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«Seuls les sots ne changent pas d’avis»

Sous pression, André Dosé se bat pour la survie de Swiss. Keystone

Le secteur aérien connaît sa crise la plus grave. Swiss, qui a perdu un milliard de francs en 2002 et qui a réduit son capital, lutte pour sa survie.

Pour son premier anniversaire, son patron, André Dosé, a répondu aux questions de Jean-Didier Revoin.

2002 aura été une année difficile pour Swiss, née sur les cendres des tours du World Trade Center et de la défunte Swissair.

La faiblesse de la croissance économique mondiale a entraîné une diminution drastique du nombre de voyageurs et contraint la compagnie aérienne à revoir ses ambitions à la baisse.

Ses pertes ont ainsi frôlé le milliard de francs. Pour limiter les dégâts, la direction a supprimé 700 emplois et réduit sa flotte de 20 avions à fin février. Avant d’annoncer début mars, une réduction de capital.

Après une année d’existence, Swiss n’est toujours pas parvenue à intégrer une grande alliance, objectif pourtant annoncé depuis son lancement. André Dosé, directeur exécutif de la compagnie, s’explique.

swissinfo: Que peut apporter Swiss à une grande alliance internationale?

André Dosé: Dans la situation actuelle, la question d’une alliance n’est pas la première de nos préoccupations. Et la conclusion d’une véritable alliance en 2003 n’aurait aucun impact positif sur le résultat de la compagnie.

Mais dans le long terme, nous avons beaucoup à offrir. Nous profitons d’un marché domestique très lucratif qui compte de dix à onze millions de passagers.

Ensuite, nous possédons un très bon produit et une très bonne marque. Et lorsque je parle d’alliance, mes interlocuteurs font preuve d’un très grand intérêt pour la marque Swiss.

swissinfo:Quelle serait l’alliance optimale pour Swiss?

A.D.: J’ai toujours dit que l’alliance la plus logique serait Oneworld. Et l’intégrer reste notre but. Aujourd’hui nous avons des accords bilatéraux de nature commerciale, notamment avec American Airlines aux Etats-Unis mais aussi avec Oneworld, à l’exception de deux de ses membres.

swissinfo: Lors de son lancement Swiss a misé sur le haut de gamme. Aujourd’hui, vous avez renoncé à l’achat de nouveaux appareils et vous lancez des tarifs à prix cassés. Pourquoi ce revirement stratégique?

A.D.: La stratégie et le business modèle de Swiss en font avant tout un network carrier. Et toujours dans cette perspective, les choses ont passablement changé depuis une année et le lancement de Swiss.

Nous devons donc exploiter les possibilités de diminuer davantage nos coûts dans un contexte, caractérisé par la guerre en Irak, la baisse générale de l’activité économique, etc…

Ce qui distingue une compagnie à prix cassés d’une compagnie traditionnelle sont les coûts de distribution. Nous avons des surcapacités sur certains vols européens. Et nous pouvons être plus attractifs grâce à des méthodes de vente directe et un mode de tarification plus appropriés.

Le but est simplement d’améliorer le taux de remplissage de nos appareils. Et je suis convaincu que dans un futur proche nos concurrents se mettront à de telles pratiques, d’où la nécessité de commencer le plus vite possible.

Mais il ne s’agit en aucun cas de déprécier le reste de nos activités dans le transport aérien. Nous n’allons pas mettre en péril la marque ou la qualité de nos produits. Bien entendu, cela reste plus facile à dire qu’à faire.

swissinfo: Mais par rapport au concept de départ, les changements que vous avez annoncés récemment sont importants. Ce qui n’a pas manqué de rendre beaucoup de gens sceptiques. Que leur répondez-vous?

A.D.: Il n’y a que les sots qui ne changent pas d’avis, surtout lorsqu’il s’agit de s’adapter à l’évolution du marché.

Konrad Adenauer a même dit un jour «qu’ai-je à faire de propos stupides que j’ai tenus hier». C’est un peu exagéré mais cela reflète assez bien la situation.

Le même service ne peut pas être offert sur toutes les lignes, il faut considérer le degré de compétition et le niveau de prix. Mais je le répète nous n’allons pas devenir une pure compagnie à prix cassés.

swissinfo: Arriverez-vous à convaincre vos clients?

A.D.: C’est exactement l’opportunité que nous devons saisir. Si nous parvenons à réduire nos tarifs, nos passagers profiteront toujours de la même qualité de service au sol. Ils éviteront, par exemple, les longues queues aux guichets d’enregistrement de compagnies comme EasyJet à Londres.

En raison du volume de voyageurs qu’il nécessite, ce modèle ne peut pas marcher sur l’ensemble de notre réseau mais seulement sur certaines routes.

Ça ne marchera pas entre Zurich et Zagreb ou Zurich et Luxembourg mais nous pouvons être concurrentiels entre Zurich et Londres, Paris, Copenhague ou Vienne.

swissinfo: Après votre réduction de capital, quelles réformes allez-vous entreprendre pour adapter la compagnie à sa nouvelle structure financière?

A.D.: Sur un plan financier, cette réduction de capital est une deuxième étape. On a déjà réduit la flotte de manière considérable, on a fait beaucoup de changements pour nous adapter à la baisse importante des volumes qui découle de la situation de guerre au Moyen Orient.

Et il est bien évident qu’on ne procède pas à une réduction de capital sans procéder en même temps à une restructuration.

A l’heure actuelle, il n’est pas question de réinjecter du capital dans la compagnie. C’est une mesure purement technique et financière qui profitera également aux actionnaires.

Puisqu’on a supprimé une partie des pertes, les dividendes versés aux actionnaires seront plus importants que dans le cas où il aurait fallu amortir les dettes sur plusieurs années lorsque la conjoncture reprendra.

swissinfo: Au besoin, envisagez-vous de faire appel à la Confédération pour obtenir de nouvelles liquidités?

A.D.: Le recours à la Confédération n’est clairement pas une option. Ce n’est simplement pas possible. Mais si sur un plan européen, et même mondial, toute l’industrie s’écroule, il faudra envisager des mesures à l’échelle nationale pour sauver un système de transport.

Il ne s’agit pas seulement de la survie de Swiss mais des aéroports, du contrôle du trafic aérien et, en fin de compte, de l’économie suisse qui en fera les frais.

swissinfo: Des compagnies étrangères ne pourraient-elles pas s’implanter en Suisse et garantir ce type de prestations?

A.D.: La Suisse a besoin d’une compagnie qui assure un trafic intercontinental d’une certaine envergure. Que ce soit aux Etats-Unis, en Europe ou en Extrême Orient, les patrons d’entreprises ne s’implantent pas à Zurich ou à Genève s’il n’y a pas de liaisons internationales.

Berlin, où Sony a construit son siège européen, est un exemple révélateur. Les dirigeants japonais ont fait pression sur le gouvernement en lui disant clairement que sans connexions internationales, la compagnie allait quitter la capitale.

swissinfo: Avez-vous préparé des stratégies pour lutter contre le scénario du pire?

A.D.: Nous avons bien évidemment plusieurs options mais les prévisions restent difficiles à faire car personne ne sait ce qui va se passer.

Une diminution supplémentaire du volume de passagers, que ce soit à cause du prolongement de la guerre ou d’un attentat terroriste n’importe où dans le monde, aurait des répercussions très importantes pour nous.

Il n’est pas possible de standardiser la réduction de deux, cinq ou davantage d’appareils. D’un point de vue tactique, nous décidons au jour le jour des destinations que nous assurons ou pas, en fonction des variations du volume de passagers sur les routes considérées.

swissinfo: Qu’est-ce que cela fait de diriger une entreprise qui s’apparente à un symbole national, avec toute la pression qui pèse sur vos épaules aujourd’hui?

A.D.: Le secteur aérien vit certainement l’année la plus difficile de son histoire, ce qui rend le management de la société très complexe. D’autant plus que chaque citoyen suisse, ou presque, me connaît.

Le nom du patron de Swiss est plus facile à retenir que celui des sept conseillers fédéraux, par exemple, ce qui accroît d’autant la pression.

Je ne vous cacherai pas que ce n’est pas exactement un plaisir, ni très motivant, de travailler dans une industrie qui détruit chaque jour de la valeur.

swissinfo: Et d’un point de vue personnel?

A.D.: On ne peut pas se cacher si l’on dirige la compagnie aérienne suisse. Il faut consacrer du temps aux gens, aux médias et même au pouvoir politique. Ce n’est pas tant que les politiciens me disent ce que je dois faire, mais cela fait partie du système.

Et du fait de l’implication du contribuable dans le lancement de Swiss, j’ai parfois l’impression d’être dans la peau de l’entraîneur de l’équipe suisse de foot: tout le monde s’y connaît, vous dit qui doit jouer centre avant ou en défense, mais cela fait partie du jeu.

swissinfo: Et comment gérez-vous toute cette pression?

A.D.: Cela tient à ma nature. Je ne suis pas quelqu’un qui perd son calme lorsque des problèmes apparaissent. Et si c’était le cas, cela n’aiderait pas beaucoup la compagnie.

swissinfo: Quelle est la principale qualité que doit posséder le directeur exécutif d’une compagnie aérienne aujourd’hui?

A.D.: Savoir rester calme. Ne pas perdre ses nerfs, même quand tout va mal et que les coups pleuvent de toutes parts.

interview swissinfo: Jean-Didier Revoin

– 1er avril 2002: envol de Swiss.

– 16 septembre 2002: Swiss annonce des pertes de 447 millions de francs pour son premier semestre d´existence. Avec 1,754 milliard de francs, le chiffre d´affaires dépasse nettement le 1,209 milliard inscrit au business plan.

– 19 novembre 2002: Swiss réduit sa flotte de huit avions et doit supprimer 300 emplois. La compagnie crée d’autre part 200 postes dans le secteur de la technique et des technologies de l´information.

– 17 janvier 2003: avec 11,6 millions de passagers sur ses vols en 2002, Swiss a transporté 1,8 million de personnes de plus que prévu dans le business plan.

– 27 janvier 2003: André Dosé annonce «une année 2003 difficile» pour Swiss.

– 24 février 2003: le syndicat du personnel au sol (GATA) mobilise contre d´éventuelles suppressions d´emplois.

– 25 février 2003: Swiss annonce la suppression de 700 emplois et la réduction de sa flotte de 20 avions, dont 17 régionaux, sur une flotte de 132 appareils. La mesure doit prendre effet le 30 mars.

– 25 mars 2003: Swiss réduit son capital au moyen d’une réduction de la valeur nominale de ses actions qui passe de 50 à 32 francs.

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