Des perspectives suisses en 10 langues

Les banques face à une amnistie fiscale à l’italienne

Keystone

La troisième amnistie fiscale décrétée par le gouvernement italien depuis 2001, entre en vigueur le 15 septembre prochain. Certains redoutent un nouvel exode de capitaux; d'autres, dénoncent un système qui entache la crédibilité d'un pays tiers. Enquête.

Alors qu’ils étaient plutôt loquaces au sujet des deux dernières amnisties fiscales italiennes de 2001 et de 2003, désormais, les banquiers suisses se taisent. Ils attendent de découvrir les détails du troisième «scudo» (bouclier) fiscal italien, et partant, l’impact qu’il aura sur les places financières helvétiques.

Leur mutisme est aussi à mettre sur le compte d’un contexte international pour le moins délicat, qui place la Suisse et son secret bancaire dans une position pour le moins inconfortable. Des treize Conventions de double imposition que la Confédération doit signer avec des pays tiers, celle avec l’Italie est toujours en attente d’être paraphée.

Règles du jeu changeantes

De plus, la grande prudence des banquiers suisses en général et tessinois et particuliers – puisque c’est sur la place luganaise que la plus grande partie des avoirs italiens sont placés – s’explique aussi à la lumière des expériences précédentes, vécues en 2001 et 2003. A l’époque, le gouvernement italien avait fixé un cadre réglant les grandes lignes de la période de grâce. Mais au fil des mois, des détails et des modifications ajoutés avaient quelque peu biaisé la situation.

Aujourd’hui encore, ils attendent de voir quelles seront les changements introduits par le ministère italien des finances pour doper le scudo dans les mois à venir. «Le but de l’opération est que l’amnistie fonctionne et porte ses fruits. Si cela devait s’avérer nécessaire, l’Italie pourrait bien modifier les conditions de la sanction par exemple», explique Edward Greco, avocat d’affaires à Lugano, spécialiste du droit fiscal italien.

Dizaines de milliards

Les deux «scudi»i précédents avaient globalement rapporté environ 25 à 30 milliards d’euros placés sur des comptes en Suisse, selon le patron du ministère italien des finances, Giulio Tremonti. «Il est encore trop tôt pour avancer des estimations, mais l’impact pourrait être similaire cette fois encore», dit le directeur de l’Association tessinoises des banques (ABT), Franco Citterio.

«Il est évident que les 70 banques présentes sur la place luganaise sont toutes interpellées par cette mesure et tentent de s’y préparer au mieux», ajoute-t-il encore. Toujours selon le ministère italien, ce sont quelque 550 milliards d’euros appartenant à des ressortissants italiens qui seraient placés à l’étranger, en Suisse en particulier.

Les maîtres-mots dans ces circonstances sont «communication» et «formation». «Nous formons les collaborateurs des banques afin qu’ils soient en mesure d’expliquer tous les détails et conditions de l’amnistie, afin que le client soit le mieux informé possible», souligne Franco Citterio.

La position de la Suisse a changé

A moins d’une semaine de l’entrée en vigueur du «scudo Tremonti III», la question de savoir dans quelle mesure cette troisième relaxe fiscale italienne va affecter la place financière helvétique reste donc ouverte.

«Les clients qui n’avaient pas voulu profiter des deux premiers ‘scudi’ ne le feront guère non plus cette fois-ci», assure Edward Greco. «Les détenteurs de patrimoine qui visent une stratégie de placement sur le long, voire le très long terme, n’envisagent pas de rapatrier leurs fonds dans leur pays», précise-t-il.

Un avis qui n’est pas partagé par tous les observateurs. «La crise économique internationale pourrait pousser des patrons de PME, par exemple, en proie à des difficultés financières avec leur entreprise en Italie, à vouloir récupérer des capitaux qui dorment sur un compte bancaire à l’étranger», rappelait il y a quelques semaines, le professeur de droit et membre du comité de droit bancaire de l’Université de Genève, Henry Peter, également avocat à Lugano.

«Quoi qu’il en soit, il faudra attendre les mois à venir pour se faire une idée plus précise de la tendance, voire même attendre la dernière phase, juste avant la fin de l’amnistie qui est fixée au 15 avril. Avant cela, il y a peu de chances pour que nous assistions à un exode massif», ajoute encore Edward Greco.

Moralité à géométrie variable

Il n’empêche que la fréquence avec laquelle le gouvernement de Silvio Berlusconi décrète des amnisties fiscales, en étonne plus d’un. «Une telle mesure tous les deux ou trois ans, comme le fait l’Italie, laisse songeur quant à la moralité d’un Etat», souligne Franco Citterio. «Dans un système fiscal occidental et démocratique, une amnistie est une mesure absolument extraordinaire, qui est prononcée pour répondre à une situation exceptionnelle».

En l’occurrence, l’entrée de la Botte dans le système monétaire européen, soit le passage de la lire à l’euro avait justifié la première amnistie Tremonti. La seconde avait été présentée comme un prolongement «nécessaire» du premier volet. Alors que l’idée de cette troisième mesure était née au lendemain du tremblement de terre qui avait frappé la région de l’Aquila dans les Abruzzes.

«Ces événements extraordinaires permettent de faire accepter les ‘scudi’ auprès de l’opinion publique», explique de son côté Edward Greco. Reste à savoir maintenant quel «événement extraordinaire» permettra de justifier le quatrième «scudo» italien, dont il est déjà question dans la Péninsule, alors même que la troisième amnistie n’a pas encore officiellement débuté.

Nicole della Pietra, swissinfo.ch

Après les amnisties dites Tremonti (du nom du ministre italien des finances, Giulio Tremonti) de 2001 et de 2003, le gouvernement de Silvio Berlusconi s’apprête à lancer une troisième période de relaxe, pour permettre aux fraudeurs de se réconcilier avec l’administration fiscale de leur pays.

Les contribuables italiens, dont les fonds étaient déposés sur des comptes bancaires compris dans l’Union Européenne (UE) ou dans l’Espace économique européen, ont le choix de rapatrier physiquement ou virtuellement leurs capitaux dans des instituts financiers de leur pays. Ils disposent d’une période de sept mois pour le faire. La sanction – ou l’impôt supplémentaire – prévue est de 5%, contre 2,5% pour les deux précédentes amnisties.

Dans l’hypothèse d’un rapatriement virtuel, les avoirs devront être annoncés dans une société fiduciaire italienne, une étape obligatoire prévue par la loi cadre, mais pourront rester sur leurs comptes, en Suisse, ou sur d’autres places financières étrangères.

L’amnistie qui touchera à sa fin le 15 avril 2010, pourrait néanmoins encore faire l’objet de quelques retouches durant la période d’application du décret. Ainsi, si l’afflux de capitaux devait ne pas répondre aux attentes du gouvernement italien, les conditions de la sanction pourraient être allégées, afin d’encourager les déclarations.

La dernière amnistie fiscale prononcée par la Suisse au niveau fédéral remonte a quarante ans. Elle avait permis de récupérer 11 milliards de francs suisses.

La conférence des ministres cantonaux des finances planche actuellement sur une proposition de la Tessinoise Laura Sadis, en vue d’une nouvelle amnistie de ce types, au titre de plan de relance économique.

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision