Le compte à numéro dopé par la crise du secret bancaire
Face à la multiplication des assauts contre le secret bancaire et aux vols de données, les banques suisses tentent par tous les moyens de préserver la confidentialité qui a fait leur réputation. Dans ce contexte, le compte à numéro pourrait leur sauver la mise. Tour d'horizon.
Rendu célèbre par le cinéma et les aventures de James Bond, par des scandales de fonds occultes impliquant des politiciens ou des managers sportifs, ou encore par de retentissantes affaires mafieuses; dans l’imaginaire collectif, le compte à numéro est synonyme d’anonymat et de réceptacle d’argent sale.
Cette réputation peu honorable et quelque peu surfaite irrite les banquiers. A la seule évocation des mots «compte à numéro» ou «compte numéroté», ceux-ci se referment comme des huîtres.
De Genève à Zurich en passant par Lugano, impossible d’obtenir l’ombre d’un chiffre ou d’une statistique sur le nombre de ces comptes en Suisse, ou sur le profil du demandeur de ce type de prestation financière.
Dernier bastion de liberté
«C’est l’un des derniers domaines dans lequel il reste quelque bribe de liberté, face à la croissance de la régulation de l’activité bancaire. Cela explique notamment pourquoi, les instituts financiers tiennent à préserver cette discrétion», explique Chantal Bourquin, cheffe de la communication auprès de l’Association des banquiers privés suisses (ABPS).
«Le compte à numéro ? Mais c’est un compte comme tous les autres…voyons ! Tous les comptes bancaires sont dotés d’un numéro !», plaisante James Nason, porte-parole de l’Association suisse des banquiers à Bâle, avec son humour britannique, mais sans dévoiler d’autres informations que les généralités obtenues auprès des grandes banques contactées par swissinfo.ch.
Les mêmes règles
Néanmoins, les banquiers sont beaucoup plus loquaces lorsqu’il s’agit d’évoquer les règles et les conditions auxquelles sont soumis les comptes à numéro. «Un tel compte souscrit exactement aux mêmes exigences de diligence que n’importe quelle autre relation bancaire», souligne Dominique Gerster, porte-parole d’UBS.
«Nous devons impérativement connaître l’origine des fonds et l’identité de l’ayant-droit», précise-t-il. «Sur réquisition judiciaire, des données peuvent être fournies à la justice tout comme pour n’importe quel autre compte», ajoute encore Thomas Gerster.
«Nous connaissons toujours l’identité des clients, que le compte soit numéroté ou non», s’empresse de souligner Jan Von der Mühll, responsable de la communication chez Julius Bär à Zurich. Et ce sera la seule indication fournie par la première banque privée de Suisse à ce propos.
Une protection contre les voleurs
Alors que les Hervé Falciani, Rudolf Elmer et autres Bradley Birkenfeld ont réduit le secret bancaire helvétique au rang de passoire, le compte numéroté regagne de l’intérêt et pourrait sauver la mise des banquiers. Un gérant de fortune auprès de la filiale tessinoise d’une banque dite «populaire» qui a bénéficié de l’exode de capitaux qui a affaibli UBS et d’autres géants de la branche, en est persuadé.
«Par précaution les étrangers optent désormais pour le compte à numéro, quand bien même, ce type de relation bancaire était déjà très prisé par cette clientèle fortunée par le passé», relève le spécialiste.
«Il n’y a aucun doute que face aux assauts du gouvernement italien notamment, ou pour s’assurer de ne pas tomber entre les mains d’un employé de banque mal intentionné, notre clientèle a des exigences de plus en plus élevées en matière de confidentialité. Et il n’y a pas mieux que le compte à numéro pour répondre à ces attentes», ajoute-t-il.
Demande à la hausse
Les autres grandes banques interrogées ne confirment ni ne démentent. «Il est tout a fait imaginable que la tendance se développe dans cette direction», indique toutefois James Nason, en évitant de préciser si ce mouvement se fait déjà ressentir auprès des instituts financiers représentés par son association.
De fait, si le compte à numéro n’offre pas l’anonymat complet, il n’en demeure pas moins que tous les documents portant adresse et nom du client sont déposés en coffre et que seul un nombre très restreint de fondés de pouvoir de la banque y ont accès. «Un collègue d’une autre filiale de notre banque ne pourra pas connaître l’identité de mon client qui a un compte chez nous», précise le gérant de fortune tessinois.
A la différence essentielle des autres catégories de comptes, les recoupements entre titulaire et numéro de compte ne sont saisis dans aucune base de donnée informatique. «De quoi assurer une protection accrue de la sphère privée du client», le banquier anonyme en est convaincu et s’étonne encore de l’épisode qui a ébranlé la banque HSBC.
L’anonymat parfois nécessaire
Cela dit, ceux qui veulent cacher leur argent sur un compte bancaire ne cherchent pas obligatoirement à échapper au fisc. En cas de divorce, d’héritage voire même de chantage, un compte discret offre aussi une protection supplémentaire à son titulaire. Un plaignant devra indiquer lui-même la banque où seraient déposés des fonds litigieux, avant que la justice puisse donner suite, le cas échéant, à une plainte.
Un atout de taille pour les sujets potentiellement victimes de chantages, comme des hommes ou des femmes politiques ou des célébrités.
Sachant qu’un ordre bancaire traditionnel passe entre de nombreuses mains au sein de la banque et que tout bordereau comprend généralement les données personnelles du client, comme son nom et son adresse, le compte à numéro permet de contourner ces risques.
Un écran de protection qui a son coût, comme le rappelle James Nason: «Les procédures administratives sont plus compliquées dans ce cas de figure, c’est pourquoi, l’ouverture et la gestion d’un tel compte est aussi accompagnée de frais plus élevés que ceux qui grèvent les comptes traditionnels».
Nicole della Pietra, swissinfo.ch
Le compte à numéro peut porter un nom, ou un numéro ou encore une combinaison des deux.
Le compte à numéro n’offre pas l’anonymat à son ayant-droit. Mais seul un cercle très fermé au sein de la direction d’une banque ou d’une filiale connaissent l’identité du titulaire du compte.
Pour répondre à une stricte confidentialité, le numéro de compte exige certaines précautions:
Les relevés de compte sont adressés à une case postale ou un représentant de confiance, comme un homme de loi.
Chéquier, cartes de crédit et autres virements sont à bannir; ils laissent trop de traces.
Tout versement effectué sur le compte par une tierce personne doit s’accompagner d’une autorisation formelle, sans quoi l’existence du compte serait démontrée.
Dans le contexte actuel, les banquiers conseillent aussi à leurs clients d’éviter au maximum d’accéder à leur compte par le web, sachant que les adresses IP peuvent être lisibles et la proie d’actions de piratage.
Le même principe de précaution vaut aussi pour les contacts au téléphone. Rien ne vaut les cabines téléphoniques.
Le secret bancaire suisse existe depuis 1934.
Le compte à numéro serait la formule de relation bancaire privilégiée par la clientèle étrangère en Suisse, mais aussi par les Helvètes fortunés, selon plusieurs magistrats spécialisés en matière de criminalité économique.
A l’étranger aussi, dans des pays réputés être des paradis fiscaux et/ou financiers, des banques proposent des comptes à numéro à leur clients. C’est notamment le cas en Autriche, au Luxembourg, à Monaco et au Lichtenstein.
De plus, de nombreux sites web de conseils pour expatriés offrent leurs services pour faciliter l’ouverture d’un compte en Suisse. Certains d’entre exigent des dépôts minimum pouvant atteindre des centaines de milliers de francs.
Les banques suggèrent de s’adresser directement à elles en passant par l’une de leurs filiales, lorsque c’est possible.
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