«D’autres grèves? Nous verrons…»
Avant un automne qui s’annonce chaud dans le domaine social, swissinfo évoque avec Vasco Pedrina la retraite, le marché du travail, les élections et les relations avec l’Europe.
Le président du Syndicat Industrie et Bâtiment (SIB) adopte un ton guerrier. La mythique paix du travail serait-elle en danger?
swissinfo: Que diriez-vous à ceux qui craignent pour l’avenir des assurances sociales et de l’Assurance vieillesse (AVS)?
Vasco Pedrina: C’est la campagne du ministre de l’Intérieur Pascal Couchepin qui a fait naître un sentiment d’insécurité dans la population. En semant la panique, ils espèrent faire passer leurs propositions absurdes, comme la retraite à 67 ans.
La population vieillit, c’est vrai. Mais l’augmentation du nombre de retraités pourrait être compensée par une reprise économique. Si la tendance est la même que ces trente dernières années, il n’y aura aucun problème.
Et même si cette reprise ne venait pas, il faudrait faire des coupes dans d’autres secteurs, mais certainement pas dans l’AVS. C’est inconcevable, quand on sait que la rente moyenne est de 1700 francs par mois.
En plus, les salariés sont licenciés de plus en plus jeunes. Les plus âgés sont considérés comme un poids et exclus du marché du travail à 55-60 ans déjà. A partir de là, comment peut-on imaginer que quelqu’un de 66 ou 67 ans trouve un emploi?
swissinfo: Quels sont vos propositions pour assurer un avenir aux assurances sociales?
V.P.: Avant tout, il faut dire qu’il y a beaucoup de désinformation. Bon nombre pensent que les comptes de l’AVS sont dans le rouge. C’est faux! Durant ces cinquante années d’existence, l’AVS est presque toujours restée dans les chiffres noirs. Son maintien n’est qu’une question de volonté politique.
Ensuite, il faut développer une politique anticyclique pour stimuler la reprise économique. Nous demandons aussi des accords avec le patronat pour maintenir les salariés dans le monde du travail au moins jusqu’à 60 ans.
Enfin, nous devons favoriser une hausse de la population active en introduisant une politique familiale adéquate, mieux intégrer les femmes dans le monde du travail et, si nécessaire, augmenter l’immigration.
swissinfo: Pourquoi l’économie suisse, dans le cadre de l’OCDE, est-elle celle qui a le moins progressé ces dix dernières années?
V.P.: La longue crise des années nonante était due surtout à la politique monétaire restrictive de la Banque nationale.
Aujourd’hui, en politique économique, l’Etat devrait assumer un rôle anticyclique beaucoup plus actif pour soutenir la reprise.
Les néolibéraux prônent la libéralisation et la privatisation depuis quinze ans, mais la conjoncture ne s’améliore pas. Ce discours sert seulement à maintenir les salariés sous pression.
swissinfo: Quel bilan tirez-vous de l’année de Pascal Couchepin, ministre de l’Intérieur, et de celle de Joseph Deiss, ministre de l’économie?
V.P.: Nous sommes amers. En peu de temps, Pascal Couchepin a remis en cause tout ce qui avait été construit par le passé pour défendre l’Etat social. Nous sommes particulièrement préoccupés par des attaques contre des acquis sociaux comme l’AVS.
Même Joseph Deiss nous a déçus. Nous sommes en récession. Le chômage augmente (plus de 200’000 personnes sont à la recherche d’un emploi). Et le ministre ne fait rien pour relancer l’économie. Nous avons demandé un bonus à l’investissement et Joseph Deiss l’a refusé au nom de la logique néolibérale.
swissinfo: Vous avez souvent dû vous battre contre des restructurations ou des libéralisations soutenues par les socialistes (La Poste, le marché de l’électricité, etc.)… Alors que les élections approchent, les socialistes du Palais fédéral ont-ils une raison d’être pour votre mouvement?
V.P.: Nous pratiquons une politique autonome pour défendre les intérêts des travailleurs.
Souvent, nous sommes soutenus par l’aile progressiste, par exemple dans le domaine de la sécurité sociale, des caisses maladie ou de la politique économique.
Mais, c’est vrai, nous ne sommes pas toujours d’accord avec les socialistes, surtout avec les chefs de département ou ceux qui dirigent les entreprises publiques.
Si nécessaire, nous nous battons aussi contre eux. Notre critère est l’intérêt de ceux que nous représentons.
swissinfo: Que pensez-vous de l’élargissement de l’accord sur la libre circulation des personnes aux nouveaux membres de l’Union européenne ?
V.P.: Nous y sommes favorables. Mais nous exigeons que les personnes qui viennent de ces pays-là pour travailler ici obtiennent les mêmes salaires que les Suisses.
Par exemple: en Pologne, le salaire moyen dans l’industrie est sept fois plus bas que chez nous. Imaginez ce qui arriverait si l’on exportait ces conditions de travail!
Donc oui à l’ouverture… mais à certaines conditions. Nous ne voulons pas d’une pression sur les salaires et la sécurité sociale.
swissinfo: Comment évaluez-vous vos rapports actuels avec le patronat?
V.P.: Dans une situation de crise économique et de dégénérations ‘à l’Américaine’, le climat n’est pas idéal. Les rapports se sont tendus, mais cela varie d’un secteur à l’autre.
Aujourd’hui, une nouvelle génération, marquée par l’idéologie néolibérale et des méthodes brutales, arrive à la tête des entreprises. La vieille génération de patrons ‘paternalistes’, avec un sens de la responsabilité sociale, est en train de disparaître.
Les nouveaux managers ont un comportement qui va à l’encontre du partenariat social. Les conflits et les grèves augmentent à cause du durcissement du front patronal.
La paix sociale est un facteur positif pour l’économie elle-même, mais on ne l’obtient pas gratuitement.
swissinfo: Le 4 novembre dernier, une grève nationale avait permis d’obtenir un accord sur la retraite anticipée dans le secteur de la construction. Prévoyez-vous d’autres actions de ce type?
V.P.: Nous avons déjà commencé le 20 septembre en organisant la plus grande manifestation syndicale de ces dernières décennies. Si les autorités ne revoient pas leur politique pour les assurances sociales, nous poursuivrons nos actions.
Un renforcement de nos méthodes de lutte est aussi envisageable. Nous déciderons le moment venu et en fonction de la disponibilité des salariés.
Mais nous avons déjà démontré que non seulement nous pouvons lancer des menaces de grève, mais nous parvenons aussi à les réaliser avec succès.
Interview swissinfo: Marzio Pescia
(Traduction: Alexandra Richard)
– Les comptes de l’AVS ne sont pas dans le rouge. Son maintien n’est qu’une question de volonté politique.
– L’Etat doit assumer un rôle anticyclique beaucoup plus actif pour soutenir la reprise.
– Signer des accords avec le patronat pour maintenir les salariés dans le monde du travail au moins jusqu’à 60 ans.
– Introduire une politique familiale adéquate, mieux intégrer les femmes dans le monde du travail et augmenter l’immigration.
– Si les autorités ne revoient pas leur politique pour les assurances sociales, les syndicats poursuivront leurs actions. Les grèves ne sont pas exclues.
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