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Migros et Coop face au champion des prix cassés

Aldi compte bien marcher sur les plate-bandes de Coop et de Migros. Keystone

Le poids lourd allemand du «hard discount» Aldi ne se contentera pas de la Suisse alémanique. Il veut s’implanter en Romandie aussi.

Mais, selon un expert de la branche, James Bacos, les leaders suisses de la distribution sont biens placés pour défendre leurs positions dans la guerre des prix cassés.

Selon la Radio suisse romande (RSR), Aldi a acheté un terrain à Domdidier, dans le canton de Fribourg pour établir un centre de distribution pour toute la Suisse romande. 300 emplois devraient y être créés. Le législatif de la commune doit encore se prononcer sur cette vente au début du mois prochain.

Pour mémoire, en Suisse alémanique, Aldi a déjà obtenu ou déposé une demi-dozaine de permis de construire. Et devrait ouvrir son premier supermarché en 2005 déjà.

En fait, cette arrivée prochaine d’Aldi sut le marché suisse annonce aussi celle de son rival Lidl, allemand lui également.

D’ici 2010, les deux spécialistes des prix cassés (hard discount) projettent d’ouvrir plusieurs dizaines de points de vente chacun dans toute la Suisse.

Directeur de la filiale munichoise de Mercer Management Consulting, James Bacos est co-auteur d’une étude sur la guerre du discount en Allemagne, où les chaînes à bas prix ont déjà conquis 40% du marché.

Pour cet expert de la branche, l’avenir des gros distributeurs helvétiques (Migros, Coop, Denner) dépendra largement des leçons qu’ils pourront tirer des erreurs commises par leurs futurs concurrents allemands.

swissinfo: Quel est l’enseignement principal à tirer de votre étude sur le marché allemand?

James Bacos: C’est très simple: en Allemagne, les discounters ont déjà gagné.

Ils ont divisé le marché entre les magasins à bas prix, qui offrent un assortiment relativement restreint vendu très bon marché et les hypers, qui offrent le choix complet à des prix nettement plus élevés.

Et si les derniers arrivent à survivre, c’est uniquement parce qu’on peut y faire toutes ses courses d’un seul coup.

Ainsi, le consommateur allemand a appris à diviser son panier. Il achète les produits de base bon marché chez le discounter, puis va dans un autre magasin pour le reste.

Et maintenant, ayant atteint 40% de parts de marché dans leur pays, les chaînes allemandes à bas prix se tournent vers l’étranger. Notamment vers la Suisse.

swissinfo: Quelles erreurs ont commis les chaînes de distribution traditionnelles en Allemagne?

J. B.: Une des principales a été de croire qu’ils pouvaient maintenir des prix élevés sur pratiquement tout leur assortiment, en lançant des campagnes de promotion massives sur certains produits.

Mais cela coûte très cher, et il faut aussi convaincre les gens d’acheter ce qui n’est pas en promotion. Et ça n’a pas marché parce que la différence de prix entre un panier rempli chez un détaillant et le même panier rempli chez un discounter est simplement trop grande.

En Angleterre par contre, les distributeurs déjà en place n’ont pas sous-estimé la puissance des discounters.

Ils ont baissé sélectivement leurs prix, mais ils ont su également offrir une gamme complète de produits, y compris leurs propres marques, avec une hiérarchie claire des produits et des prix.

Cette stratégie a permis de marginaliser les discounters britanniques.

swissinfo: Pensez-vous que les chaînes à bas prix vont réussir en Suisse, où la position des deux leaders Migros et Coop est tellement forte?

J. B.: A bien des égards, la situation en Suisse est différente de celle qui prévaut en Allemagne. En fait, le marché suisse ressemble bien plus à ce qu’était le marché anglais il y a cinq ou six ans.

Dans les deux pays, les prix du terrain sont élevés, ce qui contribue à tenir les discounters à l’écart.

De plus, en Suisse comme en Angleterre, le marché du travail est relativement flexible, alors que les discounters font leurs meilleures affaires dans les pays où les horaires et les coûts du travail sont strictement réglementés.

Et à part cela, les Suisses ont aussi le grand avantage de pouvoir voir venir. En Allemagne, par contre, comme je l’ai dit plus haut, les discounters ont déjà gagné.

swissinfo: De combien la difference de niveau general des prix entre la Suisse et l’Allemagne devra-t-elle changer pour que les détaillants suisses puissent s’en sortir à long terme?

J. B.: A la fin de l’année dernière, l’Université de Fribourg a mené une comparaison sur un panier de la ménagère comprenant 177 articles. Elle a montré que ce panier était presque deux fois moins cher en Allemagne qu’en Suisse.

Et les différences ne portent pas seulement sur des produits d’entrée de gamme ou des produits sans marque, mais aussi sur des produits de grandes marques.

Je pense que ces différences devraient se tasser et finir par se stabiliser à environ 20%.

Mais pour l’heure, il faut bien constater que les consommateurs suisses payent beaucoup trop cher. Ils devraient donc être contents de ce qui est en train de se passer.

swissinfo: Quelles sont les options stratégiques qui s’offrent aux distributeurs suisses?

J. B.: S’ils réagissent comme l’ont fait les Allemands, les discounters vont rapidement apprendre au consommateur suisse qu’il est possible d’acheter de la très bonne qualité à des prix très bas.

Selon moi, les acteurs principaux du marché suisse devraient plutôt réagir à la manière anglaise. Migros et Coop – au moins eux – ont encore la possibilité de battre les chaînes à bas prix.

Alors qu’en Allemagne, la seule stratégie valable, c’est d’essayer d’être numéro deux derrière elles.

swissinfo: Est-ce que vos conseils seront entendus?

J. B.: Pour l’instant, les deux géants ont des approches très différentes. Migros a réagi très tôt, en introduisant sa ligne M-Budget il y a déjà plusieurs années.

Coop, de son côté se positionne à coup de campagnes promotionnelles très agressives. Le problème avec eux, c’est qu’ils sont encore très chers et qu’il n’est pas sûr que leurs prix soient la garantie d’une qualité ou d’un service supérieurs.

Une comparaison sur un panier rempli de produits de base montre que vous allez le payer 112 francs suisses chez Denner (leader helvétique des prix bas), 117 francs à la Migros et 137 francs à la Coop.

Et encore, dans ce cas, la moitié des articles achetés chez Coop étaient en promotion. Si cela n’avait pas été le cas, la différence aurait été encore plus importante. Alors, où irez-vous faire vos courses?

Interview swissinfo, Chris Lewis
(Traduction : Marc-André Miserez)

En 2003, Aldi a réalisé un chiffre d’affaires de 38 milliards de francs.
Ceux de Migros et Coop réunis s’élevaient à 35 milliards de francs.
Le groupe Aldi est déjà implanté dans onze pays d’Europe.
Il compte 5800 filiales et 80’000 employés

– Les géants suisses de la distribution vont devoir affronter les poids lourds allemands Aldi et Lidl, spécialistes des prix cassés.

– Selon l’expert James Bacos, Migros et Coop (qui se partagent 70% du marché intérieur) ont les moyens de résister à cette invasion.

– Actuellement, le panier de la ménagère est presque deux fois plus cher en Suisse qu’en Allemagne.

– Conséquence: les Suisses se livrent au «tourisme des achats» dans les pays voisins.

– On estime ainsi que les Suisses ont dépensé l’an dernier un milliard et demi de francs dans les supermarchés allemands, français et italiens.

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