L’appel aux réformes lancé à Davos sera-t-il entendu?
Les leaders politiques et économiques réunis cette semaine au World Economic Forum (WEF) de Davos sont appelés à œuvrer à une transformation profonde du modèle capitaliste. Mais les voix critiques doutent de la capacité de l’élite globalisée à changer de posture.
Comme c’est le cas chaque année depuis 1971, les patrons des multinationales les plus influentes ainsi que de nombreux hommes politiques d’envergure se rendent dès mercredi à Davos dans le cadre du World Economic Forum (WEF). Fondateur de la manifestation, Klaus Schwab souhaite placer l’édition 2012 sous le signe de la transformation d’un modèle ébranlé par une crise économique sans précédent.
Le monde risque de tomber dans une forme de «dystopie» [le contraire d’une utopie, un monde de cauchemar], poussé dans l’abîme par «une crise morale profonde», fruit des inégalités qui «sapent la cohérence sociale», a averti le patron du WEF. «Nous avons échoué à retenir les leçons de la crise financière de 2009. Une transformation mondiale doit avoir lieu d’urgence et cela doit commencer en rétablissant une notion de responsabilité sociale».
«Nous risquons de perdre complètement la confiance des générations futures», en raison du surendettement et du manque d’investissement dans l’avenir, a encore estimé Klaus Schwab. Il a également appelé à trouver de nouveaux chemins pour créer de l’emploi durable, afin de libérer les talents frustrés par un modèle capitaliste «périmé et sur le point de s’effondrer».
Les igloos de la contestation
Un discours aux tonalités très proches de ceux prononcés par les opposants au WEF, réunis cette année sous la bannière «Occupy Davos». Des activistes qui ont érigé des igloos à quelques encablures du centre de conférence du WEF.
Secrétaire général d’Uni global union, organisation faîtière mondiale des syndicats du secteur des services, Philip Jennings salue les critiques inattendues formulées par le WEF lui-même: «Le WEF est enfin sorti de sa bulle pour regarder le monde en face. Ce discours reflète la réalité de la situation».
Si Philip Jennings loue la position du WEF, il doute cependant de la capacité des hommes d’affaires riches et influents d’accueillir favorablement le message dans la station grisonne. Et il tient à leur lancer cet avertissement: «Tous ceux qui clameraient haut et fort à Davos que le marché est la seule solution et que nous n’avons pas à nous soucier de cohésion sociale feraient une grave erreur.»
Reste que la capacité de l’industrie financière à poursuivre ses affaires comme si de rien n’était ne doit pas être sous-estimée, concède-t-il.
La finance sur la sellette
Les soulèvements dans le monde arabe ainsi que l’agitation civile observée en Europe ces derniers mois sont le signe d’une déconnexion entre l’élite mondiale (représentant moins d’un pourcent de la population) et la grande majorité de la société, soulignent les organisateurs du WEF.
Les déclarations du Premier ministre tunisien Hemadi Jebali et des candidats à la présidence égyptienne Abdel Moneim Aboul Fotouh et Amr Moussa seront scrutées de près durant les cinq jours du Forum. Les participants garderont également un œil sur les élections présidentielles controversées en Russie ainsi que sur les prochaines échéances électorales en France et aux Etats-Unis.
La réunion grisonne pourrait une nouvelle fois réserver des moments inconfortables à l’élite bancaire, qui jouit toujours de généreux bonus malgré un appel incessant à mettre fin aux excès. Philip Jennings condamne ainsi Goldman Sachs pour «sa politique de l’autruche». La semaine dernière, la première grande banque d’affaires mondiale a en effet annoncé une chute de 47% de ses profits annuels, alors que les rémunérations et bonus divers n’ont été réduits que de 21%.
Les opposants sceptiques
Les efforts pour limiter les salaires des dirigeants ont également échoué en Suisse. Une initiative lancée par l’homme d’affaires et nouvel élu à Berne Thomas Minder a été diluée par le Parlement fédéral tandis que le gouvernement a rejeté clairement une autre initiative exigeant que les salaires des dirigeants ne dépassent pas douze fois le salaire minimum des employés d’une même société.
Quant aux appels à la retenue dans la mise en place de mesures protectionnistes dommageables, qui seront réitérés à Davos, ils semblent eux aussi vains. Selon le dernier rapport annuel publié par Global Trade Alert (GTA) au mois de novembre, les mesures protectionnistes sont en hausse constante au niveau mondial. «Les gouvernements vont probablement adopter de plus en plus une posture défensive», écrit Simon Evenett, professeur de commerce international à l’université de Saint-Gall, dans le rapport GTA.
Critique de longue date du Forum davosien, la Déclaration de Berne se montre très sceptique quant aux capacités du WEF à imposer de réels changements. «Le WEF est au moins capable de lire les signaux de notre époque, relève Andreas Missbach, expert en questions financières au sein de l’ONG. Les dirigeants du WEF posent certes les bonnes questions, mais les sociétés multinationales ne forment pas le bon auditoire».
La société civile inclue
Le représentant de la Déclaration de Berne poursuit avec ironie: «Klaus Schwab a fait son sermon dominical. Mais ça n’ira pas plus loin. Tout ce à quoi nous assisterons cette semaine, ce sont les habituelles manœuvres et stratégies qui permettront de diluer au maximum les volontés de régulations financières et de réformes sociales.»
Andreas Missbach critique également la décision du WEF de maintenir Occupy Davos en dehors de la salle de congrès où se tiendront les débats durant toute la semaine. S’adressant aux médias la semaine dernière, Klaus Schwab a disqualifié le mouvement, estimant que les protestataires cherchaient uniquement des boucs-émissaires plutôt que des solutions constructives pour résoudre les problèmes globaux.
Le syndicaliste Philip Jennings vient au secours du WEF, en affirmant que la manifestation est aujourd’hui méconnaissable par rapport aux années 90: «Le forum a changé d’optique pour inclure des voix alternatives de la société civile et du mouvement syndical».
Le World Economic Forum (WEF) a été fondé par Klaus Schwab sous le nom de Management Symposium à Davos en 1971.
Son but était de mettre en relation les leaders européens du monde des affaires avec leurs homologues des Etats-Unis pour stimuler leurs échanges et résoudre certains problèmes.
Le WEF est une organisation sans but lucratif basée à Genève, financée par différentes formes de contributions de ses membres.
Le forum a pris son nom actuel en 1987, élargissant dans le même temps son champ d’action pour permettre de trouver des solutions aux conflits internationaux.
Le WEF indique qu’il a contribué à calmer des conflits tels ceux entre la Grèce et la Turquie, entre les Corée du Sud et du Nord, entre l’Allemagne de l’est et de l’ouest, et en Afrique du Sud durant l’apartheid.
Le WEF rédige des rapports détaillés, globaux et par pays, et toute une série de recherches à l’intention de ses membres. Il organise plusieurs réunions annuelles – la principale ayant lieu à Davos au début de chaque année.
En 2002, la réunion annuelle s’est exceptionnellement tenue à New York en soutien à la ville après les attentats du 11 septembre 2001.
Davos a attiré au fil des ans les grands noms du monde des affaires, de l’université, de la politique et du show business. Entre autres exemples: Nelson Mandela, Bill Clinton, Tony Blair, Bono, Angela Merkel, Bill Gates et Sharon Stone.
Dans les années nonante, au moment où le forum gagnait en taille et en crédibilité, il s’est attiré de plus en plus de critiques de la part des organisations antimondialisation. Ces dernières critiquaient notamment sa dimension élitaire et utilitariste.
L’édition 2012 de la réunion annuelle se déroulera du 25 au 30 janvier, avec au rendez-vous 2600 délégués de 90 pays. Le coup d’envoi de la manifestation sera donné par la chancelière allemande Angela Merkel.
(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)
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