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Le trust, rival gagnant du secret bancaire

La City londonienne et les anciennes colonies britanniques devenues des paradis fiscaux gèrent bien plus d'avoirs non déclarés que la Suisse. Keystone

Estimé à 13’700 milliards de dollars, le marché de l’évasion fiscale est au centre d’une guerre commerciale impitoyable. Face à ses concurrents anglo-saxons, la Suisse aurait avantage à mettre en lumière les dessous économiques du débat, suggère Myret Zaki dans son dernier livre.

A qui profite le crime? Cette question, la journaliste économique – qui s’était déjà penchée sur la débâcle américaine d’UBS – la pose dans son livre «Le secret bancaire est mort, vive l’évasion fiscale».

Sa réponse? Principalement aux juridictions anglo-saxonnes, où prospèrent les trusts. Ces structures opaques sont, d’après ses propres termes, les «instruments rois» de l’évasion fiscale.

Un marché que l’ONG Tax Justice Network a estimé à 11’500 milliards de dollars en 2005 et qui pèserait aujourd’hui, selon Myret Zaki, 13’700 milliards. Soit un peu moins que le PIB américain.

Par rapport à cette somme, l’activité de la place financière suisse reste marginale. En 2008, elle gérait quelque 2200 milliards d’avoirs privés transfrontaliers, dont la moitié environ serait non déclarée.

Aux arguments moraux brandis par ses voisins dans le débat autour du secret bancaire, la Confédération devrait donc opposer une certaine résistance, préconise la journaliste. Elle devrait aussi revendiquer l’égalité de traitement et ne pas céder trop et trop vite face aux pressions internationales.

swissinfo.ch: Vous invitez donc à lire les événements récents sous l’angle d’une guerre économique…

Myret Zaki: Prenez les Etats-Unis, l’administration Obama et les démocrates comme le sénateur Levin ont constaté qu’il y avait des abus notables par exemple dans les Caïmans et dans d’autres îles des Caraïbes, mais ils se sont concentrés uniquement sur la Suisse. Aucune banque américaine n’a été inquiétée comme l’a été UBS, dont on a voulu faire un exemple.

Quand les Américains agissent, ils le font uniquement par rapport à des industries financières d’autres pays et ils ne s’en prennent pas, par exemple, aux banquiers de Floride, qui abritent énormément d’argent, notamment mexicain. UBS ne gérait que 1% environ de l’évasion fiscale américaine. Mais qu’est-ce qui a été fait pour le 99% restant ? Rien.

swissinfo.ch: Et quel a été le rôle de Londres?

M.Z.: De tout temps, les places financières suisse et londonienne ont été rivales, mais il était de bonne guerre que chacune essaie de concurrencer l’autre. Actives sur un même marché, celui de la gestion de fortune transfrontalière, elles avaient des méthodes différentes.

Mais les Britanniques ont beaucoup œuvré au sein de l’UE et de l’OCDE pour que la Suisse harmonise sa fiscalité et qu’elle cesse d’opérer une concurrence fiscale dommageable à leur encontre.

De leur côté, ils ont jalousement préservé leur marché des eurobonds. Ils ont en outre toujours veillé à la compétitivité des îles anglo-normandes en matière de trusts et de fondations, en permettant que des pratiques opaques soient toujours possibles pour ces structures: l’île de Jersey n’a par exemple jamais échangé d’informations sur un trust!

swissinfo.ch: Peut-on dès lors penser que les assauts contre le secret bancaire suisse sont le fruit d’une stratégie concertée de la part des pays anglo-saxons?

M.Z.: Disons plutôt que la fin du secret bancaire a été provoquée et précipitée de façon brutale pour des raisons qui sont très largement économiques et commerciales. Une conjonction s’est opérée entre les intérêts des principales places financières rivales de la Suisse – à savoir le Royaume-Uni et ses juridictions annexes ainsi que les Etats-Unis et les Caraïbes – et les intérêts de pays européens à récupérer leurs recettes fiscales.

swissinfo.ch: Le G20, l’OCDE ou même l’UE ont recouru à des arguments moraux pour s’en prendre à la Suisse. Pourquoi restent-ils muets face aux trusts?

M.Z.: La seule explication est que l’OCDE fait elle-même les listes grises et les listes noires, décide elle-même qui sont les bons et les mauvais élèves et détermine qui est transparent et qui ne l’est pas. Or elle est largement contrôlée par les Britanniques et les Américains. Ses décisions se prennent en fonction du poids politique de ses membres et les grandes places financières sont aussi des Etats forts, qui peuvent par conséquent se protéger.

swissinfo.ch: A vous lire, la Suisse est victime d’une inégalité de traitement. Mais a-t-elle les moyens de faire valoir cette position?

M.Z.: Il lui est certes très difficile de faire valoir sa position. Mais elle a trop vite cédé dans l’affaire UBS et a réagi de façon beaucoup trop soumise face à l’OCDE. Les conventions qu’elle a renégociées vont dans le sens des souhaits de l’OCDE, alors que ses pratiques d’évasion fiscale sont aujourd’hui marginales au niveau mondial.

swissinfo.ch: Vous écrivez également que la Suisse a été une «proie facile»… Quelles ont été les erreurs de la place financière helvétique?

M.Z.: C’est peut-être d’avoir pensé trop longtemps que le secret bancaire pouvait survivre dans l’environnement actuel. Aujourd’hui, la confidentialité vaut de l’or. Il n’est plus possible, en pratique, de l’obtenir, sans payer un prix extrêmement élevé. Or le secret bancaire n’est finalement qu’une loi territoriale et est par là vulnérable. Rien qu’avec des attaques médiatiques, il était facile de faire des dégâts

swissinfo.ch: Les débats autour de l’échange automatique d’informations battent leur plein. Quelle attitude la Suisse devrait-elle adopter dans ce dossier?

M.Z.: Ce qu’elle aurait dû faire, c’est de demander un accès aux services financiers de l’Union européenne en échange uniquement de l’échange d’informations à la demande. Or elle est sur le point d’accorder l’échange automatique d’informations, qui est un prix bien trop élevé contre l’accès au marché européen des services financiers.

Carole Wälti, swissinfo.ch

Depuis fin 2008, les coups de boutoir contre le secret bancaire se sont multipliés.

En février 2009, la Confédération a autorisé UBS à livrer 255 noms au fisc américain. Celui-ci a alors réclamé 52’000 noms.

En août 2009, Berne a signé avec Washington un accord prévoyant l’identification de 4450 comptes bancaires.

En janvier 2010, une décision du Tribunal administratif fédéral sur recours d’une cliente américaine a cependant bloqué la livraison de ces données.

Parallèlement, sous pression du G20 et de l’OCDE, la Suisse a annoncé au printemps 2009 sa volonté d’assouplir le secret bancaire suivant les standards de l’OCDE.

Depuis, Berne a entrepris de renégocier les conventions visant à régler l’entraide administrative en cas d’évasion fiscale avec toute une série de pays.

En septembre 2009, l’OCDE a biffé la Suisse de sa liste grise suite à la signature de 12 de ces conventions.

Certaines de ces conventions passeront devant la Chambre haute lors de la session de mars. Après avoir tergiversé, le gouvernement a décidé de les soumettre au référendum facultatif.

Les récentes affaires de vol de données bancaires ont eu pour conséquence le gel des négociations avec la France. Les discussions continuent par contre avec l’Allemagne.

Droit anglo-saxon. Un trust est une sorte de contrat privé par lequel le propriétaire d’une fortune s’en déssaisit au profit d’un mandataire (trustee) chargé de la gérer dans l’intérêt des personnes désignées comme bénéficiaires.

Paradis fiscaux. De nombreuses anciennes colonies britanniques et certains Etats américains comme le Delaware possèdent une législation sur les trusts qui exempte ces derniers d’impôts.

Family Office. Coûteux à sa création (plus de 20’000 dollars), le trust s’adresse plutôt à de grandes fortunes familiales organisées sous forme de structure de gestion de patrimoine.

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