Marc Rich et la «toile d’araignée» de la mafia
L'homme d'affaires résidant en Suisse est mis en cause par l'acte d'accusation du Parquet de Bologne. Qui lutte contre les réseaux mafieux russes. Marc Rich Holding nie tout en bloc.
L’opération «toile d’araignée» lancée lundi par la police anti-mafia italienne semble avoir pris dans ses filets un illustre personnage, Marc Rich.
L’acte d’accusation du Parquet de Bologne – que swissinfo s’est procuré – met en évidence des liens entre l’homme d’affaires et Gregory Loutchanski, un présumé parrain de la mafia russe.
Contacté par swissinfo, Marc Rich réfute – par l’entremise du directeur de sa Holding – toute implication dans la fameuse «toile d’araignée».
«Nous n’avons reçu aucune information officielle des autorités italiennes, dit Thomas Frutig de Marc Rich Holding GmbH. Marc Rich n’a aucun lien ni avec Nordex ni avec Benex.»
Et Thomas Frutig de préciser: «Marc Rich n’est pas actionnaire minoritaire de Glencore non plus».
Ajoutons à sa décharge que l’homme d’affaires ne figure pas sur la liste des 150 personnes inculpées par le Parquet de Bologne. Même si son nom revient, à plusieurs reprises, dans l’acte d’accusation.
Des dizaines d’entreprises
Depuis 1997, la justice italienne enquête sur un tentaculaire réseau de blanchiment d’argent provenant d’activités illicites en Russie. Une véritable toile d’araignée qui passe aussi par la Suisse.
Concrètement, les fonds étaient expédiés des républiques de l’ex-URSS vers des banques en Europe occidentale par le biais de fausses factures. L’argent était ensuite recyclé via des dizaines d’entreprises disséminées dans toute l’Europe.
Cette opération italienne est la suite de l’enquête menée sur les transactions financières effectuées par les sociétés américaines Benex, Lowland et Becs via les comptes qu’elles détenaient auprès de la Bank of New York.
Sept milliards de dollars ont ainsi transité sur les comptes de ces trois sociétés écrans contrôlées par des banques russes.
Un mafieux ouzbek
Dans le cadre de son enquête, le Parquet de Bologne a lancé un mandat d’arrêt contre 101 personnes en Italie, en France et en Suisse. Sur la liste figure Gregory Loutchanski, un Ouzbek de 57 ans domicilié en Autriche, inculpé de blanchiment et d’association de malfaiteurs.
Selon des informations fournies par Interpol, cet homme d’affaires a fondé à Vienne en 1989 la société Nordex. Ce groupe avec des filiales au Canada, en Allemagne, Irlande, Lettonie, Russie, Ukraine et en Suisse, serait une des pièces maîtresses du réseau de blanchiment.
D’après diverses sources policières Gregory Loutchanski serait lié au crime organisé et a fait l’objet en 1983 d’une condamnation en Lettonie à sept ans de prison pour «vol de propriété d’Etat».
Et c’est ici qu’apparaît l’homme d’affaires Marc Rich. Interpol Moscou précise que ce milliardaire figure parmi les associés fondateurs de la Nordex. Né en Anvers en 1934, Marc Rich a souvent défrayé la chronique ces dernières années.
Pour mémoire, Marc Rich s’est réfugié en Suisse en 1983 avant que la justice américaine n’émette un mandat d’arrêt à son encontre pour racket, fraude et évasion fiscale. Le financier a choisi Zoug pour poursuivre ses activités en toute quiétude. En effet, comme l’évasion fiscale n’est pas un délit en Suisse, Berne refuse de l’extrader.
En janvier 2001, c’est le coup de théâtre. Quelques heures avant de quitter son fauteuil de président des Etats-Unis, Bill Clinton gracie Marc Rich et déclenche une gigantesque polémique.
Le rôle de Marc Rich
Aujourd’hui, les accusations viennent d’Italie. En analysant le réseau de sociétés utilisées pour blanchir les fonds, les enquêteurs ont mis en évidence des liens entre Marc Rich et le présumé mafieux Gregory Loutchanski. Et des liens entre Glencore et Benex.
Outre la Nordex, dont Marc Rich serait l’un des associés fondateurs, la Kama Trade – une autre société pivot du système de blanchiment mis en place par les mafieux russes – aurait eu des relations financières avec le groupe zougois Glencore, contrôlé par Marc Rich jusqu’en 1994.
Plusieurs dirigeants de la Kama Trade (basée sur la prestigieuse avenue des Champs-Elysées à Paris) ont été arrêtés lundi par la police française dans le cadre de cette opération.
Le compte bancaire que possède Kama Trade auprès du Crédit Lyonnais a permis de mettre en évidence des flux financiers entre cette société et plusieurs entreprises basées en Suisse. L’acte d’accusation italien mentionne la Vanomet de Zoug, l’All American Business et la Trans-Commodities de Zurich ainsi que la Glencore International.
Par ailleurs, Glencore serait aussi en relation avec la Benex, une des sociétés qui serait au cœur du réseau de blanchiment aux Etats-Unis. En 1998, Glencore aurait effectué 11 versements bancaires pour un total de 178 000 dollars en faveur de la Benex.
Confusion entre Marc Rich et Glencore
Du côté de Glencore, on réfute totalement ces accusations. «Il s’agit d’une confusion; notre entreprise n’a pas de relation avec Benex et Nordex», précise Lotti Grenacher, porte-parole de la société, contactée par swissinfo.
«Marc Rich avait fondé la société ‘Marc Rich’ en 1974. En 1994, il l’a vendue à ses collaborateurs. Depuis, M. Rich a quitté l’entreprise, qui a changé de nom et s’appelle aujourd’hui Glencore», ajoute Lotti Grenacher.
Et de conclure: «Nous sommes souvent mis en relation avec Marc Rich et nous aimerions corriger cela. Nous ne sommes pas impliqués dans cette affaire de blanchiment».
Ajouton, enfin, que – selon l’acte d’accusation du Parquet de Bologne, Marc Rich resterait l’un des 360 actionnaires minoritaires de Glencore. Une précision que Thomas Frutig, directeur de Marc Rich Holding GmbH, dément catégoriquement.
swissinfo/Luigino Canal avec la rédaction
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.