Mécanique financière au profit de la presse libre
Dans la mouvance des placements éthiques, la banque privée suisse Vontobel lance un produit destiné à financer la liberté de la presse dans les pays émergeants.
Présenté comme une première mondiale, ce biais d’investissement profite du soutien de l’agence suisse du développement DDC.
Les investisseurs ont aussi des prétentions éthiques. Et les produits permettant de placer «utilement» leur argent se multiplient. C’est le cas de ce «Voncert ResponsAbility Media Developement».
Au départ, la demande pour un tel outil de placement est venue de la clientèle privée de Vontobel, indique Claudia Kraaz, responsable communication de la banque zurichoise.
«Une partie de nos clients privés suffisamment dotés ne se contentent plus d’un gain seulement financier. Ils veulent un gain social», explique-t-elle.
Certains clients institutionnels sont aussi intéressés. Des fondations en particulier, censées investir une part de leur pactole en fonction de critères sociaux ou de développement durable.
A la bourse suisse
Le «Voncert» est coté à la bourse suisse depuis la mi-mai. Ce certificat drainant 20 millions de francs combine un placement à taux fixe (80% de la somme, en «Swap bonds») et un prêt au taux de 1%.
Ce prêt de 4 millions (les 20% restants) revient à la formation d’une presse indépendante dans les pays émergeants (Balkans, Russie, Angola, Bolivie, etc). Et plus précisément à MDLF, ONG à but non-lucratif qui met des crédits à bas coût à disposition de médias indépendants.
Fondée par l’ancien patron de la radio indépendante serbe B-92, cette ONG a déjà aidé plus d’une cinquantaine de médias dans 17 pays. Elle finançait jusqu’ici son portefeuille (30 millions de dollars) par des prêts et dons d’organismes de développement.
Un produit structuré
Vontobel n’a choisi ni un fonds de placement typique – trop cher – ni un emprunt standard. «MDLF ne paie que 1%, explique Claudia Kraaz. C’est nettement moins que les 10 à 15% habituels.»
Sans la partie obligataire du certificat, le rendement obtenu par l’investisseur se limiterait donc à ce petit 1%. D’où l’intérêt d’un produit dit «structuré», pouvant profiter de l’évolution boursière et conjoncturelle.
Pour la banque zurichoise, ce type de produit éthique est bon pour l’aura. «Mais nous ne faisons rien juste pour l’image, détaille Claudia Kraaz. Nous voulons nous positionner sur ce créneau. En outre, la famille majoritaire au sein de la banque a aussi sa fondation, qui souhaite investir selon cette optique.»
En cas de faillite de MDLF
En dehors de la société d’investissements à but social responsAbility, qui a choisi MDLF et assume le suivi, la Direction du développement et de la Coopération (DDC) est aussi de la partie.
L’agence assure la négociabilité du certificat en lien avec Vontobel. «Quatre millions de francs ont été dégagés pour les prochains cinq ans en tant que sécurité, explique Andreas Stauffer, porte-parole. Cette somme serait utilisée en cas de faillite de MDLF, ce qui reste assez hypothétique.»
Ce type de collaboration avec une banque est une première pour la DDC. Elle y voit un bon moyen de soutenir une approche éthique de l’économie, tout en favorisant la bonne gouvernance (dont la liberté de la presse fait partie) dans ses pays de «mission».
«Nous allons observer les développements et les résultats de ce nouveau produit, indique Andreas Stauffer. A partir de là, les partenaires décideront si le modèle peut être répliqué.»
RSF plutôt convaincu
ONG attitrée en matière de protection de la liberté de la presse, Reporters sans frontières voit le concept d’un bon œil. «Les montants restent certes assez modestes, mais l’initiative est à saluer, assure le secrétaire exécutif de RSF, section Suisse.
«Nous allons nous rapprocher des partenaires pour voir comment nous pouvons y contribuer», précise d’ailleurs Michaël Roy.
Il faut dire que le contexte s’y prête. Plus de 80% de la population mondiale n’a pas droit à une information indépendante, préalable à la vie démocratique.
swissinfo, Pierre-François Besson
La banque privée Vontobel gère 57,6 milliards d’actifs (fin 2005).
Elle emploie 917 collaborateurs dans le monde.
La société responsAbility a été créée en 2003 à Zurich.
Elle est spécialisée dans les investissements à but social et les pays en développement.
Credit Suisse Group, Swiss Re et Vontobel font partie de ses actionnaires.
MDLF a été fondée en 1995 par Sasa Vucinic, l’un des artisans de la chute de Milosevic.
– ONG et institutions internationales considèrent la liberté de la presse comme un moyen essentiel de démocratisation et de lutte contre la pauvreté (Objectifs du Millénaire, adoptés en 2000 par la communauté internationale).
– Par le biais de sa Direction pour le développement et la coopération (DDC), la Suisse soutient divers projet d’aide aux medias dans les pays émergeants.
– Son assistance porte sur le dialogue interethnique en Macédoine par exemple, à travers une TV éducative multilingue. Elle contribue aussi à créer des ponts entre les pays des Balkans en appuyant la production d’émissions en Albanie, Serbie et Monténégro, au Kosovo, en Bulgarie, etc.
– La DDC finance aussi la formation de jeunes journalistes et des infrastructures médiatiques. Et ce, en Albanie et dans le sud du Caucase notamment.
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