La Banque nationale aimerait affaiblir le franc
Si la presse suisse est quasiment unanime à saluer les mesures annoncées hier par la BNS pour lutter contre la surévaluation du franc, les appréciation varient quant à leur efficacité. Et les commentateurs rappellent le dilemme classique entre monnaie forte et risque d’inflation.
Pressée d’agir de toutes parts, la Banque nationale suisse (BNS) est intervenue mercredi pour contrer l’appréciation du franc, qui pénalise les exportations et représente une menace pour l’évolution de l’économie. L’institut d’émission estime d’ailleurs que les perspectives de l’économie helvétique se sont considérablement détériorées.
La BNS a donc réduit la marge de fluctuation du Libor de 0%-0,75% à 0%-0,25%. Cette première mesure vise à rapprocher autant que possible de zéro le Libor pour les dépôts à trois mois en francs. Par cette décision, la Banque centrale accepte en quelque sorte de créer de l’inflation. Un luxe qu’elle peut toutefois se permettre, la Suisse affichant le deuxième plus bas niveau de renchérissement des pays de l’OCDE derrière le Japon.
La BNS va également augmenter ces prochains jours de manière substantielle les liquidités sur le marché monétaire en francs. Elle entend ainsi accroître les avoirs que les banques commerciales détiennent en compte de virement à la BNS. Ceux-ci passeront de près de 30 milliards de francs actuellement à 80 milliards.
Un signal
Sans se faire trop d’illusions quant aux effets escomptés, politiciens et économistes ont salué mercredi le signal délivré par la BNS. Message identique dans la presse suisse de jeudi, où le terme «signal» apparaît dans la majorité des commentaires.
«Beaucoup de bruit pour rien ? Non, estime ainsi le Blick. A lui seul, le signal envoyée par la Banque nationale a fait son effet» et «les interventions de la Suisse ne devraient pas se perdre comme des gouttes dans la mer, mais générer des vagues propre à décourager la ruée sur le franc».
Pour le Tages Anzeiger, les mesures annoncées sont avant tout «déclamatoires». Et par ailleurs «tellement techniques que seuls les experts de la finance les comprennent effectivement. On baisse un taux d’intérêt qui était déjà proche de zéro et on augmente une liquidité qui n’était déjà pas rare».
Dans une situation où on ne peut pas faire grand chose, la BNS, comme le ferait le médecin de famille, prescrit donc un placebo. «les effets secondaires sont minimes et même de l’eau sucrée, prescrite de manière compétente, peut diminuer les douleurs», juge le quotidien zurichois.
Le mal est ailleurs
«Cette légère baisse des taux d’intérêt risque de ne pas suffire», souligne le Bund, qui voit la BNS contrainte à un «dangereux exercice d’équilibre». «Si elle n’en fait pas assez, le franc va continuer à grimper, avec le risque de voir les entreprises délocaliser des places de travail à l’étranger. Si elle en fait trop, elle devra plus tard relever les taux d’autant, ce qui freinera la conjoncture et coûtera également des places de travail».
«Et cette situation perdurera jusqu’au jour où les pays de la zone euro et les Etats-Unis prendront leurs problèmes de finances sérieusement en mains. Mais hélas, ce jour est encore loin», conclut le quotidien bernois.
Le Temps souligne lui aussi que les problèmes à l’origine de l’envolée du franc ne sont pas en Suisse, une «île réputée pour sa stabilité et la bonne gestion de ses finances publiques», et que la tendance ne s’inversera pas tant que «les grands malades que sont l’Europe et les Etats-Unis n’auront pas accepté de se soigner vigoureusement».
Et le quotidien romand de rappeler que «l’indépendance monétaire de la Suisse a ses vertus et ses limites. Les événements en cours nous rappellent que nous sommes solidaires, pour le meilleur ou le pire, de nos voisins et des pays importateurs».
Gouvernement en vacances
La Neue Luzerner Zeitung salue quant à elle «un pas important dans la lutte contre le franc fort», mais souligne que tandis que la BNS agit, le Conseil fédéral (gouvernement), lui, «est en vacances». Mercredi, les sept sages ont tenu une conférence téléphonique, «salué» l’action de l’institut d’émission et «pris connaissance de l’analyse du ministre de l’économie».
Le quotidien de Suisse centrale s’inquiète de voir Johann Schneider-Ammann avoir toujours le prééminence sur ce dossier. Car «son mélange de laisser-faire et de maladresse ne suffit pas».
Quant au Corriere del Ticino, il relève que le franc fort, tant décrié, a aussi quelques avantages, et pas seulement pour les Suisses qui passent leurs vacances en Europe ou aux Etats-Unis. «Les importations sont moins chères et la place financière reprend de la vigueur [grâce à la fonction de valeur refuge du franc suisse], ce dont dans une certaine mesure elle avait besoin», écrit le quotidien tessinois.
Depuis la mi-février 2011, le franc a gagné 21% face à l’euro et 28% face au dollar.
Rien que depuis le début juillet, l’appréciation de la monnaie suisse par rapport aux monnaies européenne et américaine a été respectivement de 13,5 et 6,5%.
Mardi soir 2 août, un euro valait moins de 1 franc 10 et un dollar 76 centimes. Les mesures annoncées mercredi par la BNS ont fait momentanément reprendre quelques couleurs aux deux monnaies face au franc.
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