Gérard Rabaey, un cuisinier de l’excellence
Gérard Rabaey a obtenu pour la quinzième année consécutive la note de 19/20 et pour la deuxième fois de sa carrière le titre de «cuisinier de l’année» du guide GaultMillau, édition Suisse 2004.
Le chef du Pont de Brent (VD) dirige son établissement depuis 23 ans.
swissinfo: Est-ce que ces nouvelles distinctions changent quelque chose dans votre quotidien?
Gérard Rabaey: Non, non. Il est sûr que je reçois plus d’appels téléphoniques. On me reconnaît dans la rue. Cela me gêne un petit peu car je suis assez discret de nature.
Mais quel plaisir aussi! J’y vois le fruit d’un travail accompli durant des années. D’un travail de tous les instants. La pression est journalière mais on est pris par la passion de ce métier.
swissinfo: Votre premier 19/20, vous l’avez obtenu en 1988. Eprouvez-vous le même plaisir, la même fierté que la première fois?
G. R.: Chaque année, j’ai peur de perdre ce 19/20. Parce qu’il peut y avoir un phénomène d’usure.
Mais en fin de compte, la première fois, c’était superbe. Et ce quinzième 19/20 constitue pour moi une motivation supplémentaire.
swissinfo: Que se passerait-il pour vous si l’année prochaine vous n’obteniez «qu’un» 18/20?
G. R.: Je ne veux même pas l’imaginer! Connaissant ma rigueur, je vais essayer de sauvegarder ce 19 le plus longtemps possible.
Mais si cela devait arriver, je me lancerais comme défi de récupérer cette note le plus rapidement possible. En me posant des questions, en revoyant certaines choses. En étant à l’écoute des gens qui m’ont noté pour réagir le plus vite possible.
Je me sens encore en mesure de tenir relativement longtemps.
swissinfo: Que faut-il pour obtenir, en plus, le titre de cuisinier de l’année?
G. R.: Je m’attendais un peu à l’obtenir en 2000 ou 2001. Finalement, cela n’a pas été le cas. D’où un peu de déception. Je l’ai finalement une année où je n’en faisais plus cas.
Ce qu’il faut faire? Je crois qu’il faut être régulier. Le journaliste ou les inspecteurs ne sont pas les seuls à venir. Le GaultMillau a aussi beaucoup d’échos de la part de la clientèle qui écrit au guide.
Pour moi, c’est un ensemble de choses, une constance, qui vous font mériter ce titre.
swissinfo: Vous remettez-vous en question?
G. R.: Tous les jours. J’anticipe beaucoup sur le lendemain. Ce principe me permet de gagner mes galons au jour le jour. Je ne vis pas du tout avec l’auréole du passé.
Nous les cuisiniers sommes des gens très anxieux. En fin de compte, on craint pour la suite. Je vais essayer d’être meilleur cette année que l’an dernier. Mais c’est un peu l’enfer, cette histoire.
swissinfo: Comment fait-on pour se renouveler?
G. R.: Je ne cherche pas à faire du nouveau à tour de bras. Un bon client vient une fois tous les ans ou tous les deux ans. Nous sommes, en quelque sorte un ‘restaurant d’occasion’.
Nous ne sommes donc pas tenus de renouveler cinq ou six plats, tous les huit jours.
swissinfo: Quand vous allez au marché, avez-vous une idée précise en tête ou vous laissez-vous guider par votre inspiration?
G. R.: Dès que je vois un produit hors du commun… il est pour moi (rires).
Ce matin par exemple, il y avait des racines de persil bulbeux. Un ancien légume, oublié, que l’on commence à revoir sur les étalages. J’ai pris les deux kilos à disposition.
J’y vois une motivation supplémentaire pour faire quelque chose de différent. Du baume au cœur pour la journée.
swissinfo: Qu’est-ce qui fait qu’un plat est réussi?
G. R.: Pour moi, c’est une harmonie entre un produit de qualité, un bon assaisonnement, et une cuisson adaptée.
Mais je ne cherche pas à marier n’importe quoi pour faire du nouveau. Il faut laisser la chance au produit. Le poisson par exemple, moins il est manipulé, mieux il est. Sinon, vous le détruisez.
A l’heure actuelle, pour l’épate, la tendance est à trop de mélanges.
swissinfo: Y a-t-il des aliments que vous ne cuisinez jamais?
G. R.: Je ne cuisine pas beaucoup les viandes de boucherie. Depuis toujours. Mais j’apprête les abats.
Avec tout ce qui s’est passé ces dernières années, les problèmes liés à la vache folle par exemple, les gens n’en consommaient plus guère. On y revient maintenant.
swissinfo: Et lesquels préférez-vous cuisiner?
G. R.: Les champignons. Les légumes. Les légumes, j’adore ça. En Suisse, on a fait de gros efforts dans ce domaine.
Vous trouvez de petits producteurs, amoureux comme nous de leur métier, qui font dans le très haut de gamme.
swissinfo: Vous arrive-t-il de tenir compte de la suggestion d’un client?
G. R.: Bien sûr. Je suis toujours à l’écoute de l’autre. Il m’arrive souvent de modifier quelque chose. Je donne toujours raison au client. Car il ne fait jamais une remarque par hasard. Et il est là pour se faire plaisir.
swissinfo: On dit que vous travaillez comme un forcené…
G. R.: Oui, c’est le cas. Vous savez, je n’ai pas eu la chance de travailler dans un grand restaurant. Je viens de la base.
Mon fil conducteur, c’est les grands cuisiniers. Les Français d’abord, puis Monsieur Girardet. Ces gens-là m’ont donné envie d’aller plus loin dans mon métier.
swissinfo: Vous êtes au sommet depuis longtemps. Mais quelle serait pour vous la consécration suprême?
G. R.: C’est de faire plaisir à mes clients tous les jours. Vous éprouvez une réelle satisfaction quand à l’issue d’un repas, les gens vous remercient avec sincérité, avec une gentillesse extrême. Je ne désire pas plus que cela.
swissinfo: Est-ce que vos enfants marchent sur vos traces?
G. R.: Malheureusement pas. C’est une grande déception. Un regret.
Vous savez, on a fait cette maison de nos propres mains. Mes deux enfants ont peut-être trop souffert de notre emploi du temps surchargé. De nos sacrifices.
Et puis, l’exercice de notre métier est particulier. Il mélange le privé, le professionnel…
Actuellement, la démesure est une des caractéristiques de la restauration. Avec 15 à 18 heures de travail par jour, sous un stress épouvantable… Je pense que cela ne leur fait pas envie.
swissinfo: Alors, la succession?
G. R.: Ma plus grande satisfaction serait de former un jeune pour prendre la suite de mon restaurant. Mais il faudrait qu’il y mette beaucoup de volonté. Parce que ce n’est pas évident.
Interview swissinfo, Chantal Nicolet
Sept cuisiniers, les mêmes que l’an dernier, ont 19/20: Gérard Rabaey, Philippe Rochat, Bernard Ravet, Philippe Chevrier, Roland Pierroz, Horst Petermann et André Jaeger.
Personne n’a la note maximale de 20.
L’édition suisse du guide recense 800 restaurants.
Il y a en 90 de nouveaux par rapport à l’année précédente.
– Gérard Rabaey est né en France en 1948. Il est marié et a deux enfants de 22 et 28 ans.
– Il a fait un apprentissage de cuisinier en Bretagne.
– Il est arrivé en Suisse au début des années 60, pour quelques mois. Il y est resté et a le passeport à croix blanche.
– Gérard Rabaey a obtenu son premier 19/20 au GaultMillau en 1988. C’est le seul cuisinier de Suisse à avoir décroché cette note 15 ans de suite.
– En 1989, il recevait son premier titre de «cuisinier de l’année».
– Il dirige le restaurant Le Pont de Brent, dans le canton de Vaud, depuis 23 ans et demi.
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