Le secret bancaire perd de sa substance
Contrairement à ce qu'affirmait le gouvernement suisse en 2006, de récentes révélations démontrent que les autorités américaines ont bien accès à des données sur le trafic de paiements en Suisse. Une découverte qui a créé la stupeur et soulevé un tollé.
Un article paru dans le Tages Anzeiger, le 10 novembre dernier, met à mal des propos tenus par le gouvernement suisse en 2006. A l’époque (voire ci-dessous), le Conseil fédéral avait en effet affirmé que les autorités américaines n’avaient pas accès aux informations sur le trafic interne des paiements effectués en Suisse. Le gouvernement appuyait ses déclarations sur le fait que les transactions passaient par un réseau spécial, géré par «Swiss Interbank Clearing» (SIC).
A en croire le quotidien zurichois, 112 instituts bancaires helvétiques, désireux de contenir leurs frais, auraient opté pour une autre solution. Il s’agit de la plateforme Remotegate, elle aussi développée par le SIC. Mais avec une différence de taille: les opérations effectuées par le biais de Remotegate transitent par le réseau Swift (« Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication »), dont les serveurs sont hébergés sur le territoire américain.
En conséquence, une partie des données relatives au trafic de paiement interne – il serait question de quelque 120’000 transactions par mois – peuvent être visionnées par les autorités américaines, si ces dernières estiment nécessaire de le faire, par exemple dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Vent de critiques
Les révélations du Tages Anzeiger n’ont pas manqué de lever un vent de critiques. Plusieurs membres de la Commission de gestion du Parlement – qui avaient demandé au Gouvernement de s’exprimer en la matière en 2006 – ont fustigé le manque de transparence de l’Exécutif et de ceux qui étaient au courant de la situation, en particulier, l’Association suisse des banquiers, la Banque nationale, ainsi que la Commission fédérale des banques.
A cela s’ajoute la perplexité manifestée par plusieurs observateurs quant à la question du secret bancaire. Pour eux, la Confédération – qui monte au créneau lorsque les attaques émanent du reste de l’Europe – se montre impuissante lorsqu’il s’agit d’affronter les Etats-Unis.
Quantité négligeable
En réponse à cette levée de boucliers, le Département fédéral des finances (DFF) a précisé que la quantité de données potentiellement accessibles aux autorités américaines est «négligeable». Et de son côté, «Swiss Interbank Clearing» a rappelé que le 99% du trafic interne de paiements passe par son propre réseau, sans transiter par les Etats-Unis.
Quant à l’Association suisse des banquiers (ABT), elle a rejeté les accusations visant sa transparence. L’ABT affirme que seul un nombre limité d’instituts fait appel à Remotegate, et partant, qu’il est du ressort de ces banques d’informer leurs clients que des données les concernant sont potentiellement accessibles aux investigateurs américains.
L’Association suisse des banquiers a encore précisé que ces informations n’étaient utilisées que dans l’hypothèse où elles pouvaient avoir un lien avec la lutte contre le terrorisme. Et enfin, l’ABT a rappelé que le problème sera résolu dès la mise en service du nouveau centre informatique de la Swift qui se trouve en Suisse, vraisemblablement vers fin 2009.
Question de principe
«Les banques qui utilisent Remotegate sont tenues d’informer leurs clients de cette éventualité», relève Daniel Menna, le porte-parole du Préposé fédéral de la protection des données et à la transparence. «Peut-être l’ont-elle fait, mais nous ne pouvons pas le savoir».
Pour Daniel Menna, «il s’agit d’une question de principe. Et peu importe si cela touche le 1% ou le 50% du volume des transactions concernées. Si il n’est pas possible d’exclure que certaines données entrent en possession d’autorités étrangères, américaines en l’occurrence, cela doit être communiqué».
De plus, «il y a environ deux ans, le gouvernement avait affirmé que le trafic interne des paiements était à l’abri de ce genre d’ingérence. Or, la réalité apparaît bien différente».
«Il faut aussi considérer qu’à l’étranger – aux Etats-Unis par exemple – le niveau de protection des données personnelles ne correspond pas à celui en vigueur en Suisse. C’est la raison pour laquelle, lorsque des éléments sensibles sont transférés, il faut se montrer particulièrement vigilants », conclut-il.
Avis contrastés
Les réponses du DFF et des milieux bancaires n’ont pas convaincu tout le monde. Cités par le Tages Anzeiger, le sénateur libéral radical Dick Marty et la députée socialiste Maria Roth-Bernasconi ont réitéré leurs critiques à l’endroit du gouvernement.
Pour le conseiller aux Etats tessinois, «le Conseil fédéral a, une fois encore, perdu l’occasion de dire toute la vérité. C’est inacceptable», martèle le sénateur, alors que la conseillère nationale genevoise insiste sur le fait que «le nombre de transactions concernées ne change rien au problème. Le secret bancaire n’est plus garanti pour aucune opération interne, et c’est précisément ce qui nous a été caché».
Jean-Christian Lambelet, professeur d’économie à l’Université de Lausanne et expert en matière de secret bancaire, relativise les choses: «Il ne faut pas oublier qu’en matière de lutte contre le terrorisme il n’existe aucun secret bancaire. De plus, la Suisse reste un pays très petit, alors que les Etats-Unis sont une grande puissance, face à laquelle il est bien difficile de résister lorsque celle-ci exerce des pressions, comme cela avait été le cas par exemple avec l’affaire des fonds juifs en déshérence», explique le chercheur.
En ce qui concerne le secret bancaire, qui fait l’objet d’attaques toujours plus fréquentes, Jean-Christian Lambelet est moyennement optimiste: «La Suisse n’est plus le seul pays dans lequel existe le secret bancaire. Il suffit de penser aux îles de la Manche, à l’Autriche, à la Belgique, à Monte-Carlo, à Hong Kong et à Singapour. Si la Confédération parvient à tisser des alliances avec ces entités, les perspectives sont bonnes», conclut l’expert.
swissinfo, Andrea Clementi
(Traduction de l’italien : Nicole della Pietra)
En juin 2006, le New York Times révélait que, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les autorités américaines avaient pu accéder à des données portant sur des transactions financières internationales, gérées par le réseau de télécommunications «Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication» (Swift), dont le siège est en Belgique et qui compte une filiale aux Etats-Unis.
En Suisse, au début du mois de juillet 2006, la Commission de la gestion du Conseil national (Chambre du Peuple) avait demandé au Conseil fédéral (gouvernement) de prendre position sur cette question.
Celui-ci avec répondu que, s’agissant du trafic interne de paiements effectués en francs suisses, géré par la Swiss Interbank Clearing (et non par la Swift), les transactions qui se déroulaient à l’intérieur des frontières nationales n’étaient pas visées par les programmes de surveillance des USA.
Dans le cadre de l’assistance administrative prévue par l’accord de double imposition entre la Suisse et les Etats-Unis, l’UBS a transmis une centaine de noms de clients américains aux autorités de ce pays. L’épisode a été confirmé le 11 novembre par le ministre des finances Hans-Rudolf Merz.
Le Washington Post et le New York Times avaient révélé l’épisode dans leurs colonnes. Les clients américains de l’UBS risquent d’être inculpés par les autorités de leur pays pour fraude fiscale.
Au cours du mois de juillet, et suite aux aveux de l’ex-employé d’UBS Bradley Birkenfeld, qui avait admis avoir aidé des clients fortunés (de nationalité américaine) à détourner le fisc, la justice des Etats-Unis avait demandé à la grande banque helvétique de fournir les noms des clients impliqués.
Le responsable du secteur de la « Global Health Management » d’UBS, Raoul Weil a lui aussi récemment été interpellé par le département de justice américain pour avoir tenté de frauder le fisc.
Les sommes ainsi soustraites à l’Etat se monteraient à 20 millions de dollars.
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