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Des sourires qui masquent des zones d’ombre

Un accès aux coffres quelque peu facilité... Keystone

L'Europe accueille positivement l'annonce suisse de se conformer aux standards de l'OCDE dans le cadre de la coopération internationale contre les délits fiscaux. Malgré cela, vu de Bruxelles, tout n'est pas encore tout à fait clair.

Certains doivent s’arracher les cheveux, au sein de l’administration fédérale suisse, en se demandant: tout ça pour ça? Dans le cadre du deuxième cycle de négociations bilatérales, les diplomates helvétiques avaient ferraillé pendant de longs mois avec l’Union européenne afin de s’assurer que l’application du fameux article 51 de l’accord instituant l’espace Schengen, sur l’entraide judiciaire et administrative, ne contraindrait pas Berne à écorner le secret bancaire.

«Et puis, hop!», relève-t-on: quelques semaines à peine après qu’eut éclaté le scandale UBS et que la pression internationale fut redevenue (très) forte, le gouvernement a fait d’importantes concessions, vendredi. Le Luxembourg et l’Autriche également.

Approbation générale

Le président français, Nicolas Sakozy, s’en est évidemment félicité: «Je me réjouis de cette décision, qui est une décision sage (…). Cela prouve que la fermeté et le volontarisme dont nous avons fait preuve, avec Mme Merkel, porte ses fruits.»

Sans doute la France crie-t-elle un peu trop rapidement victoire, car la Suisse, le Luxembourg et l’Autriche exigeront sans aucun doute d’insérer une «clause grand-père» (grandfathering clause), qui interdira la divulgation de renseignements sur des comptes bancaires ouverts avant une certaine date, dans les conventions fiscales bilatérales qu’ils vont (re)négocier avec leurs partenaires.

«La Suisse a fait des concessions importantes, mais elle n’affaiblissent pas en soi l’institution du secret bancaire. Elles obligent uniquement Berne à remodeler ses modalités d’entraide», confirme l’avocat suisse Jean Russotto, un grand spécialiste des relations entre la Confédération et l’Union.

Cela n’a pas empêché la Commission européenne d’afficher elle aussi sa satisfaction, vendredi. «Tout geste vers la transparence fiscale est quelque chose de positif dont nous ne pouvons que nous réjouir», a commenté Maria Assimakopulou, la porte-parole du commissaire européen à la fiscalité, Laszlo Kovacs. «Ca fait des années que la Commission essaie d’obtenir une véritable gouvernance fiscale. Nous espérons que tout le monde va aller dans la même direction, maintenant.»

Même son de cloche du côté du secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Angel Gurria, qui avait discrètement reçu jeudi une délégation commune du Luxembourg, de l’Autriche et de la Suisse: «Les initiatives prises par un certain nombre de places financières au cours des dernières semaines ont donné une impulsion bienvenue aux efforts entrepris pour promouvoir la transparence et l’échange de renseignements fiscaux », souligne-t-il dans un communiqué.

«Si beaucoup de juridictions maintiennent encore des dispositions qui les empêchent d’aider les autorités étrangères dans les enquêtes fiscales, les mesures et déclarations récentes de certaines d’entre elles, en accord avec les normes de l’OCDE en la matière, montrent que de réels progrès sont en train de s’accomplir.»

Zones d’ombre

A Paris, a-t-on appris, le Luxembourg, l’Autriche et la Suisse ont obtenu l’assurance que les «standards» de l’OCDE qu’ils se sont engagés à respecter ne permettent pas de «fishing expedition»: un Etat requérant ne pourra jamais leur demander de recevoir des informations sur les comptes bancaires d’un grand nombre de ses contribuables s’il ne dispose pas d’indices probants d’évasion fiscale contre eux.

A Bruxelles, en revanche, la décision du Conseil fédéral risque de plonger le Luxembourg et l’Autriche dans l’embarras, en raison de certaines dispositions de la réglementation européenne sur la fiscalité de l’épargne. «Ils sont embêtés», confirme un expert.

L’article 10 de la directive (loi) que l’Union européenne a adoptée en la matière en 2003 stipule en effet que les deux pays devront supprimer définitivement leur secret bancaire dès que deux conditions seront remplies: l’entrée en vigueur d’accords entre l’Union d’une part, la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Saint-Marin et Monaco d’autre part, sur l’application par ces cinq pays des normes de l’OCDE et l’authentification d’un engagement des Etats-Unis à échanger eux aussi des informations fiscales sur demande.

Dans les deux cas, toutefois, les Vingt-Sept devront prendre des décisions à l’unanimité, ce qui permettra au moins à Luxembourg et Vienne de gagner du temps. Le temps pour eux, sans doute, d’exiger une renégociation en profondeur de la législation européenne sur la fiscalité de l’épargne et sur l’assistance mutuelle, dont, relève un diplomate, «on formerait un joli paquet avec de beaux garde-fous».

swissinfo, Tanguy Verhoosel à Bruxelles

Lors d’une conférence de presse à Berne, le ministre des finances Hans-Rudolf Merz a annoncé que Le Conseil fédéral veut reprendre les standards de l’OCDE dans le cadre de la coopération internationale contre les délits fiscaux. La Suisse pourra ainsi développer les échanges de renseignements, au cas par cas, en réponse aux demandes concrètes et fondées d’autres pays.

Il a néanmoins souligné que le gouvernement tient à maintenir le secret bancaire et rejette fermement l’échange automatique d’informations. La protection de la sphère privée des clients contre la consultation injustifiée d’informations sur leur situation patrimoniale est toujours garantie.

La décision de reprendre les standards de l’OCDE relatifs à l’assistance administrative en matière fiscale ne changent rien pour les contribuables résidant en Suisse. La distinction entre l’évasion et la fraude reste valable en Suisse, a expliqué le ministre des finances. L’application interviendra dans le cadre des conventions bilatérales contre la double imposition, qui doivent encore être négociées.

G20. Le 2 avril à Londres, les pays riches du G20 plancheront sur la crise du système financier international et sur les paradis fiscaux.

Pressions. Aux Etats-Unis et au sein de l’UE, le secret bancaire et les pratiques liées à l’évasion fiscale de la Suisse, du Liechtenstein, de l’Autriche, du Luxembourg et de la Belgique sont attaquées.

Liste. La France a menacé de demander l’inscription de la Suisse sur une liste noire du G20. Paris et Berlin ont aussi proposé que les pays du G20 rompent les conventions bilatérales avec les pays «non coopératifs».

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