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Europe cherche gaz, non russe de préférence

Le gaz: une question critique pour le continent européen. Keystone

L'Europe n'a pas résolu la difficile équation de son approvisionnement à long terme en gaz naturel, constate le chercheur français Jean-Pierre Angelier. Sa dépendance à l'égard de la Russie existe toutefois aussi en sens inverse, nuance ce dernier. Interview.

Professeur d’économie à l’Université Pierre-Mendès-France de Grenoble et chercheur au laboratoire d’économie de la production et intégration internationale, Jean-Pierre Angelier est un grand connaisseur des marchés internationaux du pétrole et du gaz naturel. Son analyse.

swissinfo: La question du gaz est-elle une question critique pour l’Europe?

Jean-Pierre Angelier: C’est en effet une question critique. Le gaz est central dans les politiques énergétiques européennes. L’Europe est très sensible à son indépendance énergétique comme aux questions environnementales.

Le gaz s’est considérablement développé en Europe, avec un soutien politique fort, de manière à réduire la dépendance pétrolière. Il est important également parce que son utilisation produit très peu de gaz à effet de serre.

swissinfo: Comment voyez-vous l’avenir du continent en termes d’approvisionnement?

J-P.A.: Cette question est très souvent orientée sur la dépendance à l’égard de la Russie. Elle est notre principal fournisseur extérieur de gaz, comme d’énergie en général – charbon et pétrole (…).

L’Algérie est de loin notre second fournisseur en gaz. Plus loin et de moindre importance, on a l’Egypte, la Libye, le Nigeria, le Qatar, qui commence. Mais cette dépendance vis à vis de la Russie est notre gros problème.

L’Europe essaie donc de trouver de nouveaux fournisseurs. Un des projets consiste à essayer de contourner la Russie pour se fournir au Turkménistan, au Kazakhstan et en Azerbaïdjan. C’est le projet Nabucco.

Ce gazoduc de 30 milliards de m3 par an de capacité viendrait au sud de la Mer Noir. Il arriverait en Turquie, et de là, rejoindrait Bulgarie, Roumanie, Hongrie et ainsi de suite pour arriver en Pologne, en Allemagne, en Suisse.

Le problème est que les Russes lancent un projet concurrent, de même capacité, qui arriverait aussi en Turquie. Et qui rendrait totalement inutile le projet Nabucco.

Nabucco est fortement soutenu par Bruxelles. L’autre projet – South Stream – transporterait du gaz et renforcerait la dépendance de l’Union européenne.

Pour contrer le projet Nabucco, la Russie a, par exemple, fortement augmenté le prix de ses achats de gaz turkmène – le principal gaz qui devrait approvisionner Nabucco.

Sans gaz turkmène, les autres sources seraient le gaz d’Azerbaïdjan, mais en nettement plus faible quantité. Et le gaz iranien et irakien, mais au vu de la situation politique dans ces deux pays… Bref, il n’est pas sûr que ce projet Nabucco voit le jour.

swissinfo: Et la piste du gaz naturel liquéfié (GNL)?

J-P.A.: Avec l’Espagne, l’Italie, la France et la Grande-Bretagne, l’Union a déjà une forte capacité d’importation de GNL. Le problème est que les pays gaziers sont peu nombreux à se lancer dans l’exportation de GNL: Abou Dhabi et surtout Qatar pour l’Europe.

Mais le Nigeria, par exemple, a beaucoup de mal à construire ses usines. Alors que les pays consommateurs sont prêts à développer leurs capacités de regazéification (réception du GNL), les pays exportateurs sont assez réticents, parce que cela coûte cher. Globalement, les capacités d’importations de GNL sont le double des capacités d’exportations.

Il faut voir que la rente gazière est très faible par rapport à la rente pétrolière. (…) Elle est faible parce que le gaz est vendu très bon marché pour être concurrentiel par rapport au fuel et au charbon et que son transport coûte très cher. Les pays qui ont le choix choisissent donc d’investir dans le pétrole.

L’autre problème du GNL, c’est que les Etats-Unis sont également très demandeurs. Ils sont approvisionnés en gaz par le Canada, et un peu par Trinidad et Tobago sous forme de GNL. Ils aimeraient développer leurs achats de GNL, et n’en trouvent pas (…).

Autant la presse spécialisée voit dans le GNL l’avenir du gaz et de sa consommation qui va augmenter, autant, concrètement, on ne voit rien venir.

swissinfo: Faut-il alors s’inquiéter pour l’approvisionnement en gaz de l’Europe?

J-P.A.: Si Bruxelles se met à taxer les émissions de CO2, les électriciens vont passer au gaz, avec des centrales à cycle combiné. On aura donc une forte augmentation de la demande de gaz. C’est imminent.

Au niveau de l’approvisionnement, le problème est que la Mer du Nord est en train de s’épuiser. (…) Le Qatar, en outre, a gelé l’an dernier tous ses nouveaux projets d’exportation de GNL tant qu’il n’aura pas augmenté ses réserves. Ce type de signes alarmants, on les trouve dans pas mal de pays.

Prenons maintenant le point de vue des Russes. Eux aussi se sentent très dépendant de l’Union européenne. Elle est leur seul débouché.

La Chine commence à consommer du gaz, mais il est essentiellement produit sur place ou payé très bon marché à l’Indonésie. La Chine refusera de payer davantage, sachant qu’elle peut facilement le remplacer par son charbon.

Autres débouchés possibles: les Etats-Unis, mais ce sera du GNL et cela coûtera cher. Le Japon, il y en aura un petit peu à partir de Sakhaline. La Russie est donc un peu coincée, son gaz ne peut aller que vers l’Europe et les ex-républiques soviétiques.

La Russie a un énorme potentiel de développement gazier dans le nord. Le problème est que Gazprom n’a pas d’argent pour le financer. L’essentiel de la production gazière russe est consommée en Russie à un prix très bas, qui couvre à peine les coûts de Gazprom.

Pour pouvoir financer le développement de ces gisements (Yamal, Stockman, Sakhaline), Gazprom doit être rentable et dégager des excédents. L’argent, elle va le trouver dans les exportations européennes. L’interdépendance entre l’Europe et la Russie est donc très forte. De ce point de vue là, on peut ne pas être trop pessimiste.

Interview swissinfo: Pierre-François Besson

En 2006, les principaux producteurs de gaz naturel ont été la Russie (21,3%) et les Etats-Unis (18,5%). La production mondiale totale a atteint 2865 milliards de m3 (+3%).

Les pays de l’ex-Union soviétiques et du Moyen-Orient se partagent plus de 70% des réserves mondiales prouvées en 2006.

La même année, les principaux pays consommateurs ont été les Etats-Unis (22%) et la Russie (15,1%). La part de l’Union européenne s’est élevée à 16,3%. La Suisse pèse moins de 1% des besoins européens.

Les spécialistes attendent une forte augmentation de la demande ces prochaines années, en particulier dans les pays en développement.

En mars dernier à Téhéran, la ministre suisse des affaires étrangères a soutenu par sa présence la signature d’un accord d’approvisionnement gazier entre l’Iran et une société suisse – EGL (Electricité de Laufenbourg).

Micheline Calmy-Rey se trouve, depuis, sous le feu des critiques. A l’intérieur comme à l’extérieur – les Etats-Unis et certaines associations juives, notamment, l’accusent de financer ainsi le terrorisme.

La ministre a certifié à plusieurs reprises que cet accord ne contrevenait pas au droit international et qu’il vise à assurer le bien-être et la sécurité des Suisses.

Dans son édition de mercredi, le quotidien Le Temps atténue le portée stratégique de l’accord. Le quotidien souligne que le gaz iranien finira essentiellement sa course en Italie. Mais comme dans la question gazière en Europe, tout est lié…

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