Le climat est au beau fixe entre Berlin et Berne
Le conflit fiscal est pour ainsi dire réglé et en principe le nouvel accord de double imposition entrera pleinement en vigueur d’ici à la fin de l’année, a affirmé en substance le ministre allemand de l’économie Rainer Brüderle. Interview.
Fini le temps où, en mars 2009, l’ex-ministre des finances allemand Peer Steinbrück menaçait de lancer une «cavalerie» dissuasive contre les « Indiens » helvétiques et leur secret bancaire.
A Zurich, Rainer Brüderle s’est montré conciliant et même carrément charmant: «Presque tous les Allemands aimeraient vivre en Suisse», a-t-il affirmé, en marge d’une réunion de la Chambre de commerce Suisse-Allemagne en fin de semaine dernière.
Il a mis en exergue les valeurs typiquement suisses comme la sécurité et la stabilité. Il a qualifié les relations économiques entre les deux pays d’intenses et prometteuses.
Malgré cela, le ministre allemand s’est prononcé sans équivoque sur le fond du conflit: la différence faite par la Suisse entre fraude et soustraction fiscale serait selon lui irritante et difficile à comprendre.
Il s’est clairement dit contre un impôt libératoire pour l’argent sale allemand déposé dans les banques suisses, une solution proposée par les banques suisses. Certes cela amènerait de l’argent dans les caisses publiques allemandes, mais les détenteurs de comptes bancaires en Suisse resteraient dans l’anonymat. Un transfert d’argent isolé sans communication d’informations serait selon lui un trafic d’indulgences.
swissinfo.ch : Quelle est importance des relations économiques entre l’Allemagne et la Suisse, en particulier si on les compare avec les relations avec d’autres pays européens ?
Rainer Brüderle : Elles sont un facteur de stabilité pour les deux pays. Nos relations économiques sont très étroites et ont crû de quelque 50% durant ces 5-6 dernières années. Même durant l’année de crise 2009, il n’y a pas eu de baisse significative.
swissinfo.ch : La non-appartenance de la Suisse à l’Union européenne constitue-t-elle un frein aux relations économiques entre nos deux pays ?
R.B. : Non, je ne le crois pas. La Suisse reprend presque systématiquement l’acquis communautaire, c’est-à-dire la législation de l’Union européenne. Si la Suisse était membre, elle aurait l’avantage de pouvoir participer à l’élaboration de cette législation commune. Elle aurait une influence importante lors des votes. Cela dit, il faut respecter la décision des citoyens suisses. Si un jour ils changent d’avis, la Suisse sera la bienvenue.
swissinfo.ch : Nos relations économiques ont-elles souffert du conflit fiscal ?
R.B. : Je ne le crois pas non plus. Pour l’essentiel, la question est réglée avec le nouvel accord de double imposition.
swissinfo.ch : Avez-vous de la compréhension pour le secret bancaire suisse traditionnel et plus particulièrement pour la distinction faite entre fraude et soustraction fiscale ?
R.B. : Non. C’est une notion vraiment difficile à comprendre. Dans la philosophie du droit allemand, une fraude est une infraction pénale.
Il faut que vous compreniez bien le débat qui a lieu en Allemagne. Des personnes qui ne disposent que de faibles revenus font de gros sacrifices. Leu couverture sociale s’est rétrécie ces dernières années. Et voilà qu’elles apprennent que des concitoyens fortunés échappent largement au fisc ! A leur place, vous seriez contents ?
swissinfo.ch : La Suisse est la principale destination pour les émigrés allemands. Cela vous pose-t-il un problème que des travailleurs très qualifiés viennent en Suisse ? Ce « brain-drain » est-il préjudiciable à l’économie allemande ?
R.B. Il y a effectivement une part de « brain-drain ». Mais à l’inverse, des Suisses travaillent en Allemagne. Il y a une interaction. Je perçois la Suisse, l’Autriche et l’Allemagne comme un espace économique commun. Nous avons une langue commune et une grande proximité de valeurs.
Je suis un partisan du fédéralisme, que ce soit à l’intérieur de l’Europe ou en Allemagne. Je suis opposé à un super-Etat européen. L’Union européenne doit respecter les souverainetés. C’est toujours un défi d’améliorer ses propres conditions-cadres.
La Suisse montre que la souveraineté peut être un bon aiguillon pour la compétitivité. Elle peut choisir son propre chemin sans que cela lui cause de gros inconvénients.
swissinfo : Pourquoi l’Allemagne cherche-t-elle à recruter en Suisse alors qu’il y a beaucoup de demandeurs d’emploi dans votre pays ?
R.B. : Parce qu’il y a un goulot d’étranglement. On a toujours besoin de spécialistes. Il y a des secteurs stratégiques comme les technologies de l’information et de la communication où ils sont relativement peu nombreux. Alors on va les chercher où ils sont.
L’Allemagne l’a déjà fait dans le passé. Elle a notamment embauché des Italiens dans le domaine de la construction automobile.
Renat Künzi, Zürich, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Xavier Pellegrini)
OCDE. Les deux Chambres du parlement suisse ont accepté les nouveaux accords de double imposition, basée sur les lignes directrices de l’OCDE.
Avec qui? Ces douze nouveaux accords ont été conclus avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Mexique, le Danemark, la France, la Norvège, la Finlande, le Luxembourg, l’Autriche et le Qatar. Tous ces accords sont soumis au référendum facultatif.
A la différence de l’Allemagne et de nombreux autres pays de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement en Europe), la Suisse faisait une différence entre fraude et soustraction fiscale. Elle n’offrait sa collaboration qu’en cas de fraude, qui comprend notamment le blanchiment d’argent, mais pas en cas d’évasion fiscale s’agissant de revenus légalement gagnés.
Les Etats-Unis et l’Union européenne se sont battus pendant plusieurs années pour que la Suisse renonce à cette distinction. La résistance de la Suisse a conduit l’OCDE à placer la Suisse sur une liste grise des paradis fiscaux.
Article 26. La Suisse n’a pu se sortir d’affaire qu’en élaborant avec ses partenaires de nouveaux accords de double imposition conformes aux lignes directrices de l’OCDE. Le point central est l’article 26 du modèle de convention fiscale de cette organisation, qui prévoit un échange d’informations entre pays membres, sans distinction de fraude et de soustraction fiscale, en cas de demande motivée de l’un des pays membres.
La fin ! L’acceptation par la Suisse de cette règle internationale a eu pour effet de mettre pratiquement fin au secret bancaire, du moins pour les personnes établies à l’étranger.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.