Le fisc allemand prend Credit Suisse en tenaille
Mercredi matin, les 13 filiales allemandes de Credit Suisse ont été perquisitionnées. En même temps, le fisc a lancé une enquête sur les rapports entre la banque et ses clients allemands. Pas d’affaire «UBS bis», mais un sérieux coup de semonce à destination des banques.
On savait depuis le printemps dernier que Credit suisse était dans le collimateur du fisc allemand pour des questions de fraude fiscale. Naturellement, le calendrier des opérations avait été gardé secret. C’est finalement ce mercredi matin, à dix heures, que le Parquet de Düsseldorf a lancé 150 enquêteurs financiers à l’assaut des 13 filiales allemandes de Credit Suisse.
Objectif: trouver des documents confirmant que la banque suisse n’a pas seulement fermé les yeux sur la fraude fiscale pratiquée par certains de ces clients allemands les plus fortunés, mais qu’elle les y a elle-même incité. Jusqu’à présent, Credit Suisse est resté silencieux, se contentant de confirmer la razzia et son «entière coopération» avec les autorités allemandes.
L’opération lancée par le parquet de Düsseldorf fait suite à l’achat d’un CD-Rom, fin février dernier, par le gouvernement régional du Land de Rhénanie du Nord–Westphalie. Acheté 2,5 millions d’euros à un informateur inconnu, le CD-Rom en question contenait non seulement des informations détaillées sur les comptes bancaires de près de 1100 clients allemands, mais aussi des documents appartenant à Credit Suisse et tendant à prouver que la banque incitait ses clients à pratiquer l’évasion fiscale.
Une offre sur mesure
Selon le Financial Times Deutschland (FTD), «l’informateur a livré aux enquêteurs une présentation Powerpoint venant du département Private Banking de Credit Suisse», écrivait le quotidien économique en juin dernier. Selon le FTD, le contenu de la présentation accréditerait largement la thèse que la banque a développé une offre sur mesure pour des clients allemands désireux de cacher leur argent en Suisse. D’où les perquisitions de ce jour qui visent, pour une fois, davantage les collaborateurs que les clients de l’institut financier helvétique.
Quelles conséquences cette opération risque-t-elle d’entraîner pour les affaires de Credit Suisse en Allemagne, mais aussi pour les relations diplomatiques germano – helvétiques, tout juste convalescentes?
«L’opération qui vient d’être lancée ne devrait avoir qu’une incidence minime sur le bouclage actuellement en cours de l’accord de double imposition entre la Suisse et l’Allemagne. En revanche, c’est un sérieux avertissement lancé à toutes les banques qui pratiquent ou pourraient pratiquer ce genre d’incitations», estime l’avocat Klaus Olbig, président de la Commission de droit fiscal à l’Union des avocats allemands.
«Et comme par hasard, le même jour, nous avons reçu un questionnaire anonymisé de l’administration fiscale allemande sur les relations entre la banque et ses clients et que nous devons transmettre à nos mandants qui possèdent un compte à Credit Suisse», s’amuse-t-il.
Questionnaire détaillé
Cette liste de 24 questions, que swissinfo.ch s’est procurée, laisse transparaître la stratégie d’encerclement d’une administration très tenace: «Credit Suisse AG a–t-il promis de vous offrir un suivi plus particulier de vos avoirs non imposés que ne le proposent d’autres banques suisses ou étrangères?», ou encore «Vous a-t-on expliqué à demi-mot que les sommes à placer ne devaient pas être obligatoirement déclarées?».
Pour le fisc allemand tous les indices sont bons, puisque la personne questionnée est également priée de fournir tout document envoyé par les conseillers de la banque, comme les «itinéraires pour se rendre aux filiales, les cartes de visites ou les cartes de Noël»!
Pour Me Olbig, cette «affaire Credit Suisse» ne devrait cependant pas se transformer en une affaire «UBS bis»: «Le droit allemand diffère nettement du droit américain. Pour qu’une banque soit elle-même mise en accusation et que l’on menace par exemple de lui retirer sa licence, il faut faire des choses bien plus graves», explique-t-il.
Les agissements du salarié sont d’abord examinés à la loupe: «Il y a trois niveaux de culpabilité possibles. De la simple évocation à l’aide explicite. Et si la justice ne parvient pas à prouver que la conduite du conseiller est induite par un système volontairement développé par le management de la banque, il peut même être condamné à payer une partie des sommes fraudées», précise Klaus Olbig, qui explique aussi que, lorque’une banque est prise la main dans le sac, l’affaire se finit la plupart du temps par le versement d’une très grosse amende.
Thomas Schnee, Berlin, swissinfo.ch
2006-2008. Une grosse affaire de fraude fiscale entre l’Allemagne et le Lichtenstein aboutit à la très médiatique arrestation de Klaus Zumwinkel, patron de la Deutsche Post. A partir de là, l’Allemagne durcit ses positions en matière d’évasion fiscale.
Mars 2009. Le ministre allemand des Finances Peer Steinbrück déclenche un tollé en Suisse en comparant les Suisses à des indiens que la «cavalerie allemande» devrait rattraper.
Juin 2009. A Berlin, 20 pays dont la Suisse, s’engagent à respecter les critères de l’OCDE en matière de coopération et de surveillance pour la fraude fiscale.
Septembre 2009. Après la signature de plusieurs accords fiscaux bilatéraux, la Suisse est retirée de la «liste grise» de l’OCDE.
Janvier/Février 2010. On apprend qu’un informateur veut vendre à l’Allemagne pour 2,5 millions d’euros une liste de près de 1500 contribuables allemands ayant dissimulé leur argent en Suisse. Le gouvernement allemand donne son feu vert et déclenche l’indignation en Suisse. Des offres similaires apparaissent alors.
26 mars 2010. Hans-Rudolf Merz s’accorde avec son homologue allemand Wolfgang Schaüble pour «enterrer la hache de guerre» et négocier un accord fiscal entre les deux pays.
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