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Querelle fiscale avec les USA: le pire serait derrière

Les pratiques de la banque suisse Wegelin ont suscité l'ire des autorités américaines. Reuters

L’acte d’inculpation de la banque privée suisse Wegelin a représenté le point d’orgue du conflit fiscal entre Berne et Washington, estime l’ambassadeur américain en Suisse. Donald Beyer veut croire que les autres banques seront plus enclines à coopérer. Interview.

En poste depuis deux ans et demi à Berne, Donald Beyer est étroitement impliqué dans la recherche d’une solution au conflit entre autorités américaines et banques suisses soupçonnées d’avoir aidé des clients américains à contourner le fisc de leur pays. Dans une interview à swissinfo.ch, il estime que le point culminant de la crise est passé et que les dix autres banques actuellement sous enquête montrent une plus grande volonté de coopération.

L’ambassadeur répond également aux critiques sur l’introduction du Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca), qui impose aux institutions financières non étasuniennes un devoir de transparence totale sur les dépôts et les avoirs bancaires de toutes les personnes qui ont des comptes à rendre au fisc américain, et qui aurait conduit, parmi d’autres raisons, une centaine d’Américains de Suisse à renoncer à leur passeport US.

swissinfo.ch: Les investigations du fisc américain ont dominé les rapports entre la Suisse et les Etats-Unis ces derniers temps. Ces relations ne risquent-elles pas de devenir encore plus délicates si les enquêtes dans les autres banques suisses se poursuivent?

Donald Beyer: Selon moi, nous avons déjà atteint le point le plus bas avec l’acte d’inculpation contre Wegelin et la décision de la banque de céder la plupart de ses actifs à Raiffeisen. Les autres banques semblent davantage enclines à participer et à coopérer. Credit Suisse et Julius Bär ont récemment souligné dans la presse qu’elles souhaitaient aller de l’avant et nous aider par tous les moyens possibles.

Je pense que quelques-unes des banques impliquées seraient prêtes à transmettre des données si elles y étaient autorisées d’une manière qui soit conforme à la loi suisse. Jusqu’ici, elles estiment qu’elles n’y sont pas autorisées et attendent un accord entre les deux gouvernements.

Nous nous sommes entretenus régulièrement avec le secrétaire d’Etat Michael Ambühl. J’ai également des contacts réguliers avec l’Internal Revenue Service (IRS) et le département de la Justice américain. Tous ces processus avancent plus lentement que nous le souhaiterions, mais ils avancent.

swissinfo.ch: La Suisse comprend-elle la position des Etats-Unis dans cette affaire? A quelles occasions avez-vous pu expliquer la position de Washington aux autorités suisses?

D.B.: Je ne suis pas sûr que le citoyen suisse moyen comprenne parfaitement les enjeux, car les questions soulevées sont délicates. En revanche, je pense que le gouvernement et les ministres les comprennent très, très bien. Et ils ont montré une attitude très constructive dans la recherche d’une solution honorable.

Certes, il y a des tensions. Ce que nous soulignons sans cesse, c’est que tout ceci n’est pas une attaque à l’égard des banques suisses, mais une tentative de mettre la main sur quelques milliers d’Américains qui ont fraudé le fisc aux Etats-Unis et de leur faire payer leur dû.

swissinfo.ch: Que dites-vous à tous les honnêtes contribuables américains qui possèdent des liens étroits avec la Suisse mais qui sont soupçonnés simplement parce qu’ils possèdent un compte en banque suisse ou sont parfois rejetés par les banques suisses en raison de leur citoyenneté américaine? Conjuguées aux craintes liées à l’introduction du Fatca, ces difficultés poussent certains d’entre eux à rendre leur passeport américain…

D.B.: Il faut différencier selon les cas. D’un côté, il y a certainement des expatriés américains qui ont éprouvé des difficultés à ouvrir un compte dans une banque suisse. De même que certains Suisses vivant aux Etats-Unis ont eu de la peine à conserver leur compte en banque suisse.

Nous leur avons conseillé d’être patients et persévérants. Patients car aucune loi ni aucun règlement en Suisse ou aux Etats-Unis ne force les banques à prendre de telles décisions. Les banques agissent comme bon leur semble dans le cadre de leurs affaires courantes. Parfois, elles décident de ne pas faire affaire avec les clients américains. Si elles agissent de la sorte, c’est certainement par crainte car elles ne savent pas si les enquêtes de l’IRS pourraient d’une façon ou d’une autre les mettre en danger.

Quant à l’introduction du Fatca, il a provoqué d’énormes inquiétudes à travers le monde. Il faut porter au crédit de la Suisse d’avoir été le tout premier Etat à mettre en lumière les conséquences involontaires que Fatca pourrait avoir. J’ai transmis à plusieurs reprises au département d’Etat américain les inquiétudes émises par les banquiers et les membres du gouvernement suisse. La bonne nouvelle, c’est que le gouvernement américain prend cela très au sérieux.

Je ne peux pas affirmer qu’il n’y a aucun lien entre Fatca et les renoncements à la citoyenneté américaine. Reste qu’ il y a une manière différente de voir les choses. L’an dernier, 1708 citoyens américains du monde entier ont renoncé à leur passeport. Il y en a eu 100 en Suisse. Ce sont pour la plupart des personnes nées aux Etats-Unis mais qui ont toujours vécu en Suisse ou ont l’intention d’y rester toute leur vie. Ils n’ont pas voulu se soumettre à Fatca ou à la responsabilité de remplir une déclaration d’impôt.

Mais ce qui est réellement intéressant, c’est que dans la même période, 11’539 citoyens suisses ont postulé pour obtenir la «green card», alors que 100 citoyens américains vivant en Suisse ont renoncé à leur nationalité. Cela équivaut à un ratio de 110:1.

swissinfo.ch: Selon des agences de promotion économique basées en Suisse, les entreprises américaines gèleraient leurs plans d’investissement en attendant que la querelle fiscale entre les deux pays soit résolue. Jusqu’à quel point le conflit fiscal, conjugué au franc fort, nuit-il au commerce entre la Suisse et les Etats-Unis?

D.B.: Je n’ai pas eu connaissance de cette situation, mais je n’ai pas non plus entendu un son de cloche opposé. J’estime que les choses se passent toujours relativement bien entre nos deux pays. Certes, le franc fort a toujours un impact, ce qui n’empêche toutefois pas de nombreux touristes américains de venir en Suisse. Dans le sens contraire, 470’000 Suisses se sont rendus aux Etats-Unis en 2011, soit une augmentation de 23% sur un an.

En 2010, la Suisse était le premier investisseur étranger aux Etats-Unis. Les entreprises et investisseurs suisses ont mis plus d’argent dans notre économie que n’importe quel autre pays. Les statistiques finales pour l’année 2011 devraient confirmer cette tendance. Par ailleurs, près de 600 entreprises américaines ont aujourd’hui leur siège social ou opérationnel en Suisse. Une communauté américaine extrêmement vivante se greffe autour de ces entreprises.

swissinfo.ch: Que vous reste-t-il à accomplir jusqu’à la fin de votre mandat en Suisse?

D.B.: La première priorité est de résoudre les questions bancaires. Et je pense que chacun reconnaît que cela est essentiellement lié à un héritage qui persiste en raison de vieilles décisions prises lorsqu’il n’y avait ni traité, ni loi, ni véritable conscience. Il s’agit aujourd’hui de surmonter cet héritage.

La seconde priorité est de développer les accords d’échange d’information qui permettront de poursuivre la politique d’exemption de visa. Un grand nombre de pays européens, dont l’Autriche, qui a des lois aussi strictes que la Suisse en matière de protection de la sphère privée, ont déjà négocié ces accords. Le gouvernement suisse a donné un mandat à l’Office fédéral de la police il y a deux ou trois semaines dans ce sens. Nous avons bon espoir que cela puisse se faire.

Donal Beyer a été nommé ambassadeur des Etats-Unis en Suisse par le président Barack Obama en juin 2009. Il a pris ses fonctions le 15 août 2009.

Né en Italie, Donald Beyer a été un homme d’affaires à succès avant de s’engager en politique. Il a travaillé pour Volvo avant de mettre sur pied son propre réseau de commerces.

Ancien vice-gouverneur et président du Sénat de l’Etat de Virginie de 1989 à 1998, Donald Beyer est considéré comme un important donateur du Parti démocrate. Selon le «Center for responsive politics», il a levé plus de 500’000 dollars pour la campagne de Barack Obama en 2008 et a versé personnellement 4600 dollars.

UBS a été la première banque suisse à se retrouver dans le collimateur de la justice américaine. Elle a été condamnée en 2009 à une amende de 780 millions de dollars pour avoir aidé des contribuables américains à frauder le fisc.

L’année suivante, le gouvernement suisse a signé un accord pour la transmission des données de 4500 clients américains d’UBS aux autorités américaines. L’accord a été ratifié par le Parlement en 2010.

Deux amnisties fiscales aux Etats-Unis – une troisième a débuté en janvier – ont permis de mettre la main sur plus de 30’000 fraudeurs du fic. La justice américaine a pu rassembler de nombreuses preuves sur la complicité des banques suisses.

Plusieurs banquiers et avocats suisses ont été arrêtés ou mis en examen aux Etats-Unis ces derniers mois. Parmi eux, trois dirigeants de la banque privée Wegelin qui ont été inculpés le 3 janvier. Le 27 janvier, Wegelin annonçait la vente d’une grande partie de ses activités au groupe Raiffeisen.

Le 3 février, la justice américaine inculpait Wegelin pour avoir aidé et incité des clients américains à frauder le fisc. C’est la première fois qu’une banque étrangère est formellement inculpée pour de telles pratiques aux Etats-Unis.

Le Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) a été adopté en 2010 aux Etats-Unis. Il a été conçu pour mettre fin aux échappatoires dans les réglementations existantes de conformité fiscale.

La nouvelle loi contraindra les sociétés étrangères à déclarer au fisc américain tous les avoirs déposés par des citoyens américains à l’étranger qui excèdent 50’000 dollars. Si elles n’y parviennent pas, elles seront frappées d’un impôt à la source de 30% sur les revenus.

Les Etats-Unis espèrent que la nouvelle législation rapporte 10 milliards de dollars en l’espace de dix ans. Le coût annuel de la mise en place de cette loi pour chaque banque étrangère a été évalué à 100 millions de dollars. Ce fardeau administratif a suscité les protestations de nombreux gouvernements, enclenchant des négociations avec la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne.

Les autorités américaines ont récemment publié un document de 388 pages sur la manière de mettre en œuvre Fatca. Elles ont ouvert une période de consultation qui durera jusqu’au 1er mai et prévoient de mettre en œuvre la législation par étapes, dès le début de l’année prochaine.

(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)

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