Quand les banques se mettent au chômage partiel
Il s'agit d'une première dans l'histoire bancaire suisse: UBS a déposé la semaine dernière une demande de chômage partiel. Une mesure que les syndicats, qui craignent des vagues de licenciements collectifs, souhaitent voir renforcée en temps de crise.
La Suisse dispose de l’un des droits du travail les moins contraignants en comparaison européenne, a dénoncé lundi à Berne l’Union syndicale suisse (USS). Alors que les licenciements collectifs se multiplient, elle a exigé que les travailleurs helvétiques soient mieux protégés.
Dans cette optique, l’USS demande notamment que la durée du chômage partiel passe de 18 à 24 mois. En février dernier, le Conseil fédéral (gouvernement) avait déjà fait usage de sa compétence pour la prolonger de 12 à 18 mois.
C’est que le recours au chômage partiel touche désormais aussi les cols blancs. La grande banque UBS, parmi les plus touchées par la débâcle du crédit hypothécaire américain, a en effet décidé de recourir à cette mesure, jusqu’ici plutôt utilisée dans l’industrie.
Une petite révolution que salue Denise Chervet, secrétaire centrale de l’Association suisse des employés de banque (ASEB). Même si seule une quarantaine de personnes sont concernées chez UBS, elle y voit un exemple à suivre au moment où le chômage va aller en augmentant dans le secteur bancaire.
swissinfo.ch: Quelle est la situation actuellement dans les banques suisses sur le front de l’emploi?
Denise Chervet: Ce printemps, UBS a annoncé la suppression de 2500 de postes de travail en Suisse. Une procédure a été mise sur pied pour qu’il y ait le moins de licenciements possibles. Le plan social prévoyait une période de coaching de 2 à 4 mois avant qu’un licenciement puisse être prononcé. Les premiers licenciements interviendront donc en juillet.
De son côté, Credit Suisse avait aussi annoncé l’an passé 600 réductions de poste. Selon nos informations, aucun licenciement n’a encore été prononcé dans ce cadre et le programme interne de placement a jusqu’ici été efficace.
Mais ces prochains mois, hélas, nous allons probablement devoir enregistrer des licenciements dans les banques, et pas seulement dans les grandes. Le taux de chômage est actuellement de 2,7% dans le secteur. Il est prévu qu’il augmente à 3,9% d’ici la fin de l’année, contre 3,8% dans les autres secteurs.
swissinfo.ch: Et du côté des banques privées genevoises?
D.C. : Nous n’avons que peu de contacts avec les employés des banques privées. C’est assez opaque. On constate que les licenciements ont effectivement augmenté, et ma collègue de Genève travaille sur quelques cas assez complexes. Mais de manière générale, on a plutôt l’impression qu’il y a assez d’argent et qu’employeurs et employés s’arrangent.
swissinfo.ch: Les malheurs des grandes banques ne font-ils pas le bonheur des petites, les établissement privés justement ou les banques cantonales, les caisses Raiffeisen?
D.C.: Les marges ont diminué dans toutes les banques. Il y a effectivement de l’argent qui a été déplacé, mais on constate partout une pression très grande sur le personnel. La situation est aussi tendue dans le monde bancaire que dans le reste de l’économie.
swissinfo.ch: Quels enseignements tirez-vous des négociations menées dans le cadre des annonces de licenciement chez UBS?
D.C.: La commission du personnel de la banque et la direction ont reconnu la nécessité et l’utilité de faire intervenir des partenaires extérieurs, ce qui n’était jusqu’ici pas le cas. La question du travail à temps partiel a aussi progressé. Dans les banques, ce n’était pas très reconnu. C’était jusqu’ici réservé aux femmes et à ceux qui ne voulaient pas faire carrière. Sur ce point, on espère qu’il y a eu un changement de mentalité et de culture.
swissinfo.ch: A propos de mentalité, avez-vous constaté un changement au niveau directionnel ? Récemment encore, le président d’UBS Kaspar Villiger a déploré l’exode des cadres de la banque pour raisons salariales…
D.C.: Les salariés ont été choqués quand ils ont appris qu’il y avait des parachutes dorés et que des augmentations de salaire avaient malgré tout été accordées.
Le problème est qu’il ne faut pas en rester là. Il y a dans les banques, comme dans beaucoup d’autres entreprises, une individualisation très grande des rapports de travail. Les personnes restent seules avec leurs problèmes et leur colère aussi. En tant que syndicaliste, notre travail est de réussir à canaliser tout cela pour en faire une force et ainsi imposer nos revendications.
swissinfo.ch: Une telle dynamique est-elle possible dans le monde bancaire, plutôt axé sur des logiques concurrentielles?
D.C.: Je suis convaincue qu’une telle dynamique peut se mettre en place dans les banques comme ailleurs. C’est le travail du syndicat de faire en sorte que les relations de travail soient basées sur la confiance et qu’elles permettent de chercher ensemble des solutions à des problèmes qui sont souvent collectifs.
Carole Wälti, swissinfo.ch
Sites suisses sacrifiés. «Comme il est beaucoup plus avantageux, pour une entreprise active au plan international, de licencier dans notre pays qu’en Europe, cette protection lacunaire des travailleurs désavantage réellement les sites suisses de production», a critiqué lundi Paul Rechsteiner, président de l’Union syndicale suisse (USS).
Plan social obligatoire. Outre une extension de la durée du chômage partiel, les syndicats ont réclamé qu’un plan social soit obligatoire en cas de licenciement collectif. Actuellement, c’est l’employeur qui décide d’en proposer un ou non.
Le contenu des plans sociaux n’est nulle part défini légalement.
Modèle, l’UE. Vu les sombres perspectives économiques, il est urgent que la Suisse s’aligne sur les standards européens, plus stricts, ont exigé les syndicats.
Consultation alibi. Ils ont aussi dénoncé les insuffisances de la procédure de consultation des syndicats prévue en cas de licenciements collectifs. Trop souvent, celle-ci fait figure d’exercice alibi selon eux.
Afin de corriger le tir, il faut que la procédure soit transparente et suffisamment longue pour que les salariés puissent être informés en détail, s’adresser à des experts et être une véritable force de proposition, a demandé l’USS. Les syndicats doivent aussi être inclus dans cette phase.
Révision souhaitée. L’USS entend interpeller la ministre de la justice Eveline Widmer-Schlumpf et celle de l’économie Doris Leuthard pour qu’elles mettent en route la révision du droit du travail. Prévue au début des années 2000, celle-ci a été abandonnée.
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