeur de management du tourisme et des services à l’Université de St-Gall.

Il n’est pas évident par exemple de gérer un tourisme de masse dans des régions où la haute saison est aussi courte. Et la protection du paysage ne signifie pas la même chose pour les touristes étrangers que pour les gens qui vivent et qui votent sur place.

Sans oublier la règle qui veut que plus un propriétaire habite près de son logement de vacances, moins il est enclin à le louer à des tiers. Ce qui différencie la Suisse des pays méditerranéens.

De tout ceci, il faudra tenir compte lors de la mise en œuvre de l’initiative, plaide Christian Laesser. Car si l’on n’intègre pas ces données dans le futur cadre légal, l’initiative de Franz Weber risque de se trouver déchirée entre nécessité et réalité, tout comme l’initiative des Alpes, un article constitutionnel adopté en 1994 et resté lettre morte.

Et pour l’instant, constate l’expert, il manque toujours une définition concrète de ce qu’est une résidence secondaire. La seule chose claire aujourd’hui, c’est donc que rien n’est clair…

Obligation de louer

Pour Christian Laesser, la question centrale que les responsables des stations de vacances devraient se poser est «combien de logements voulons-nous mettre à disposition de nos hôtes pendant la haute saison?». Et peu importe si ces lits sont des lits d’hôtel, de studios ou d’appartements.

Et la question doit s’appliquer uniquement aux périodes où la station est la plus fréquentée, car durant les entre-saisons, la demande est obligatoirement moins forte.

Une précision dont les juristes ne tiennent pas forcément compte. «A St-Moritz par exemple, vous pourriez tout aussi bien avoir 100’000 logements vides de plus à la basse saison, parce que vous seriez sûr de les remplir au plus fort de l’hiver», constate le professeur.

Ces fameux «lits froids», comme on l’entend souvent, pourraient se réchauffer si on obligeait les propriétaires à les louer. Mais une telle obligation n’aurait guère de sens durant la majeure partie de l’année, puisque en dehors de la haute saison, la demande n’est simplement pas suffisante.

C’est quoi au juste un paysage intact?

Durant la campagne sur l’initiative, on a beaucoup parlé de paysage et de mitage du territoire. Mais Christian Laesser tient à relativiser ces notions, qui ne veulent pas dire la même chose pour tous.

«La côte sud de l’Espagne a été systématiquement bétonnée depuis des décennies, mais cela ne l’empêche pas de rester relativement attractive pour des masses d’estivants. Là-bas, le problème n’est pas le mitage, mais le fait que les Britanniques ne viennent plus à cause de la faiblesse de la livre – comme chez nous d’ailleurs».

Dans une pure perspective touristique, le degré de dégradation du paysage devrait toujours être considéré en fonction du segment de clientèle que l’on veut attirer.

Les beaux paysages séduisent avant tout les touristes des villes. Dans les sondages que Suisse Tourisme effectue depuis des années, ils disent effectivement tous vouloir des paysages vierges, «même si ces citadins ne pourraient pas survivre dans une nature sauvage», fait ironiquement remarquer Christian Laesser.

C’est pourquoi il y a lieu de relativiser le fait que les touristes d’outre-mer veulent avant tout des paysages préservés. «Regardez à quoi ressemble une mégapole asiatique. Nos clients chinois ne viennent pas des rizières, ce sont des citadins ayant un certain pouvoir d’achat. Et ils comparent le degré de pureté d’un paysage de montagne suisse par exemple avec les conditions dans le delta du Fleuve Jaune, où s’entassent des dizaines de millions d’habitants».

«Lex Weber» contre Lex Koller?

Le professeur souligne aussi la différence entre la Suisse et les pays méditerranéens s’agissant d’incitations à louer des logements de vacances. «Sur la Méditerranée, on est content lorsque le propriétaire est étranger et habite loin. Mais en Suisse, la Lex Koller interdit souvent de vendre à des étrangers».

Laquelle loi a des conséquences involontaires sur les locations. L’expérience montre en effet que plus un propriétaire d’appartement de vacances a sa résidence principale près de cet appartement, plus il a tendance à le laisser vide, parce que la possibilité de l’avoir à disposition en tout temps a plus de valeur à ses yeux que les revenus qu’il pourrait tirer de sa location. Et ceci est particulièrement courant en Suisse, où de nombreux indigènes possèdent des logements de vacances.

Les choses sont très différentes dans les pays méditerranéens. Comme on y craint moins de «vendre la patrie» et qu’il existe des modèles alternatifs comme le «time sharing», les logements de vacances sont souvent aux mains d’étrangers, principalement de l’Union européenne. Et ceux-ci habitent trop loin pour venir passer un week-end à la mer sur un coup de tête. En conséquence, il y a plus de locations.

Professeur de management du tourisme et des services à l’Université de Saint-Gall. Directeur du Centre de recherche sur le tourisme et la circulation. Il s’occupe en particulier des comportements dans l’industrie des services, le tourisme et les transports.

Il est en outre membre du groupe de travail créé à mi-mars par les autorités fédérales afin de définir d’ici l’été ce qu’il faut comprendre par «résidence secondaire».

Le 11 mars 2012, 50,6% des citoyens suisses et une courte majorité des cantons ont approuvé l’initiative «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires», lancée en 2007 par Franz Weber.

Chaque commune devra introduire un maximum de 20% de résidences secondaires par rapport au total du parc immobilier existant. Dans certaines stations, les résidences secondaires dépassent déjà 80% des habitations existantes.

Dans un cinquième des communes suisses, aucun nouveau projet de construction ne pourra plus être accepté. La mise en œuvre de l’initiative soulève toutefois encore beaucoup de questions.

Le Parlement doit maintenant définir avec exactitude la notion de résidence secondaire à inclure dans la loi.

Actuellement, les cantons, les spécialistes de droit public et le Département des transports et de l’environnement de la ministre Doris Leuthard ont chacun leur propre interprétation.

D’ici la fin 2012, les cantons doivent encore traiter les demandes de permis de construire déposées selon l’ancien droit.

Mais Doris Leuthard estime que le nouvel article constitutionnel doit être immédiatement applicable. Pour cette année, la situation n’est pas claire, en particulier pour les communes qui ont déjà atteint en 2012 le plafond de 20% de résidences secondaires.

Les cantons de montagne exigent que la Confédération retire ses directives sur les résidences secondaires.

Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez

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