Le coup de gueule de la Commission européenne
Frits Bolkestein exhorte le gouvernement suisse à aider l'Europe des Quinze à lutter contre l'évasion fiscale.
Mais le commissaire chargé du Marché intérieur accuse aussi certains pays membres de l’Union de vouloir faire échouer le projet européen.
Quelques heures avant la réunion des ministres des Finances de l’Union européenne (UE) à Luxembourg, Frits Bolkestein a mis les pieds dans le plat.
Dans une lettre publiée lundi par le quotidien britannique Financial Time, le commissaire du Marché Intérieur place tout le monde devant ses responsabilités, aussi bien la Suisse que les quinze Etats membres de l’UE.
Pour la première fois Frits Bolkestein reconnaît que les Quinze ont mal géré le dossier de la fiscalité de l’épargne.
Pour lutter contre l’évasion fiscale, l’UE a décidé de mettre en place un système d’échange automatique d’informations entre administrations fiscales. Mais le Luxembourg et l’Autriche ont exigé que les pays tiers, en particulier la Suisse et les Etats-Unis, adoptent des mesures «équivalentes».
La Commission européenne a donc été chargée de négocier avec ces pays-là. Et de conclure ces négociations d’ici décembre 2003.
Le commissaire souligne que, sur le plan international, la transparence et l’échange d’informations sont devenus des critères reconnus par une majorité de pays. «Fermer les yeux sur l’évasion fiscale, insiste Frits Bolkestein, n’est plus considéré comme une pratique convenable».
Pas de progrès avec la Suisse
Le commissaire regrette le peu de progrès réalisés dans les négociations avec la Suisse. Selon son porte-parole, la rencontre de vendredi dernier à Zurich n’a débouché sur «aucune percée».
«Nous demandons à la Suisse la chose la plus normale qui soit, explique Frits Bolkestein, à savoir de nous aider à faire en sorte que les citoyens européens payent leurs impôts.»
La Suisse joue un rôle-clé dans ce dossier, dans la mesure où les autres pays européens tiers concernés (Andorre, Monaco, le Liechtenstein et Saint-Marin) vont régler leur position sur celle de la Suisse.
Pour la première fois cependant, le commissaire Bolkestein accuse également certains pays membres de l’Union européenne d’espérer un échec des négociations avec la Suisse.
Pour autant, le commissaire ne cite pas ces pays précisément. Il se contente de fustiger les «amis de la fraude fiscale». Il parle de ceux qui «se sont enrichis grâce à l’évasion fiscale» et qui ne sont pas pressés de «perdre cette habitude».
Mais le Financial Times va plus loin. Il affirme que l’avertissement s’adresse à l’Autriche, au Luxembourg, à la Belgique et à la Grande-Bretagne. Le quotidien rappelle que c’est Londres qui a refusé le projet initial, qui prévoyait de laisser le choix entre l’échange d’informations et la retenue à la source.
Toujours selon le journal, le ministre britannique des Finances Gordon Brown a l’intention de réclamer auprès de ses collègues des sanctions à l’encontre de la Suisse.
Le porte-parole de Frits Bolkestein souligne qu’il est «prématuré» d’envisager concrètement des sanctions. Cela dit, Jonathan Tood confirme que les articles 57 et 58 du Traité autorisent les Etats membres de l’UE à prendre des mesures pour restreindre la libre circulation des capitaux avec des pays tiers.
Indignation à Berne
«Je n’ai jamais vu ça!», s’exclame le porte-parole du ministre suisse des Finances Kaspar Villiger. «Dans sa lettre, s’indigne Daniel Eckmann, Frits Bolkestein ne parle pas de l’offre suisse.»
Et le porte-parole de rappeler que la Suisse a toujours dit qu’elle était prête à aider l’UE à lutter contre l’évasion fiscale. Et que Berne propose, comme mesure «équivalente», un système de retenue à la source. «Une offre, précise Daniel Eckmann, que nous estimons performante et généreuse.»
Par ailleurs, la Suisse participe activement à la lutte contre le crime organisé. Et, dans ce cas, rappelle le ministère helvétique des Finances, elle est disposée à lever le secret bancaire.
Et Daniel Eckmann de conclure: «Le commissaire Bolkestein se sert du Financial Times pour communiquer avec les Quinze, ce n’est pas très intéressant».
Barbara Speziali, à Bruxelles
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