Les consommateurs prennent leur destin en main
Trois organisations de consommateurs des trois régions linguistiques de Suisse ont uni leurs forces dans un programme commun. Objectif: améliorer leur visibilité tout en préservant les spécificités régionales. Mais aussi aborder globalement une économie mondialisée.
«Nous sommes tous des consommateurs et cette spécificité fait que le discours est à la fois très précis et très large, si bien qu’il déborde les idéologies partisanes et n’a qu’un faible poids politique», explique Ariane Morin, professeur de droit privé à l’Université de Lausanne.
C’est peut-être en raison de cette complexité que la Suisse compte quatre associations et fondations, divers journaux et programmes TV spécialisés. La ministre de l’Economie Doris Leuthard a maintes fois regretté cette dispersion des interlocuteurs.
«Programme commun»
Et voilà que les trois principales organisations serrent les rangs. La Stiftung für Konsumentenschutz (SKS), l’Associazione consumatrici et consumatori della Svizzera italiana (ACSI) et la Fédération romande des consommateurs (FRC) ont publié en janvier un «programme commun 2010».
Mathieu Fleury, secrétaire-général de la FRC, est convaincu que les consommateurs ont un destin commun. «Historiquement, nos trois organisations travaillaient chacune dans sa région, mais nous avons constaté que ce qui nous rapprochait était bien plus important que ce qui nous divisait. D’autant que de plus en plus de thèmes se traitent au niveau national, voire européen et mondial», explique-t-il.
Culturellement, c’est vrai, il y a des différences de sensibilité. Les Alémanique se préoccupent davantage du sort des animaux que les Romands, mobilisés plutôt par les conditions de travail du personnel de vente. Les Tessinois, eux, ont des problèmes très concrets au niveau cantonal mais sont évidemment soucieux d’être représentés au niveau national.
Des acteurs importants
Pur produit de la société de… consommation, les consommateurs ont commencé à s’organiser il y a une cinquantaine d’années. Ou plutôt les consommatrices, qui se sont organisées pour faire prendre conscience aux femmes (qui n’avaient pas encore le droit de vote) de leur «pouvoir d’acheteuses». Elles ont obtenu de haute lutte une loi constitutionnelle et la création d’une Surveillance des prix.
Aujourd’hui, les hommes s’en mêlent. «Au départ, le dynamisme de ces associations s’inscrivait dans la mouvance féminine et féministe, reconnaît Mathieu Fleury. Aujourd’hui, les rôles sociaux et familiaux se confondent et la consommation est devenue l’affaire de toutes et tous.»
De plus, avec l’émergence d’une «société civile», les consommateurs sont devenus acteurs, surtout en période de crise. Avec des succès: ils ont obligé le géant Nestlé à abandonner les emballages clinquants et polluants des chocolats Cailler. Et forcé Credit Suisse à repêcher des centaines de petits épargnants suisses victimes des produits structurés de Lehman Brothers de New York.
Globalisation et transparence
Le consommateur se prend en main, se réjouit Mathieu Fleury. «La responsabilité individuelle est une attitude très moderne qui est peut-être une des clés pour résoudre les problèmes de notre temps, comme le climat, l’environnement, etc.»
A la fondation Gottlieb Duttweiler, Alain Egli renchérit: «On ne s’intéresse plus seulement aux prix mais on manifeste de plus en plus des préoccupations écologiques et sociales». Le porte-parole de l’Institut de recherche (du nom du fondateur du grand distributeur Migros) est persuadé que, dans un monde plus complexe, l’exigence de transparence se globalise elle aussi.
«Le consommateur a moins confiance dans les producteurs et les distributeurs parce qu’ils sont souvent loin de lui. Aujourd’hui, il s’informe via les réseaux d’Internet et la téléphonie mobile, au point que les associations pourraient bien en faire les frais», ajoute Alain Egli.
La souveraineté du consommateur
Les consommateurs sont loin de former un de ces puissants lobbies qui jouent des coudes au Palais fédéral. Dans les années 1980, il y a bien eu un Parti des automobilistes au Parlement, mais il a fait long feu.
Depuis le début des années 1990, la personnalité et l’engagement de la Bernoise Simonetta Sommaruga, directrice puis présidente de la SKS tout en étant députée puis sénatrice socialiste, a fortement amélioré la visibilité politique des consommateurs. Mais sans plus. D’où la tentative des associations d’obtenir l’oreille des politiciens.
Ariane Morin estime que ce ne sera pas facile en raison de la polarisation du débat. «On est resté sur le malentendu des années 1970 qui veut que la protection des consommateurs reste ancrée sur le droit social au lieu d’aborder une approche économique», explique la professeure de droit privé.
«La droite redoute une ‘soviétisation’ du droit qui serait limité à la défense des faibles, mais la gauche a du mal à voir que le consommateur n’est que mieux défendu depuis que la libéralisation du marché accroît la concurrence. Le centre, comme le Parti démocrate chrétien, est plus à l’aise avec cette vision libérale.»
Et puis, au niveau politique, les consommateurs n’ont pas d’argent, et encore moins en Suisse que dans l’Union européenne. Mais surtout, regrette Ariane Morin, «les politiciens suisses sont paralysés par la technicité des questions commerciales (comme le cassis de Dijon) et par la complexité des relations de la Suisse avec l’UE».
Alain Egli garde toute sa confiance dans le consommateur. «Il n’a pas besoin de passer par la politique puisqu’il est déjà souverain: il lui suffit de ne pas acheter un produit pour agir sur la chaîne.»
Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch
Fédération romande des consommateurs (FRC). Créée en 1959 (sous le nom de Commission romande des consommatrices, CRC) par 31 associations féminines à une époque où les femmes n’avaient pas le droit de vote, obtenu en 1975. Son organe de presse, «FRC Magazine» (ex-«J’achète Mieux»), sort dix fois par an. Compte aujourd’hui 40’000 membres.
Konsumentenforum (kf). Créé en 1961 à Berne, il publie «kf-info» quatre fois par an.
Stiftung für Konsumentenschutz (SKS). Fondation créée en 1964 à Berne. Devenue la principale organisation alémanique, elle produit des guides d’informations, publie un journal trimestriel.
Associazione Consumatrici e Consumatori della Svizzera Italiana (ACSI). Créée en 1974 et publie depuis 1975 «La Borsa della Spesa» dix fois par an.
Télévision. Les TV publiques des trois régions linguistiques offrent chacune une émission hebdomadaire sur la consommation. La chaîne alémanique SF publie parallèlement le magazine «Ktipp» (20 nos par an, 260’000 ex.).
Le journal «Bon à savoir» paraît 11 fois par an à Lausanne (382 000 lecteurs par no).
Le journal «Saldo» paraît 20 fois par an à Zurich (env. 95’000 ex).
1967: la grève du beurre oblige le gouvernement à renoncer à augmenter le prix de cette denrée.
1978: les consommateurs lancent une initiative populaire et récoltent 100’000 signatures pour instaurer une Surveillance des prix.
1986: l’information aux consommateurs est formalisée dans une loi suite à l’entrée de la protection des consommateurs dans la Constitution suisse en 1981.
1991: entrée en fonction définitive de Monsieur Prix.
La SKS, l’ACSI et la FRC se sont donné trois grands axes d’action:
Axe politique: santé moins chère mais plus transparente, concurrence accrue et ouverture des marchés.
Axe économique: baisse des tarifs de télécommunications, protection du label «Suisse» et observation du rapport qualité/prix.
Axe pratique: promotion de l’eau du robinet contre l’eau en bouteilles, stop à la publicité ciblée sur les jeunes, limitation des cartes de crédits et infos sur les restaurants.
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