Les banques suisses tirent la leçon de Lehman Brothers
Le système bancaire suisse réagit plus rapidement que d'autres dans le monde à la débâcle dévastatrice de Lehman Brothers, survenue l'an dernier. C'est en tout cas l'avis de plusieurs observateurs interrogés par swissinfo.ch.
Il y a juste un an, Lehman Brothers, une des institutions les plus respectées de Wall Street, a fait faillite, au plus fort de la crise financière. Un séisme dont les répercussions ont été ressenties sur toute la planète, et qui a accéléré la récession économique globale.
Les banques en possession de produits Lehman Brothers se sont vues contraintes de comptabiliser des pertes venant s’ajouter à celles liées aux titres «subprime» totalement dévalorisés.
Ces banques se sont trouvées confrontées à des clients en colère, faisant reposer la responsabilité de leurs pertes sur les conseillers de ces banques, coupables à leur yeux de leur avoir vendu des produits d’investissement Lehman Brothers .
UBS et Credit Suisse ont été les banques helvétiques les plus touchées par la débâcles et ses suites, même si beaucoup d’autres en ont aussi fait les frais.
Mais, alors que les banques américaines montrent tous les signes d’un retour à la bonne vieille culture de la prise de risque élevé, les institutions suisses paraissent tenir compte des leçons du passé, estime Amit Goyal, professeur à l’institut de banque et finance (IBF) de l’Université de Lausanne.
«La part de risque est plus faible qu’au moment du pic de la crise, mais je ne suis pas certain qu’aux Etats-Unis, elles [les banques] soient de retour dans une situation souhaitable sur le plan de risque. La leçon prend un temps énorme à être digérée.»
«Les Suisses font mieux à cet égard, en diminuant leur niveau de levier [dette]. Les banques suisses ont, de plus, pris le bon chemin en matière de système de rémunération.»
Le traitement des clients
Credit Suisse est revenu à la profitabilité cette année, ayant pu tabler sur une approche précoce de réduction des risques et d’augmentation des réserves en capital. UBS privilégie la même voie mais sa route est plus chaotique en raison du montant initial de ses pertes.
Credit Suisse, au surplus – et d’autres institutions suisses comme les banques cantonales de Berne et de Lucerne – se sont rangées à l’idée de rembourser à leurs clients une partie des pertes engendrées par les produits Lehman Brothers qu’elles leur ont vendu.
Avocat et représentant de nombreux clients, Daniel Fischer juge que cette approche porte ses fruits et qu’elle apparaît en fort contraste avec le comportement des banques d’autres pays.
«L’impact sur la réputation [des banques] consécutif au collapse de Lehman Brothers est resté contenu en Suisse», constate-t-il.
Il n’en reste pas moins qu’aux Etats-Unis, UBS doit faire face à des plaintes collectives en lien avec la vente à ses clients de produits Lehman.
Une régulation volontariste
Autre aspect important: la Finma, l’autorité de régulation des marchés financiers et des banques, n’est pas restée en retrait cette dernière année, elle n’a pas laissé les banques résoudre seules leurs problèmes.
Pour faire face au risque, les banques suisses ont de tout temps été forcées de se doter d’un capital plus important que ne le prévoient les standards en vigueur dans le monde. Un système qualifié de «Swiss finish». La Finma exige toutefois, dorénavant, que les plus grandes institutions se dotent d’un filet de sécurité encore plus large, pour le cas où la choses devaient à nouveau mal tourner.
De plus, le régulateur a établi de nouveaux standards rigoureux pour les bonus et rémunérations, qui entreront en vigueur au début de l’an prochain. Ils prévoient que les banques reportent le paiement d’une part des bonus, part qui sera versée si, et seulement si, des objectifs de stabilité dans le long terme sont atteints.
Reste la question du «too big to fail» – la faillite de grandes banques jugée impossible en raison de son impact sur l’économie. Cette question est toujours d’actualité, et certains observateurs souhaitent la voir empoignée.
A trois pour exiger
Début septembre, une coalition hétéroclite composée de l’industriel de l’horlogerie Nicolas G Hayek, de l’ancien ministre de la justice Christoph Blocher (droite conservatrice) et du président des socialistes suisses Christian Levrat a appelé à une réduction de la taille des grandes banques.
Aux yeux d’Amit Goyal, une telle mesure interférerait trop fortement dans le fonctionnement naturel des marchés financiers, sans compter aussi la difficulté de trancher sur la question de la taille.
«Comment réduire la taille d’une banque – qu’elle est, au fond, la bonne taille?, se demande-t-il. Je ne crois pas qu’il faille forcer une banque à vendre des divisions au motif qu’elles sont trop à risque.»
Matthew Allen, swissinfo.ch à Zurich
(Traduction/adaptation de l’anglais: Pierre-François Besson)
Le 15 septembre 2008, la banque d’investissement Lehman Brothers a fait banqueroute – la plus importante de l’histoire bancaire américaine.
Comme nombre d’autres institutions financières dans le monde, Lehman était sur-exposée aux crédits à risque dit «subprime», dont la valeur s’est effondrée.
Avant Lehman Brothers, le gouvernement américain avait renfloué les institutions en difficulté. Mais il a mis une limite en refusant de sauver la banque grâce à l’argent des contribuables.
La débâcle d’une maison de cette taille a accru la déprime des bourses et bloqué le système financier lorsque les banques ont cessé de se prêter de l’argent.
Par la suite, les gouvernements ont renfloué les banques et d’autres institutions à une large échelle. En Suisse, UBS a obtenu une injection de fonds de la part de la Confédération et la possibilité de se délester de ses actifs «toxiques».
Selon PricewaterhouseCoopers, l’administrateur judiciaire de Lehman en Europe, le règlement de la faillite pourrait prendre dix ans.
L’industrie financière est pour sa part accusée de ne pas tenir compte des avertissements du passé.
Le think tank Institute for Public Policy Research affirmait récemment que les réformes se sont jusqu’ici avérées «très limitées». Le président américain Obama a déclaré que le secteur retombait dans la complaisance, alors que le premier ministre britannique avertissait que le travail n’est pas achevé dans le domaine des banques.
L’opinion publique est divisée sur la question de savoir si un sauvetage de Lehman Brothers aurait fait une différence pour la crise financière et la récession économique qui a suivi.
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