Pleins feux sur Nanni Moretti
Le Festival du film de Locarno consacre une rétrospective intégrale au metteur en scène italien Nanni Moretti. swissinfo s'est entretenu avec son responsable, Carlo Chatrian.
Après les rétrospectives consacrées à Youssef Chahine, Abbas Kirostami, Marco Bellocchio, Joe Dante et Aki Kaurismäki, l’heure de Nanni Moretti a sonné.
Présent au Festival de Locarno entre mardi soir et jeudi, le réalisateur italien est une figure fondamentale de la scène cinématographique et culturelle italienne de ces trente dernières années.
La rétrospective qui lui est consacrée, plutôt exceptionnelle de par sa portée, sera complétée par d’autres rendez-vous qui permettront de favoriser l’échange avec ce cinéaste de renommée internationale, connu pour son tempérament parfois sombre et coupant.
Répliques célèbres
Reste que, malgré ces traits de caractère, Nanni Moretti peut compter sur un grand nombre de fidèles admirateurs. Ses fans apprécient sa génialité, son ironie, sa critique irrespectueuse du pouvoir et ses analyses politiques lucides sur «sa» gauche. Et que dire de ses sorties dont plusieurs sont devenues notoires et font partie de la culture de plusieurs générations?
Voici quelques exemples célèbres: «Ainsi, vous n’avez jamais goûté la Sacher Torte? C’est bien, continuons ainsi, faisons-nous du mal!». Ou encore: «Pour chaque chaussure, un pas, pour chaque pas une autre conception du monde».
Ou aussi: «Qui parle mal, pense mal et vit mal. Il s’agit de trouver les mots justes, les mots sont importants». Enfin: «D’Alema, dis une chose de gauche, dis aussi une chose qui ne soit pas de gauche, une chose civile, D’Alema, dis une chose, dis quelque chose, réagis!»
Une immersion totale
La grande revue consacrée à l’auteur italien permet de voir, de revoir ou de découvrir – spécialement pour le public non italophone – l’ensemble des longs-métrages tournés par Nanni Moretti: du film de ses débuts Io sono un autarchico (1976), à Il Caimano (2006), en passant par de nombreux courts et moyens métrages et des documentaires réalisés durant toute sa carrière.
Toutes les versions ont été revues par Moretti et quelques copies ont été restaurées. La programmation comprend également des documentaires consacrés au metteur en scène et du matériel pratiquement inédit dont des chutes et des journaux de bord.
La rétrospective est complétée par tous les films interprétés par Moretti acteur sous la direction de collègues comme Padre Padrone des frères Taviani (1977), Il portaborse de Daniele Lucchetti (1991) et beaucoup d’autres encore.
Membre de la Commission des programmes du festival, Carlo Chatrian s’est occupé de mettre au point cet important rendez-vous. Cette expérience lui a permis de découvrir le côté humanitaire du metteur en scène italien.
«Nanni Moretti, explique-t-il à swissinfo, est l’un de ces auteurs qui, à partir des années 70, a rajeuni le cinéma par rapport à la vision classique des années 40. Avec des metteurs en scène comme Skolimowsky et Kaurismäki, il a contribué à faire évoluer le langage et le genre cinématographique.»
«Moretti a sans aucun doute aussi marqué la scène italienne à deux niveaux: certainement comme auteur, metteur en scène et interprète des films qu’il a réalisés mais aussi comme producteur. Il a en effet découvert et fait connaître de jeunes réalisateurs bourrés de talents grâce aussi au Sacher Festival – une de ses inventions – consacré aux courts-métrages.»
Tâtillon, méticuleux et très ironique
Carlo Chatrian ne s’est pas seulement occupé, avec Moretti et son équipe, du choix des films mais aussi du livre sur la rétrospective. Ce parcours fascinant lui a permis de bien connaître le metteur en scène. «La longue interview publiée dans le livre est le résultat d’une semaine d’intenses bavardages», raconte-t-il.
«Son côté tâtillon est bien réel comme l’attention quasi maniaque qu’il porte au sens des mots lors de la relecture de l’interview. Nanni est extrêmement méticuleux c’est vrai mais il est aussi doté d’une grande humanité et d’une ironie pointue. Je crois qu’il cache parfois une grande envie de rencontrer son prochain. En ce qui me concerne, cela s’est passé ainsi. J’ai découvert un réalisateur qui en fait n’est pas rébarbatif mais qui apprécie le bon mot et qui aime manger un morceau en compagnie.»
Il a fallu du temps et de la persévérance à Carlo Chatrian pour instaurer un rapport de confiance, mais cela a été payant: «Les gens qui travaillent avec lui forment une grande famille. Beaucoup d’entre eux l’accompagnent à Locarno, c’est important pour lui.»
De la tourte Sacher au goûter?
Quelles facettes de sa personnalité Nanni Moretti dévoilera-t-il à Locarno? Il
surprendra certainement, comme dans l’exposition de photos qui lui est dédiée, où il montre mille visages, expressions, attitudes et états d’âme.
Tendu, ténébreux, boudeur, soucieux, pensif, détendu, isolé, réfléchi, souriant: l’expo révèle un Nanni Moretti immortalisé sur les lieux de son travail, durant des pauses en solitaire ou lors de tournages. Elle alterne des photos devenues célèbres et des prises inconnues, voire inédites (comme les images de Caos calmo proposées en avant-première).
Le festival organisera aussi un goûter d’auteur digne de la légendaire gourmandise de Moretti. Pour mémoire, dans le film Bianca, il noie ses déboires en plongeant ses doigts dans un bocal géant de Nutella.
Nanni Moretti, rappelons-le, a aussi baptisé sa maison de production Sacher Torte du nom de la célèbre tourte viennoise qui, actuellement, ne figure toutefois plus dans la liste de ses douceurs préférées.
«La première fois que je lui ai rendu visite, évoque Carlo Chatrian, je lui ai amené des pâtisseries en pensant que la tourte Sacher ne lui plaisait peut-être pas. Lorsque nous en avons parlé, il m’a avoué en avoir trop mangé». Donc pas de tourte Sacher pour le goûter, mais le chocolat ne manquera pas…
swissinfo, Françoise Gehring, Locarno
(Traduction et adaptation de l’italien: Gemma d’Urso)
Réalisateur, acteur et producteur, Nanni Moretti est né à Brunico, dans la province de Bolzano (Haut-Adige) le 19 août 1953.
Il a grandi à Rome. Sa jeunesse a été marquée par trois passions: le cinéma, la politique et le swimming-pool. Il a neuf ans lorsqu’il voit son premier film, «Soldats à cheval» (John Ford, 1959).
En 1976, il obtient un succès inattendu avec «Io sono un autarchico», son premier long-métrage en super 8.
A 25 ans seulement, Moretti réalise son premier film, «Ecce bombo» présenté à Cannes et devenu un grand succès qui a lancé le personnage de Michele Apicella, son alter ego cinématographique, un maniaque confronté à Moretti lui-même.
Avec «Sogni d’oro» (1981), il obtient le Lion d’or, prix spécial du jury à la Mostra de Venise. Il dirige, pour la première fois, Laura Morante qui deviendra une de ses actrices préférées. Elle campe «Bianca» (1984), la professeure de français dont Michele Apicella justement tombe amoureux.
Avec «La Messe est finie» (1985), Nanni Moretti décroche l’Ours d’argent au Festival de Berlin et se fait connaître internationalement.
«Caro diario» (Cher Journal), tourné en 1994 obtient le prix pour la meilleure mise en scène au festival de Cannes tandis que «La Chambre du fils» lui vaut la Palme d’or.
En 2006, il retourne à la politique avec «Le Caïman», portrait tragi-comique d’un homme politique qui ressemble à Silvio Berlusconi.
Le festival de Locarno complète la rétrospective Moretti par la publication d’un nouvel ouvrage réalisé en collaboration avec «Les Cahiers du cinéma».
Il s’agit de Nanni Moretti, «Entretiens par Carlo Chatrian et Eugenio Renzi» (256 pages, en français). Le livre comprend aussi une longue interview.
Diriger les feux sur Nanni Moretti, cela signifie aussi promouvoir des occasions de rencontre.
Jeudi 14 août à 11h, il sera possible de parler avec lui de son activité de producteur au sein de Sacher Film.
La section Carte Blanche complète cet hommage: elle prévoit la sélection, par Nanni Moretti, d’une dizaine de ses films préférés.
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