Pourquoi la Suisse s’épargne un vrai plan de relance
Le gouvernement annonce des mesures de stabilisation face à la récession qui se profile. Des mesures ponctuelles plutôt qu'un véritable plan de relance, qui risquerait de manquer sa cible. Deux économistes s'expliquent.
Le mot est sur toutes les lèvres avec les effets de plus en plus concrets de la crise financière sur les économies. Face à la croissance qui patine, l’Etat doit y aller d’un plan de relance et doper la demande.
Il doit injecter des milliards en aides et en dépenses, réduire impôts et taxes pour stimuler les investissements et la consommation. Quitte à s’endetter, il retrouvera ses billes en période de haute conjoncture. Voilà pour l’idée.
Jusqu’ici, l’Union européenne n’a pas voulu d’un plan continental. Mais l’Allemagne, sa première économie, a opté pour sa solution propre, avec allégements fiscaux sur les voitures neuves et prêts aux entreprises. La Chine et les Etats-Unis, de leur coté, vont s’endetter pour soutenir la conjoncture.
En Suisse, le Département fédéral de l’économie est catégorique. D’accord pour des mesures sectorielles, mais pas de paquet «qui plomberait davantage les finances fédérales et dont l’expérience montre qu’il apporte peu», selon Doris Leuthard. Une ministre de l’économie qui, avec son collègue des finances, ont présenté mercredi leur thérapie.
Une action psychologique
Leurs «mesures de stabilisation» pèseront jusqu’à un milliard et demi de francs au maximum pour 2009. Une somme qui correspond à la marge de manœuvre laissée par le budget 2009. Ce qui signifie que la Confédération ne va pas augmenter sa dette.
L’Etat fédéral avance certaines dépenses et lèvera le gel des crédits au sein de l’administration, avec des débours prévus pour la protection contre les crues et les dangers naturels ou la rénovation énergétique des bâtiments.
Des fonds devraient aussi être injectés dans l’infrastructure ferroviaire et les routes nationales. Le projet d’allégement de la fiscalité pour les familles avec enfants devrait accélérer. Pour leur part, les entreprises qui ont cotisé aux réserves de crise toucheront 550 millions de francs.
«Des mesures ponctuelles plutôt qu’un plan de relance qui ferait appel à un déficit budgétaire de la Confédération, estime Sergio Rossi, professeur d’économie politique à l’Université de Fribourg. Cette action vise surtout la psychologie des acteurs économiques, pour montrer que l’Etat fait un effort. Il faut aussi considérer que l’économie suisse ne souffrira pas autant que l’économie européenne de la crise financière mondiale et de ses retombées négatives sur les activités de production.»
Une petite économie ouverte
Maître d’enseignement et de recherche à HEC Lausanne, Délia Nilles constate que «tout le monde commence à paniquer. Il faut raison garder. Avec la globalisation, nous n’aurons plus ces grandes récessions du passé. Après le premier choc pétrolier, la Suisse a enregistré un taux de croissance négatif du PIB de presque 6%. On parle aujourd’hui de -0,5 ou -0,6%!»
Face à la défiance actuelle, Délia Nilles estime qu’un plan de relance n’aurait guère d’effet. Une diminution d’impôts, par exemple, risquerait de se diriger vers l’épargne plutôt que la consommation (60% du PIB en Suisse). Plus fondamentalement surtout, elle juge l’économie suisse trop petite et trop ouverte pour qu’un plan de relance soit efficace.
«Des études l’ont montré: même un plan de relance centré sur les grandes infrastructures n’a qu’un effet sur une année. Son effet [multiplicateur] s’estompe très vite. L’effort se dissout largement à travers les échanges avec l’étranger. Or, un plan de relance est censé relancer l’économie sur une plus longue période.»
Délia Nilles rappelle aussi une constante de l’économie suisse: sur chaque franc dépensé en Suisse, 60 centimes partent à l’étranger. Seul un plan à l’échelle européenne pourrait marcher mais il semble bien hypothétique.
Environ 5% du PIB
Le coût d’un plan efficace est un autre argument «contre». «Au Japon par exemple, le plan de relance équivaut à environ 5% du PIB (Produit intérieur brut). Il faut des dépenses énormes pour un plan de relance efficace. L’Etat suisse n’a pas ces moyens.»
L’équilibre des comptes publics explique aussi pourquoi la Suisse ne s’est pas dotée de tels plans depuis la Deuxième Guerre mondiale au moins, ajoute Sergio Rossi.
«L’idéologie a plutôt été de laisser fonctionner le marché sans trop intervenir, le marché devant s’autoréguler et faire en sorte d’aboutir tôt ou tard à l’équilibre naturel. (…) Mais il faut voir surtout que la loi contraint l’Etat à l’équilibre budgétaire à moyen terme».
En clair, augmenter la dépense pour la stabilité conjoncturelle exigerait d’augmenter les impôts ou de réduire les éventuels gaspillages dans les dépenses publiques. Il faudrait réorienter ces dépenses vers les secteurs générateurs de croissance économique. Avec cette évidence que l’exercice prendrait du temps.
Une décision de plan de relance exigerait un vote du Parlement et sa mise en pratique dépendrait aussi d’un éventuel référendum populaire.
La Suisse n’est pas la Chine
Une autre particularité du système fédéraliste suisse ne facilite pas la tâche de l’Etat: le fédéralisme fiscal. «L’essentiel des impôts sont communaux et cantonaux. Communes et cantons seraient mis à contribution pour un tel plan. Mais la Suisse n’est pas la Chine, où le parti décide et fait appliquer…»
Autrement dit, le risque serait grand de ne pas atteindre la cible et d’arriver trop tard: accroître encore la demande au moment où le cycle économique aura repris du souffle – avec un risque de surchauffe – plutôt qu’influer sur la conjoncture au moment de la crise, de manière anticyclique.
«Le temps que l’argent arrive où l’on pense qu’il devrait arriver, la crise sera surmontée, estime Sergio Rossi. Mais les mesures ponctuelles sous prétexte de mauvaise conjoncture sont une bonne chose. On a besoin d’assainir le parc immobilier, d’améliorer l’efficience énergétique et de songer au développement durable.» Préparer l’avenir, comme le dit Délia Nilles.
swissinfo, Pierre-François Besson
Le gouvernement ouvrira les cordons de la bourse à raison d’un milliard au plus, dont 341 millions pourront être débloqués dès janvier. Le reste devant encore faire l’objet de discussions d’ici février-mars.
205 millions seront disponibles pour des investissements des Départements de justice et police, de la défense et de l’économie.
66 millions seront octroyés pour la protection contre les crues et les dangers naturels, 20 millions pour les constructions civiles de la Confédération et 45 millions pour la rénovation énergétique des bâtiments d’utilité publique.
Les moyens pour la promotion des exportations helvétiques (Osec), seront relevés de 5 millions.
Une deuxième étape suivra au début de l’année prochaine et le gouvernement a demandé à l’administration de lui présenter des projets pouvant être mis en oeuvre rapidement pour quelque 600 millions de francs.
Ces millions iront sans doute à l’infrastructure ferroviaire, les routes nationales et l’assainissement énergétique des bâtiments anciens.
En parallèle, le gouvernement débloquera les « réserves de crise » (550 millions) dès le 1er janvier. Ces fonds, fiscalement privilégiés, ont été constitués à titre facultatif par 650 entreprises. La loi prévoit la restitution des montants aux intéressés en cas de crise.
La ministre de l’économie annonce aussi vouloir tout faire pour finaliser au plus vite les accords de libre échange avec le Japon, le Canada et les Etats du Conseil du Golfe. Elle souhaite aussi avancer les négociations engagées avec l’Inde notamment et en ouvrir avec la Chine et la Russie.
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