Rythme de croisière pour le dispositif anti-blanchiment
En marge du débat actuel sur la fiscalité, une étude montre que sept ans après son entrée en vigueur, le système anti-blanchiment suisse constitue un outil efficace.
Les banquiers privés suisses ont d’ailleurs demandé jeudi au gouvernement une pause dans l’application des mesures internationales de lutte contre l’argent sale.
Le débat autour de l’exil fiscal de Johnny Hallyday n’en finit pas de faire tache d’huile. C’est qu’il a fait ressurgir l’image d’une Suisse «prédatrice», comme l’a qualifiée le socialiste français Arnaud Montebourg dans le quotidien «Libération» début janvier.
Grand pourfendeur des paradis fiscaux, le député – suspendu jeudi de sa fonction de porte-parole de Ségolène Royal pour avoir critiqué le premier secrétaire du PS François Hollande, qui se trouve être le compagnon de la candidate à la présidence – avait cosigné un rapport en 2001 dans lequel il accusait la Suisse d’être mauvaise élève en matière de lutte anti-blanchiment.
Or c’est l’exact contraire que lui a reproché jeudi l’Association des banquiers privés (ABPS) suisses.
Trop ou trop peu?
Selon son président Pierre Darier, Berne ne devrait pas «s’aplatir» face aux exigences internationales, lesquelles reposent sur les recommandations émises par le Groupe d’action financière contre le blanchiment de capitaux (Gafi).
La Suisse en fait-elle donc trop ou trop peu? Les avis divergent évidemment selon les intérêts en jeu.
Reste que d’après une recherche effectuée par le professeur de droit pénal et de criminologie de l’Université de Fribourg Nicolas Queloz, les conclusions du rapport Montebourg ne sont aujourd’hui «plus du tout d’actualité».
Avec son équipe, il a analysé les pratiques suisses de contrôle du blanchiment d’argent. Pour cela, il a notamment cherché à savoir comment les différents acteurs percevaient le système de surveillance, dont la mise en place complète, datant de 2000, a précédé de peu la publication du rapport Montebourg.
Un «combat de façade»?
«A l’époque, ce rapport disait que la Suisse menait un ‘combat de façade’ contre le blanchiment. Cela pouvait se comprendre vu la conjoncture», rappelle Nicolas Queloz.
«Le dispositif en était à ses balbutiements, les responsables du Bureau de communication en matière de blanchiment (MROS) et de l’Autorité de contrôle avaient tous les deux démissionné. La mise en œuvre a en effet été conflictuelle et plutôt explosive».
Mais, selon lui, un «rythme de croisière» a été trouvé dès après 2001. Et, six ans plus tard, il existe désormais une véritable «cohésion» entre la jurisprudence, les diverses directives et la compréhension du système par tous ses acteurs.
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Blanchiment d’argent
Lutter aussi contre le «noircissement»
Du côté de l’Association suisse des banquiers (ASB), on rejoint les banquiers privés. Vice-président du Comité exécutif, Claude-Alain Margelisch souligne ainsi qu’en matière de lutte anti-blanchiment, «la Suisse dispose de standards internationaux en conformité avec ce qui est exigé actuellement».
Ceci même si la tendance au niveau international est au renforcement. En 2003, neuf recommandations sont venues s’ajouter aux 40 que le Gafi avait édicté en 1990 pour lutter contre l’argent sale.
La Suisse les a en partie intégrées, mais le combat contre le «noircissement» (financement du terrorisme par des fonds économiquement «propres») s’avère par exemple décourageant. «Dans ce domaine, les acteurs suisses sont très désillusionnés. Ils estiment que le coût engendré par ces mesures est disproportionné par rapport à leur succès», commente Nicolas Queloz.
Jusqu’ici, la Suisse n’a connu aucune affaire notoire où un intermédiaire financier a pu prouver que des fonds sortis du circuit normal ont servi à financer une activité terroriste.
Berne refuse de surveiller l’immobilier
Ce cas de figure pourrait néanmoins s’avérer désastreux pour la place financière helvétique, qui occupe, avec 28% du marché, la première place mondiale en matière de gestion de fortune privée. Le souci de réputation est en effet un des motifs d’acceptation du dispositif anti-blanchiment.
Un rapport du Gafi paru à l’automne 2005 a bien conclu que le système de contrôle suisse était efficace. Mais il a aussi mis en évidence des lacunes, que Berne se refuse pour l’instant à combler.
En septembre 2006, le ministre des Finances Hans-Rudolf Merz a justifié le refus d’étendre la surveillance du blanchiment à des secteurs tels que l’immobilier ou la vente de bijoux et d’objets d’art par un souci d’éviter tout «perfectionnisme inutile».
Sceptique, Nicolas Queloz se dit quant à lui favorable à une extension du contrôle, à l’immobilier en particulier. «Dans ce domaine, un lobby puissant a certainement réussi à se faire entendre», glisse-t-il. Reste à savoir pour combien de temps.
Reprenant un constat déjà formulé dans le rapport Montebourg, il note en effet que la Suisse a tendance à agir rapidement lorsqu’elle subit des pressions internationales.
swissinfo, Carole Wälti
Entre 2000 et 2004, les institutions financières suisses ont géré des avoirs pour en moyenne 3500 milliards de francs suisses.
Les intermédiaires financiers assujettis à la loi sur le blanchiment d’argent sont près de 8000 en Suisse.
Toujours entre 2000 et 2004, le Bureau de communication en matière de blanchiment (MROS) a reçu 615 avis de soupçons. 485 dossiers ont été transmis à la justice pénale. Il y a eu condamnation pénale dans 135 cas.
Au total, les sommes suspectes bloquées entre 2000 et 2004 se montent à 1,07 mia.
Les mécanismes de contrôle du blanchiment se sont affinés au fil de l’évolution du débat international à ce sujet.
En Suisse, l’Association suisse des banquiers (ASB) a signé une première convention relative à l’obligation de diligence des banques en 1977.
Les 40 recommandations édictées par le Gafi en 1990 ont été en partie inspirées par la convention signée par l’ASB. Celles-ci ont été actualisées en 2003 et augmentées de 9 recommandations sur le financement du terrorisme.
En 1990 également, la Suisse a mis en vigueur des normes pénales contre ce qu’on appelait alors le «blanchissage» d’argent. En 1997, elle leur a ajouté des normes administratives par le biais de la loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA).
Le dispositif complet, entré en vigueur en 2000, repose sur l’idée d’auto-régulation privée. Le contrôle étatique n’intervient que lorsque les intermédiaires financiers font part de soupçons de blanchiment.
En cas d’enquête pour blanchiment, le juge en charge du dossier peut demander la levée du secret bancaire, l’obligation de discrétion à laquelle sont soumis les représentants et les employés d’une banque.
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