La Suisse des villes, majoritaire et méconnue
Finances, social, insécurité, urbanisme, énergie: les villes ont valeur d'acteur central dans un pays où sept habitants sur dix sont urbains.
Pourtant, leurs préoccupations sont souvent méconnues. swissinfo part à la rencontre de maires, à quelques mois des élections fédérales.
Jean-Jacques Rousseau assimilait la Suisse à une grande ville dotée de «quartiers plus ou moins peuplés, mais tous assez pour marquer qu’on est toujours dans la Ville.»
On n’en est plus là. Des scientifiques comme Martin Schuler, auteur d’un atlas des mutations spatiales, réfutent aujourd’hui l’idée d’un pays-ville. La Suisse est trop diverse et morcelée pour cela.
Par contre, c’est un pays de villes. En 2004, 133 communes passaient la barre des 10’000 habitants, qui leur permet d’entrer dans cette catégorie. Mieux: c’est un pays d’urbains. Sept résidents sur dix vivent hors des campagnes.
Une vie en agglomérations
Ainsi, la Suisse est essentiellement urbaine. Urbaine parce que les valeurs, les modes de vie et les activités n’ont souvent pas grand rapport avec la vie des champs.
Métropolitaine aussi, la Suisse l’est largement par sa dimension internationale et la forte spécialisation économique de sa main d’œuvre et de ses entreprises souvent concentrées en ville.
Elle abrite même cinq grandes métropoles aux particularités économiques propres: les régions zurichoise, bâloise et bernoise, l’Arc lémanique et le Tessin (dans l’aire milanaise).
Autre caractéristique: la ville est moins vécue en tant que zone administrative et territoriale que comme une agglomération incluant des communes voisines.
On vit ici, on travaille là, tout en ne votant et ne payant d’impôts qu’ici. Ce qui pose des problèmes de compétence, d’efficacité et de financement des infrastructures sportives, culturelles, environnementales.
Modifications institutionnelles
En réponse, certaines communes choisissent de fusionner (Bulle) ou se donnent un cadre institutionnel élargi (Lausanne). Pour d’autres, la coordination au quotidien est une nécessité, comme dans l’aire bâloise.
«Certaines modifications institutionnelles s’imposent, analyse Martin Schuler. Adapter ses frontières peut être une réponse. Mais la politique de fusion n’est pas la seule possible.»
Dans cette Suisse composite où certaines cités sont financièrement riches et des villes-centre croulent sous le coût des infrastructures régionales, l’impôt ajoute son poivre.
Le système fiscal autorise des taux d’imposition sur le revenu extrêmement variables et permet aux communes riches de jouer la sous-enchère.
«La concurrence fiscale a son utilité, estime Martin Schuler. Mais le système actuel est injuste. Aucun Français, aucun Allemand ne comprendrait qu’on puisse payer un tiers d’impôt en moins en déménageant de 200 m dans la commune d’à-côté.»
Le poids des cantons ruraux
Sur le plan politique, l’urbanité n’a pas l’impact de son poids économique et démographique. L’explication réside dans le découpage en cantons et les règles de députation. Mais surtout dans la double majorité du peuple et des cantons nécessaire lors des suffrages constitutionnels.
«Les petits cantons ruraux ont un poids fort lors de ce type de votations, note Martin Schuler. Ils peuvent bloquer une décision voulue majoritairement par la population. C’est un élément clé favorisant les régions rurales – et avec le temps – la Suisse alémanique.»
Exemples de décisions «imposées» par les petits cantons ruraux: le refus de la naturalisation facilitée pour les jeunes étrangers (1993) et celui de l’article sur l’encouragement à la culture (1994).
Le tableau est toutefois loin d’être sombre pour les urbains. A l’échelon national, la Confédération tient désormais plus largement compte des besoins des villes.
Et depuis une dizaine d’années, elle mène une politique d’agglomération largement saluée (soutien aux investissements dans les transports, etc).
Des villes à l’actualité chargée
Vice-président de l’Union des villes suisses (UVS), Daniel Brélaz signale, lui, toute une série de problèmes qui occupent les autorités des villes suisses.
Parmi eux, les reports de charges et les coupures de recettes liées à des décisions fédérales ou cantonales, les problèmes d’intégration des étrangers ou le sentiment accru d’insécurité dans la population.
Le syndic (maire) de Lausanne cite aussi la volonté de favoriser le retour en ville (politique d’aménagement du territoire, urbanisme), les problèmes sociaux, la maitrise de l’infrastructure et de l’énergie…
S’ajoutent à cette liste des enjeux et problématiques propres à chaque cité. Tout un catalogue et autant de chevaux de bataille potentiels à quelques mois des élections fédérales de 2007.
swissinfo, Pierre-François Besson
Les villes suisses les plus peuplées (2003):
Zurich – 361’804
Genève- 182’660
Bâle – 168’960
Berne – 127’513
Lausanne – 123’314
Wintertour – 91’771
St. Gall – 73’737
Lucerne – 58’631
Un tiers de la population résidant en Suisse vit dans les cinq premières et leurs banlieues.
La Suisse compte 133 villes (plus de 10’000 habitants) et 50 agglomérations (plus de 20’000 habitants), dont la plus importante – Zurich – dépasse le million d’habitants.
Au début des années nonante, la croissance de la population en régions rurales dépassait largement celle des villes. En 1998, la situation s’est inversée. Mais depuis 2000, la population des deux zones augmente en parallèle.
La population d’un canton comme Bâle-Ville est entièrement urbaine. Genève (99%), Zurich (95%), le Tessin (86%), Vaud (75%) ou Neuchâtel (75%) sont très urbains également là où Uri, Obwald ou Glaris sont entièrement campagnards.
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