Le vrai prix du pétrole
Avoir du pétrole n’est pas forcément une bénédiction. Il alimente, souvent, des guerres civiles, soutient des régimes corrompus et entraîne la pauvreté et une dégradation de l’environnement.
Une table ronde s’est récemment tenue à Berne sur le rôle que des pays importateurs comme la Suisse pourraient avoir pour atténuer les effets négatifs l’or noir.
«Le pétrole représente de réelles perspectives de croissance et de réduction de la pauvreté. Mais il a été lié aux conflits et au déclin», assène Paul Collier, directeur du Centre pour l’étude des économies africaines (CSAE) à l’université d’Oxford.
«La tâche de la communauté internationale est de faire un meilleur usage des opportunités offertes par le pétrole pour mettre fin à la situation désastreuse que nous avons pu observer ces 30 dernières années.»
Le débat sur l’or noir était au centre de la conférence annuelle de swisspeace, la Fondation suisse sur la paix dont le siège est à Berne. Elle analyse les origines des guerres et des conflits violents et élabore des stratégies visant à favoriser la paix.
Suivre l’argent à la trace
Contraindre les sociétés à déclarer combien d’argent elles versent aux gouvernements pour extraire le pétrole est considéré comme une mesure vitale. Car cela permet d’accroître la responsabilité dans les pays où les revenus pétroliers sont dilapidés par l’élite au pouvoir.
«Les compagnies doivent agir d’une manière transparente», affirme Paul Collier, qui a dirigé le groupe de recherche Développement de la Banque mondiale (BM) jusqu’en avril 2003.
«Jadis, ajoute-t-il, elles négociaient un accord secret avec le président d’un pays. Cet accord était très avantageux pour la société et le président, mais pas du tout pour le pays lui-même.»
«Ce genre de comportement, assure Paul Collier, ne résisterait pas une journée à un examen sérieux devant nos parlements. Nous avons obtenu d’opérer dans les pays en développement de la même manière que nous opérons chez nous. Et la première étape, c’est la transparence des paiements effectués.»
Le directeur du CSAE à l’université d’Oxford estime en outre que la société civile dans les pays en développement peut utiliser les informations sur les revenus pétroliers pour commencer à poser des questions embarrassantes sur la manière dont l’argent est dépensé ou gaspillé.
Modèle de travail
Le Tchad est un des pays les plus pauvres au monde, avec un revenu annuel par habitant de moins de 250 dollars.
Aux termes de l’accord signé en 2000 avec la Banque mondiale (BM), le gouvernement de N’Djamena s’est engagé à une plus grande transparence et à une gestion intègre de la manne pétrolière.
«La transparence, cela signifie que des audits sont menés sur les dépenses publiques, sur les contrats d’achat. Et ces audits sont publiés, déclare Gregor Binkert, représentant de la BM au Tchad.
Le Tchad ne va jamais devenir un géant de l’or noir. Mais avec des revenus pétroliers escomptés de 100-130 millions de dollars par an, cela pourrait doubler le revenu par habitant.
L’objectif de la BM est de réduire la pauvreté en s’assurant que l’argent est utilisé pour le développement rural, la santé et l’éducation.
Cependant, certains affirment que les mécanismes de contrôle pour tracer les dépenses ne fonctionnent pas.
«L’attitude et le comportement du gouvernement sont décisifs», explique Soumaine Adoum, représentant de l’organisation caritative Swissaid au Tchad.
«Or, ajoute-t-il, la Banque mondiale n’a pas beaucoup d’influence sur cela.»
Pour sa part, Gregor Binkert fait remarquer que la mise en place du système n’en est qu’à ses débuts.
Pétrole et éthique
Certaines compagnies pétrolières se sont déjà engagées à adopter un comportement conforme à l’éthique d’entreprise, et en particulier à respecter les droits de l’homme.
La compagnie suédoise Lundin, dont la filiale principale se trouve à Genève, dirige un certain nombre de projets de développement de communautés au Soudan.
«Il y a certaines dépenses que l’on fait avec l’espoir d’obtenir éventuellement quelque chose en retour», explique Christine Batruch, vice-présidente de la division responsabilité d’entreprise de Lundin.
«Je dirais que la responsabilité d’entreprise relève de cette forme d’investissement. Si la communauté est satisfaite de ce que nous faisons, nous travaillerons mieux avec elle et donc nous en tirerons un profit.»
Le rôle de la Suisse
Même des petits pays comme la Suisse ont un rôle à jouer. Par le biais d’initiatives diplomatiques afin de faire pression sur les gouvernements et les compagnies. Ou en faisant en sorte que l’argent détourné n’y est pas blanchi.
«La Suisse n’a pas un grand rôle dans le secteur du pétrole. Et ce n’est pas possible pour des petits pays d’apporter des changements dans la manière dont le pétrole est produit et commercialisé, explique Ivo Kaufmann.
«Toutefois, ajoute le chef du secteur Investissements internationaux et entreprises multinationales au Secrétariat d’Etat à l’économie, en notre qualité de place financière nous nous devons de venir avec des solutions quand il devient évident que l’argent a été détourné et blanchi.»
«Et dans ce domaine, conclut Ivo Kaufmann, la Suisse a certainement entrepris d’importantes mesures ces dernières années.»
Pour sa part, Rudolf Rechsteiner, chargé de cours sur l’écologie à l’université de Bâle et député, estime que la solution repose sur la réduction de la dépendance au pétrole et aux autres ressources non-renouvelables.
swissinfo, Vincent Landon
(Traduction: Chantal Nicolet)
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