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La gouvernance défaillante des banques suisses

Gilbert Duchoud, ancien patron de la BCV, s'en sort à bon compte. Keystone

Les lourdes pertes d'UBS et l'affaire des comptes manipulés de la Banque cantonale vaudoise (BCV) révèlent de grosses lacunes en matière de gouvernance d'entreprise, affirme Thomas von Ungern – Sternberg.

L’économiste plaide en faveur d’un renforcement du code des obligations et d’une séparation forte entre la présidence et le conseil d’administration des entreprises.

Après les pertes abbysale de l’UBS dans la crise des subprimes, le verdict du procès de la Banque cantonale vaudoise (BCV) souligne une nouvelle fois les lacunes de la législation suisse.

Thomas von Ungern – Sternberg, professeur à l’Ecole des Hautes études commerciales de l’Université de Lausanne, tire les leçons de ces affaires.

swissinfo: Comment jugez-vous le verdict du procès de la BCV ?

Thomas von Ungern – Sternberg: Après le procès des dirigeants de Swissair, ce verdict était plus que prévisible. On peut donc se demander pourquoi avoir dépensé l’argent des contribuables pour faire ce procès.

Il est tout à fait clair que la direction de la BCV a fait des erreurs de gestion. Mais ce n’est pas un crime pénal. De plus, la loi suisse donne beaucoup de latitude aux entreprises pour tenir leur comptabilité.

La direction de la BCV a donc utilisé cette latitude. N’oublions pas que Gilbert Duchoud (l’ancien PDG de la BCV) était accusé d’avoir sous-provisionné les crédits à risque. Ce qui a poussé à la création massive de provisions supplémentaires. Des provisions qui se sont avérées complètement superflues.

Cela dit, quand vous prêtez de l’argent à quelqu’un pendant 20 ans, il y aura une énorme marge d’incertitude sur le remboursement. Il est donc difficile de tenir correctement une comptabilité.

swissinfo: Quelles seraient les mesures à prendre ?

T U-S: Il y a deux choses à faire. Il faut revoir le code des obligations pour fixer beaucoup plus strictement la manière de tenir une comptabilité.

La Suisse doit aussi suivre le modèle anglo-saxon de gouvernance en créant des conseils d’administration beaucoup plus critiques à l’égard de la direction générale des entreprises.

Très souvent en Suisse, le conseil d’administration et la direction d’une banque, c’est pratiquement la même chose. D’où l’absence de transparence et de contrôle.

swissinfo: On parle pourtant beaucoup ces dernières années de stimuler la gouvernance d’entreprise…

T U-S : C’est vrai qu’on en parle beaucoup. Mais ce n’est pas les législateurs qui en parlent et les banques ne changent pas dans leurs pratiques. Marcel Ospel qui est à la fois le CEO et le président du conseil d’administration d’UBS en est le meilleur exemple.

Les banques ne voient aucune utilité d’avoir en leur sein même une instance qui les regarde de manière critique.

swissinfo: La Suisse est-elle un cas particulier ?

T U-S: En effet car en Suisse, le principe du concordat joue un grand rôle. On essaye toujours de trouver un compromis et l’idée d’avoir à l’intérieur de l’entreprise quelqu’un qui contrôle est une idée étrangère à la Suisse. La mentalité suisse, c’est: nous sommes tous d’accord.

swissinfo: Est-ce que les banques qui sont frappées par ces affaires en tirent des leçons ?

T U-S: Après avoir perdu beaucoup d’argent dans sa diversification à l’étranger, la BCV et sa nouvelle direction ont fait machine arrière dans ce domaine. L’exemple le plus extraordinaire concernant cette banque est d’avoir voulu financer des armateurs grecs, réputés pour leur férocité en affaires. Elle a lâché 150 millions de francs dans cette aventure, avant de l’interrompre.

swissinfo: Les grandes banques suisses ont-elle, elles aussi, changé de stratégie ?

T U-S: Ce qui s’est passé à l’UBS n’était même pas une erreur de stratégie, mais la démonstration d’une invraisemblable stupidité. L’UBS a investi des montants faramineux dans des fonds, sans faire l’effort de regarder le contenu de ces fonds et la qualité des débiteurs derrière ces hypothèques. Je n’arrive pas à comprendre comment cette banque a pu investir de telles sommes sans le moindre contrôle des risques.

Je suppose que Marcel Ospel a désormais compris qu’il ne faut pas faire une ânerie pareille. Mais il aurait pu tirer cette leçon depuis très longtemps.

Ce que montre en tous cas cette affaire, c’est qu’en Suisse, une direction peut faire une erreur aussi énorme et se maintenir à son poste. C’est tout à fait extraordinaire.

swissinfo: Les banques privées suisses se comportent-elles différemment ?

T U-S: Elles sont beaucoup mieux prémunies. Les banquiers privés jouent avec leur propre argent. Ils sont donc beaucoup plus prudents.

Interview swissinfo: Frédéric Burnand à Genève

Après 5 ans de procédure et 5 semaines de procès dans l’affaire des comptes manipulés de la Banque cantonale vaudoise (BCV), la justice n’a retenu aucune charge lourde contre les accusés

Reconnu coupable de faux dans les titres et d’abus de confiance, l’ex-PDG Gilbert Duchoud écope d’une peine pécuniaire mais récupère son indemnité de départ de 2 millions de francs.

Les six dirigeants étaient accusés d’avoir sciemment embelli les comptes 1996 de la BCV, modifiant ensuite la méthode de provisionnement. Mais la Cour les a acquittés de l’ensemble des accusations portant sur de possibles manipulations comptables.

En décembre dernier, le Ministère public vaudois avait requis une peine de 16 mois de prison avec sursis contre Gilbert Duchoud. Le parquet lui reprochait non seulement d’avoir camouflé le manque de provisions de la banque, mais également d’avoir détourné quelque 450’000 francs. L’escroquerie n’avait toutefois pas été retenue à son encontre.

Les cinq autres responsables de la BCV, dont Jacques Treyvaux, encouraient des peines pécuniaires allant de 360 à 180 jours-amende pour faux dans les titres, gestion déloyale, abus de confiance et faux renseignements sur les entreprises commerciales. La défense plaidait l’acquittement général.

L’Etat de Vaud avait injecté 1,25 milliard de francs pour assainir l’établissement, alors en manque de provisions et plombé par des pertes et des crédits à risque.

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