Thomas Schmidheiny satisfait d’avoir passé la main

L’industriel suisse affirme n’avoir aucun regret après avoir cédé le contrôle de son entreprise de ciment Holcim.
Dans une interview accordée à swissinfo, Thomas Schmidheiny explique ce qui l’a conduit à transformer le groupe en profondeur.
Thomas Schmidheiny – à la tête d’une des plus influentes dynasties industrielles de Suisse – est toujours l’actionnaire principal de Holcim avec 27,1% des droits de vote.
Après avoir dirigé pendant près de deux décennies la société, qui s’appelait auparavant Holderbank, Thomas Schmidheiny a renoncé à la fin 2001 au poste de directeur exécutif. Puis en février de cette année, il a définitivement quitté la présidence du conseil d’administration.
Ce retrait a fait suite à une amende de 2,2 millions de francs suisses (1,5 millions d’euros) infligée par un tribunal espagnol pour délit d’initié.
L’industriel helvétique a aussi été membre du conseil d’administration de SAirGroup, la société mère de la défunte Swissair.
swissinfo: Est-ce qu’il vous a été difficile au sein de Holcim de voter en faveur du principe «une action, un vote»? Après tout, cela signifiait abandonner le contrôle d’une société que vous aviez dirigé pendant près de 20 ans.
Thomas Schmidheiny: Le mot important dans votre question est: une société que j’ai dirigée.
Pendant de nombreuses années, il a été logique pour moi d’être président et directeur exécutif. Avoir le contrôle des votes a donné à Holcim un environnement très stable, propice à son développement.
Puis nous avons travaillé deux ans sur un programme pour séparer ces deux fonctions.
Il était aussi logique d’instaurer le principe «une action, un vote», ainsi l’entreprise devenait réellement une société cotée en Bourse.
swissinfo: Dans quelle mesure Holcim est toujours votre bébé puisque vous en êtes encore l’actionnaire principal?
T.S.: Aujourd’hui, je suis un membre ordinaire du conseil d’administration. Avec cette fonction, et grâce à mon expérience professionnelle, je suis toujours en mesure d’apporter ma contribution au développement stratégique.
Mais il est tout à fait clair que les opérations sont du ressort de Markus Ackermann, notre directeur exécutif, et une personne indépendante a pris la présidence. Je pense qu’il s’agit d’une décision appropriée dans le monde d’aujourd’hui.
swissinfo: Quelle importance représente pour vous la gouvernance d’entreprise?
T.S.: Si l’on regarde l’histoire de la gouvernance d’entreprise, je peux vous assurer, qu’en général, la Suisse s’est beaucoup améliorée. Au sein de Holcim, nous avons fait d’énormes progrès ces deux dernières années.
Parallèlement à la séparation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur exécutif, nous avons démarré un programme afin de mettre en oeuvre toutes les mesures et recommandations figurant dans la réglementation de la Bourse suisse. Je suis fier que nous y soyons totalement parvenus maintenant.
Il y a cinq ans, nous avons institutionnalisé un programme de gestion des risques et je suis convaincu qu’aujourd’hui Holcim a un des meilleurs programmes en la matière.
Pour le conseil de direction, c’est un des meilleurs outils pour vérifier ce qui s’est réellement passé dans l’entreprise.
swissinfo: Le nom de Schmidheiny a été le synonyme de la plus célèbre dynastie industrielle de Suisse. Certains ont affirmé dans les médias qu’elle avait atteint son zénith et que maintenant elle s’effondrait. Est-ce juste?
T.S.: C’est un point de vue qui vient de l’extérieur. C’est aussi très intéressant de dire que quelqu’un a fini sa carrière plutôt que de dire que quelqu’un a fait quelque chose de bien.
Des gens, par exemple, ont écrit que j’avais perdu mon pouvoir en abandonnant la majorité des votes à Holcim.
Je pense plutôt que cette décision a été un signal positif pour l’économie suisse: j’ai eu la possibilité de faire exactement cela et j’ai eu le courage de m’orienter différemment – je suis un investisseur de Holcim, mais je n’en ai pas le contrôle.
Selon moi, avec la modernisation de la gouvernance et des structures de la société, j’ai prouvé que j’étais une personne tournée vers l’avenir et, dans un sens, prête à s’adapter à un environnement en mutation.
swissinfo: Qu’est-ce qui ne va pas avec l’économie suisse actuellement?
T.S.: L’économie suisse ne se comporte pas trop mal. Nous devons à nouveau restructurer… afin de faire face à un environnement international hautement compétitif, à la mondialisation. Je pense que c’est un processus auquel la Suisse est habituée.
D’autre part, il y a des institutions dont le temps est révolu. Regardez l’industrie des compagnies aériennes. Il y a un changement fondamental.
Il y a dix ans, il y avait des structures bien définies, y compris en matière de prix. Sur le marché d’aujourd’hui, tout est remis en question.
Mais dans ce secteur, vous avez toujours des domaines hautement contrôlés, comme combien de fois et quand vous pouvez survoler un pays, ce qui fait que c’est une dérégulation sans fin.
Nous devons achever la dérégulation dans certains domaines.
swissinfo: La Suisse possède-t-elle les processus de prise de décision pour faire face aux défis économiques actuels et ceux du futur?
T.S.: A certains niveaux, nous nous bloquons nous-mêmes avec des structures et des politiques anciennes.
Cet automne, nous renouvelons le Parlement fédéral. Si la population veut une réorientation, c’est l’occasion de voter pour les personnes qui se font les avocats du changement.
Une des choses que nous devons introduire au Parlement, c’est une prise de risque un peu plus grande, plutôt que simplement maintenir le statu quo.
swissinfo: Que fait Thomas Schmidheiny aujourd’hui? J’imagine que ce doit être dur pour quelqu’un qui a été aussi actif que vous de ne pas utiliser son énergie ailleurs?
T.S.: Il est clair que ma vie quotidienne au travail a changé, mais j’ai eu une période de transition de deux ans pour m’y faire. Je peux enfin me concentrer sur certains problèmes d’investisseur.
Cela va du vignoble à l’extension et à une nouvelle modernisation de notre investissement dans des hôtels de Bad Ragaz, sans oublier quelques autres investissements et ma collection d’art.
J’aime aussi voyager et rendre visite à des amis que je n’ai pas vus depuis des années.
swissinfo, Robert Brookes
(traduction: Chantal Nicolet)
Thomas Schmidheiny est né en décembre 1945 à Balgach, dans le canton de Saint-Gall.
Il a obtenu un mastère en ingénierie mécanique à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.
Il a aussi un mastère en business administration de l’IMD à Lausanne et de la Tufts University, Medford.
Il a passé près de vingt ans à développer Holcim pour devenir un leader du marché du ciment.
– Après l’introduction du système «une action, un vote», Thomas Schmidheiny détient 27,1% des voix. Avant, il en avait 57%.
– Il affirme qu’il n’a pas été trop difficile de céder le contrôle parce qu’il y a eu une période de transition de deux ans.
– Thomas Schmidheiny estime qu’il devrait y avoir au Parlement plus de personnes prêtes à prendre des risques.
– Maintenant, il peut davantage se consacrer à ses investissements privés.

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