Un enjeu de 3400 milliards de francs
Au fil des ans, le secret bancaire est devenu un pilier essentiel pour la compétitivité de la place financière suisse.
Sa disparition entraînerait une perte d’attractivité et une chute des actifs détenus par le florissant secteur de la gestion de fortune.
A l’origine, le secret bancaire n’est qu’une simple obligation de discrétion du banquier qui vise à protéger son client. Les banques estiment qu’il peut être comparé au secret professionnel des avocats, des médecins ou des ecclésiastiques.
Avec le temps, le secret bancaire s’est élevé, sans réelles justifications, au rang de mythe. «Il joue désormais un rôle symbolique et, comme tous les symboles, il est devenu plus important que la réalité», analyse le sociologue Pierre Weiss.
Inscrit dans la Loi sur les banques et passible de sanctions pénales en cas de violation, le secret bancaire fait maintenant partie de l’image de marque du pays dans le monde.
Le monde bancaire est en crise
La protection de la sphère privée appartient à la culture des banquiers suisses, avec la sécurité, la performance et le service, elle constitue l’un des quatre piliers de la place financière du pays.
Si les banques perdaient cette confidentialité, c’est tout un pan du secteur de la gestion de patrimoine qui s’écroulerait car certains clients pensent que les avantages des banques suisses se résument au secret bancaire.
Aujourd’hui, le monde financier helvétique assure 14% du PIB, 5% des emplois et 18% des recettes fiscales du pays. «C’est un élément clé de notre prospérité», estime une étude de l’Institut lausannois Créa.
Pour comparaison, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, la place financière représente 7 à 8% du PIB, alors qu’en France et en Allemagne, ce pourcentage est d’environ 5%.
Mais depuis bientôt un an, le secteur est en crise. L’Association suisse des banquiers prévoit qu’à fin 2002, le nombre d’employés de banques passera sous la barre des 100 000, soit une perte de 6000 emplois en un an.
La Banque nationale suisse estime que les effets conjugués de la chute des marchés boursiers et de l’amnistie fiscale italienne ont entraîné une chute de 8,5% des fonds gérés en Suisse à 3400 milliards de francs.
L’hiver dernier, le « scudo fiscale » du gouvernement Berlusconi a provoqué le rapatriement en Italie de 88 milliards de francs, dont 56% venaient de Suisse.
Ennuyeux si l’on considère que chaque million déposé par la clientèle engendre environ 5000 francs de bénéfices par an aux banques helvétiques.
Les emplois filent à l’étranger
Pour récupérer une partie des fonds, des établissements helvétiques ont décidé de développer leur présence dans la péninsule en pratiquant la gestion «on shore», c’est-à-dire dans le pays d’origine du client. Résultat, après l’argent ce sont les postes de travail qui ont émigré.
S’il venait l’idée à l’Allemagne et à la France de suivre l’exemple italien, et si en plus le secret bancaire était aujourd’hui supprimé, ce n’est plus un violent orage mais un ouragan qui s’abattrait sur la place bancaire helvétique.
Face à cette évolution, les établissements suisses perçoivent le secret bancaire comme un atout majeur. La stabilité politique et la force de la monnaie nationale ne sont plus des arguments suffisants.
La qualité du service, la solvabilité des établissements et l’honnêteté des gérants suisses sont réputées mondialement.
La concurrence aura beau promouvoir ses prix ou ses performances, elle pourra difficilement égaler le savoir-faire, la touche personnelle, bref la «culture relationnelle» que possède le banquier suisse.
Pourtant, sans le secret bancaire, cela ne suffira pas à attirer une clientèle essentiellement en quête de discrétion.
swissinfo/Luigino Canal
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