Lukas Mühlemann résiste
Le patron du Credit Suisse s'est retrouvé au centre des débats de l'assemblée générale. Les actionnaires lui ont malgré tout renouvelé leur confiance.
Lukas Mühlemann, patron du Credit Suisse Group, l’une des deux grandes banques suisses, a surmonté vendredi à Zurich une vague de propositions dirigée contre, à l’occasion de l’assemblée générale annuelle de l’entreprise. Une assemblée-marathon, plus de sept heures, qui a réuni quelques 2700 actionnaires.
Une double casquette
C’est d’abord la double casquette du banquier suisse, à la fois président du conseil d’administration et responsable de la direction, qui était, une fois de plus, remise en question. Séparer ces deux fonctions, de manière à garantir le rôle de haute surveillance du conseil d’administration: telle était l’enjeu principal de cette assemblée.
Une proposition avancée tant par la fondation Ethos, qui gère les fonds de près d’une centaine de caisses de pension suisses, que par un groupe d’actionnaires réunis autour de l’avocat zurichois Hans-Jacob Heitz, qui s’est notamment illustré dans l’affaire Swissair. Ce dernier suggérait même explicitement de démettre Lukas Mühlemann.
Mais c’est finalement le point de vue du conseil d’administration qui l’a emporté et la séparation des fonctions a été balayée par l’assemblée. Même type de résultat quant à la question de la durée du mandat d’administrateur.
Ethos demandait une limitation à deux ans, Hans-Jacob Heitz à un an. C’est finalement la solution proposée par les responsables du groupe, une limite à trois ans, qui a passé la rampe.
Dominique Biedermann, le directeur d’Ethos parle pourtant d’un succès. «Notre résolution principale, qui demandait la séparation des fonctions, a été soutenue par près de 20% des actionnaires, a t-il confié à swissinfo. Il y a une importante minorité qui pense que les choses doivent changer au Credit Suisse.»
Quant à une proposition visant à préciser les modalités de rémunération des administrateurs, pour les rendre plus transparentes, elle a également été nettement rejetée. Lukas Mühlemann a en particulier repoussé, au titre de la protection de la sphère privée, l’idée de révéler, individuellement, les montants versés aux responsables du groupe.
Il a dévoilé les rémunérations des membres du conseil d’administration pour 2001 (200’000 francs par administrateur, 400’000 pour les vices-présidents), mais s’est refusé – contrairement à Marcel Ospel, son alter ego d’UBS – à préciser la sienne, sous les huées d’une partie des actionnaires.
Les banderilles des actionnaires
Car l’assemblée s’est montrée parfois agressive, en tout cas de plus en plus agitée, à mesure que défilaient les heures. «Mühlemann go home», hurla quelqu’un à travers l’immense espace du Hallenstadion. Lukas Mühlemann a pourtant admirablement gardé son calme, sous les banderilles des actionnaires.
Des actionnaires souvent tatillons, dont les interventions tournèrent parfois à un interminable monologue, parfois même au burlesque. La nervosité a pourtant pointé, ici ou là. «Mais qu’est-ce qui se passe?», demanda ainsi, avec une moue, le grand patron au détour d’une question de l’un de ces capitalistes de milice.
Lukas Mühlemann a encore abordé de front plusieurs affaires, qui ont beaucoup fait parler d’elles, ces derniers mois. Des casseroles, en quelque sorte. Mais il s’est refusé au moindre mea culpa.
Tout d’abord, l’affaire, en Argentine, de la Banca General de Negocios (BGN), contre laquelle une enquête est ouverte, et dans le conseil d’administration de laquelle le patron du CSG figurait. Lukas Mühlemann a rappelé que deux autres responsables de grandes banques internationales siégeaient à ses côtés.
L’affaire Enron
Nous avons perdu confiance dans la direction de la BGN», dès les problèmes connus, en janvier de cette année, a déclaré Lukas Mühlemann. «Etant donné que, comme actionnaires minoritaires, nous ne pouvions exercer qu’une influence limitée, mes deux collègues et moi-même avons aussitôt démissionné.»
Autre affaire, celle d’Enron, aux Etats-Unis. Le géant texan de l’énergie était bien en relation d’affaires, notamment avec Credit Suisse First Boston. Mais, a précisé Lukas Mühlemann, aucune des divisions du groupe «n’ont été impliquées dans l’établissement de ces sociétés de partenariat controversées», au cœur du scandale.
Le cas Swissair, encore, un groupe à la tête duquel Lukas Mühlemann a lui-même siégé jusqu’à son effondrement, en octobre de l’année passée. Lukas Mühlemann s’est félicité de l’intervention des banques (l’injection de 1,35 miliard de francs). Sans cela, «on aurait assisté à l’effondrement immédiat de tout SAirGroup (…) et partant à la perte de dizaines de milliers d’emplois.»
Pas d’erreurs commises, donc, à en croire le patron du CSG. Une présentation pourtant démontée point par point, dans une diatribe parfois violente, par Hans-Jacob Heitz. «L’image de la Suisse en Amérique du Sud s’est dépréciée à cause du Credit Suisse», a par exemple dénoncé l’avocat de Winterthur, en faisant référence à l’affaire de la BGN.
Un bénéfice d’exploitation de 4 milliards de francs
Enfin, le patron du groupe est revenu sur les chiffres de l’année passée, marqués par un bénéfice d’exploitation de 4 milliards de francs suisses, en recul de 45%. «Des résultats globalement insatisfaisants», a relevé Lukas Mühlemann, en rappelant «la rupture de la croissance gobale», survenue l’année dernière.
Mais il a également admis les difficultés rencontrées dans le secteur de la banque d’investissement, notamment dans l’intégration de Donaldson, Lufkin and Jenrette, acquis en 2000. «Cela a fortement affaibli notre résultat en 2001», a reconnu Lukas Mühlemann.
«Il faut admettre que ce n’était pas le bon moment pour des acquisitions aux Etats-Unis, a-t-il poursuivi. Mais il ne faut pas voir les acquisitions, qui ont un rôle stratégique, dans une perspective à court terme.»
Néanmoins, malgré une année qui s’annonce à nouveau difficile pour le secteur financier, Lukas Mühlemann s’est montré confiant quant à la suite des affaires. Il prévoit, pour 2002, un bénéfice net «considérablement plus élevé que l’an dernier.»
swissinfo/Pierre Gobet, Zurich
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