Le tourisme suisse manque de coeur
Comme nous sommes chers, nous devons être bons. Et nous ne le sommes pas toujours. Paroles d'experts, devant les délégués de la 5e Suisse.
Placé sous le signe du tourisme, le 83e Congrès des Suisses de l’étranger est parvenu à cette conclusion: la Suisse est belle, mais elle doit réapprendre la cordialité.
«Tourisme et compétition internationale: la Suisse joue-t-elle encore en Ligue des Champions?» A ce leitmotiv en forme de question, le Congrès des Suisses de l’étranger n’a bien sûr pas pu apporter de réponse définitive.
Pour Adolf Ogi, le tourisme suisse doit changer d’état d’esprit. «Nous avons le plus beau pays qui soit dans un mouchoir de poche. Mais nous avons laissé l’émotion au frigo, nous avons perdu notre enthousiasme et nos qualités de cœur», confie à swissinfo l’ancien ministre et président de la Confédération.
La branche du tourisme a également commis l’erreur de négliger la concurrence. «A l’époque où tout allait bien, nous nous sommes endormis sur nos lauriers. Maintenant, nous devons payer la facture. Et ça fait mal», poursuit Adolf Ogi.
«Nous nous sommes tellement moqués des Autrichiens et maintenant, ils sont meilleurs que nous, ne peut-il que constater. Nous sommes devenus un pays sans émotion, et cela se sent dans la manière dont nous accueillons nos hôtes».
Un ballon à la place d’un fusil
Le cœur, l’émotion, l’enthousiasme, le nouveau Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le sport au service du développement et de la paix, lui, n’en manque pas lorsqu’il s’agit de présenter ses activités aux quelques 400 congressistes réunis à Interlaken.
En 2005, promue année internationale du sport, Adolf Ogi n’a cessé de courir le monde, d’Afrique au Brésil et du Cambodge en Palestine. Partout, il a été impressionné, ému, remué, heureux de voir «même si ce ne sont que de petites choses au début» ce qui se passe lorsque l’on met un ballon au lieu d’un fusil entre les mains d’un enfant.
Toujours aussi bouillant (à 63 ans), il n’a eu aucune peine à convaincre l’auditoire de la valeur du sport comme école de vie, de combativité (dans le bon sens du terme), de discipline et de respect.
«Ce que je fais, j’y crois et ce à quoi je crois, je le fais». Venant d’Adolf Ogi, cette profession de foi sonne vrai.
Mais revenons au tourisme…
Chez Jürg Schmid aussi, l’enthousiasme est palpable. En introduction, le directeur de Suisse Tourisme présente un film à couper le souffle, montage serré de plans sur les beautés de la nature helvétique – et Dieu sait s’il y en a -, sur fond de «This could be heaven», des Queen.
Choix doublement judicieux: les Anglais sont bien ceux qui ont «inventé» le tourisme suisse au 19e siècle et le chanteur Freddie Mercury avait choisi comme seconde patrie la station de Montreux, qui lui a élevé une statue.
Mais la beauté ne fait pas tout, note fort à propos l’orateur. Autrefois, il suffisait de mentionner l’arrivée de l’hiver en Suisse sur une affiche pour attirer le client, «on savait que tout le monde avait envie de venir ici». Alors qu’aujourd’hui… La Suisse est en concurrence avec 190 autres pays, souvent plus exotiques, plus souriants et… moins chers.
Dans ce dernier domaine, Jürg Schmid ne cache pas la réalité du problème: en Suisse, salaires, marchandises et services sont chers. Et la branche touristique aura toujours besoin de beaucoup de personnel. Pas moyen d’automatiser, encore moins de délocaliser.
«Nous avons été les pionniers du tourisme alpin, note le patron de Suisse Tourisme. Mais le problème est que bien de nos infrastructures datent de cette époque». Ainsi, on estime généralement que le seuil de rentabilité d’un hôtel est à 40 chambres. Or, la moitié des hôtels suisses ont 20 chambres ou moins.
L’épaisseur de la TVA
Des économies sont pourtant possibles. Notamment en coordonnant mieux les efforts de promotion. Inutile aujourd’hui que chaque office de tourisme de village ait son prospectus et son site internet. Il faut vendre d’abord la Suisse, et ensuite telle ou telle station.
Un sujet qui ressortira dans la table ronde finale, et qu’évoque également Hans-Rudolf Merz. «Les gens d’Adelboden semblent avoir compris que leurs concurrents ne sont pas les voisins de la Lenk, mais plutôt les stations balnéaires lointaines», note le ministre des finances.
Malgré le sérieux de son propos, celui-ci parvient à faire rire l’auditoire en exhibant une liasse de papier aussi épaisse que trois bibles. «Ceci est l’ensemble des lois et règlements auxquelles un hôtelier doit se conformer pour taxer ses clients en fonction des services fournis», explique le ministre, fervent partisan de l’unification des taux.
Quant à savoir si la Suisse joue toujours en Ligue des Champions, Hans-Rudolf Merz ne tranche pas: «oui et non. La Ligue des Champions n’est pas une société fermée. On doit à chaque fois se qualifier pour y entrer, et l’exemple récent du FC Thoune nous montre que même les petits et les outsiders peuvent y arriver».
L’éternel féminin
Y arriver… à condition de faire un effort. «Il faut faire plus que ce que le client attend», énonce Anton Mosimann, le cuisinier suisse des grands de ce monde, passablement fier de sa propre «success story» londonienne.
Le thème sera repris par tous les intervenants de la table ronde finale: les professionnels suisses du tourisme doivent absolument soigner l’accueil, la cordialité et ne plus se contenter de mettre en avant les seules merveilles naturelles du pays.
«Trève de rigidité et de morosité. Place à la souplesse, à la sensibilité, à la générosité, à la cordialité» conclut en substance Jacques-Simon Eggly, vice-président de l’Organisation des Suisses de l’étranger. Non sans relever que les qualités dont le tourisme suisse a le plus besoin sont essentiellement… féminines.
swissinfo, Marc-André Miserez à Interlaken
Le tourisme suisse en 2004:
46 milliards de francs suisses de recettes directes et indirectes
Capacité hôtelière 258’000 lits
65 millions de nuitées, ce qui place le pays au 17e rang des plus visités au monde
45% de clientèle suisse
10,1 millions de visiteurs étrangers
240’000 emplois, un Suisse sur 12 travaille dans le tourisme
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