Les autres paradis fiscaux sont une chance pour la Suisse
Sur le secret bancaire comme sur les perspectives de sa place financière, qui gère 35% de la fortune privée mondiale, la Suisse n'a pas grand chose à craindre. C'est l'avis de Youssef Cassis, historien de la banque à l'Université de Genève.
Youssef Cassis a été mandaté par la Banque Pictet pour réaliser, à l’occasion de son bicentenaire en 2005, la première étude du genre sur l’histoire des places financières internationales. La réédition de son livre en France vient à point nommé, alors que le monde de la finance connaît de profondes turbulences.
swissinfo: La place financière suisse est dominée par les deux grandes banques multinationales, UBS et Credit Suisse, dont «le poids international, écrivez-vous, n’est pas forcément à l’avantage de la place financière suisse». Les déboires de ces banques aux Etats-Unis ne semblent pas vous donner tort…
Youssef Cassis: Le destin de la place financière suisse et celui des deux grandes banques n’est certes plus nécessairement lié. Mais je vais vous étonner. Il me semble que ce qui se passe aujourd’hui est à l’avantage de la place financière suisse. Cette dernière, Genève notamment, va continuer à bénéficier de sa réputation de capitale de la gestion de fortune. La réputation des banques suisses, dans ce domaine, n’est pas entachée. La place financière suisse s’en sort mieux que New York et Londres, ses principales concurrentes.
swissinfo: Vous êtes historien: rien de comparable avec les années 30?
Y.C.: Pas vraiment. Il y avait huit grandes banques en Suisse, à l’époque. Seulement deux, Credit Suisse et la Société de banque suisse, sont sorties intactes de la crise. Les autres ont procédé à d’importantes réductions des fonds propres.
Certaines, comme la Banque populaire suisse, ont été sauvées par la Confédération. Certaines encore ont fait faillite. Ce fut le cas de la Banque d’escompte suisse, à Genève. Aujourd’hui, je ne vois franchement pas UBS disparaître. Surtout pas après sa recapitalisation.
swissinfo: Vous ne pensez pas qu’une intervention de l’Etat sera nécessaire?
Y.C.: L’histoire montre, en effet, que les gouvernements ne laissent pas tomber les grandes banques. En Allemagne, en 1931, dans un climat de panique et de retraits de fonds, le chancelier du Reich ordonna la fermeture pendant deux jours de toutes les banques, avant de prendre les choses en main.
En France, le Crédit lyonnais s’est trouvé dans une situation semblable dans les années 90. Récemment, en Grande-Bretagne, l’Etat est venu au secours de Northern Rock. Mais on n’en est pas là pour UBS. Cette banque reste très solide. Elle devrait regagner la confiance. Elle n’est en tout cas pas en plus mauvaise posture que les grandes banques américaines.
swissinfo: Dans votre livre, vous ne semblez pas vous faire beaucoup de souci pour le secret bancaire qui «continue à représenter l’un des principaux avantages concurrentiels de la place financière helvétique». Vous n’êtes pas trop optimiste?
Y.C.: La Suisse gère près de 35% de la fortune privée mondiale «offshore», largement devant la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Les fonds continuent à y venir, malgré la stabilité politique et monétaire dans les pays voisins. J’y vois le signe que le secret bancaire continuera à jouer un rôle en Suisse et qu’il constitue un atout supplémentaire pour les banques suisses. Je n’ai pas l’impression que la classe politique suisse lâchera de sitôt le secret bancaire.
swissinfo: Mais les pressions de Bruxelles ne sont tout de même pas du bluff?
Y.C.: Le problème, pour Bruxelles, c’est que les exceptions au sein de la Communauté elle-même, ne sont pas rares. Voyez le Luxembourg, les îles anglo-normandes, l’Autriche. Toutes ces régions peuvent être considérées comme des paradis fiscaux. Tant que cette diversité existera, la Suisse jouera sur du velours.
swissinfo: Singapour, dont un fonds d’Etat vient d’entrer dans UBS, et Hong Kong ne vous font pas peur?
Y.C.: Je ne crois pas que l’entrée d’un fonds singapourien dans UBS soit une menace pour la place financière suisse. Le critère des fonds souverains asiatiques ou arabes est le rendement. Une tentative de véritable mainmise leur apporterait plus de problèmes qu’autre chose.
Interview swissinfo: Christian Campiche/La Liberté
* «Les Capitales du Capital – Histoire des places financières internationales, 1780-2005», par Youssef Cassis, Editions Honoré Champion, 2008
La place financière suisse «pèse» 192’900 postes de travail (2007), dont 119’900 dans le seul secteur bancaire. C’est 6% du total de l’emploi en Suisse.
Ce secteur réalise 11,5% de la création de valeur totale de l’économie suisse ou 52,6 milliards de francs en 2005.
Le secteur financier génère le quart de l’excédent de la balance suisse des transactions courantes (balance commerciale + balance des invisibles comprenant les services, revenus et transferts).
En Suisse, il n’y a pas de comptes anonymes. La banque doit connaître l’identité du titulaire du compte.
Mais cette information est protégée par le secret bancaire. Elle ne peut pas être divulguée.
Exceptionnellement, le secret bancaire peut toutefois tomber sur ordre d’une autorité judiciaire, lorsqu’on soupçonne une activité criminelle (ce qui ne comprend pas l’évasion fiscale).
En Europe, l’Autriche et le Luxembourg appliquent un secret bancaire similaire à celui de la Suisse.
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