Un pays trop riche pour se réformer
Sans une réforme radicale de son système politique, la Suisse aura du mal à retrouver sa compétitivité, affirme David Syz.
Pour le secrétaire d’Etat à l’économie démissionnaire, c’est à cause de sa richesse que la Suisse reste à la traîne du monde industrialisé en termes de croissance.
Dans sa dernière interview en tant que secrétaire d’Etat, David Syz insiste sur la nécessité pour la Suisse d’accélérer le processus des réformes, tant politiques qu’économiques.
Avant d’arriver à la tête du Secrétariat d’Etat à l’économie (seco) en juillet 1999, il a travaillé trente ans dans l’économie privée, notamment à l’UBS (la plus grande banque du pays) et à la tête du groupe industriel SIG.
Aujourd’hui âgé de 60 ans, David Syz quitte le seco. Il s’entretient avec swissinfo des défis de l’économie helvétique qui a tendance à s’endormir sur ses lauriers.
swissinfo: Vous êtes passé du secteur privé à la tête du seco. Comment vit-on ce changement de culture?
David Syz: Ce fut un véritable choc, mais il faut s’y adapter. Le processus de prise de décision est très différent. Tout va beaucoup plus lentement, vous devez consulter des tas de gens et mettre tout le monde d’accord avant de décider quoi que ce soit.
De plus, vous ne voyez pas immédiatement les résultats de votre travail, ce qui peut être frustrant.
C’est ce qui me fait dire que nous devons réformer la manière dont nous prenons nos décisions. Le monde a changé. Nous devons devenir plus compétitifs sur le plan international et cela nécessite des décisions plus rapides et plus radicales.
swissinfo: L’Organisation de coopération et de développement économique dit également que la Suisse doit devenir plus compétitive. Selon vous, est-ce que la lenteur de réformes freine le progrès économique?
D. S.: Absolument. Mais le problème est ancré dans notre système politique. C’est cette culture du consensus qui nous rend presque incapables de bouger rapidement.
Nous sommes encore dans une position de force et tant que les choses ne vont pas trop mal, personne ne pousse vraiment aux réformes. Nous allons probablement devoir attendre que la réalité économique nous rattrape ou que les pressions viennent de l’extérieur.
swissinfo: Vous avez déclaré récemment que la Suisse avait besoin d’un gouvernement qui adopte des positions claires et qui ait le courage de prendre des décisions impopulaires…
D. S.: C’est malheureusement vrai. Si vous regardez ce que propose le gouvernement pour les quatre prochaines années, vous voyez que ce n’est pas un vrai programme.
C’est juste une liste de problèmes à résoudre. Ce qui ne nous avance pas beaucoup. Il faut que les partis discutent ensemble des réformes à adopter et trouvent une solution commune.
swissinfo: Que se passera-t-il si l’on n’accélère pas le processus de réformes?
D. S.: Si nous n’allons pas plus vite, nous allons perdre pied. Le problème, c’est que nous sommes encore trop riches pour prendre des décisions impopulaires.
Et je crains que les choses ne doivent d’abord empirer avant d’aller mieux. Mais j’espère que nous allons réagir avant que cela n’arrive.
Et je crois que des réformes purement économiques ne suffiront pas. Nous avons aussi besoin de réformer nos institutions.
swissinfo: Les négociations bilatérales bis avec l’Union européenne (UE) traînent et le climat semble s’être détérioré récemment entre Berne et Bruxelles. La voie bilatérale est-elle encore praticable ou pensez-vous que notre prospérité dépend de notre adhésion à l’Union?
D. S.: Pour l’heure, nous devons nous concentrer sur la voie bilatérale. Je reste convaincu que nous pouvons aller de l’avant dans ce sens et j’ai bon espoir que nous puissions boucler ces bilatérales II dans les prochains mois.
Mais l’UE devient de plus en plus impatiente et ne veut pas accorder des traitements de faveur à la Suisse. Donc, la pression va augmenter et peut-être bien qu’un jour, nous en aurons assez et nous irons vers l’adhésion.
Pour l’heure toutefois, la voie bilatérale présente encore plus d’avantages que d’inconvénients. Il est clair qu’un jour, nous devrons adhérer, lorsque cela sera dans l’intérêt de notre économie et de notre sécurité.
Ce n’est pas encore le cas, mais ce jour viendra.
swissinfo: Vous avez dirigé le seco durant cinq ans de stagnation. On a pu voir certains fleurons de l’économie suisse licencier quantités de leurs employés. Est-ce que vous le regrettez?
D. S.: Bien sûr. Et je suis désolé pour ceux qui ont perdu leur job. Mais je vois aussi la nécessité des restructurations, qui malheureusement impliquent des licenciements.
Le rôle du seco est à la fois de faciliter les réformes, d’aider les personnes qui perdent leur emploi, de faciliter la création de nouveaux postes de travail et d’aider à améliorer la formation.
Mais en tous les cas, nous ne devons pas retarder les réformes nécessaires. Ce serait la pire des choses à faire.
swissinfo: En tant que chef du seco, vous avez conduit des délégations économiques un peu partout dans le monde. Est-il facile de porter ainsi le drapeau suisse?
D. S.: Honnêtement, oui. Très facile. Nous sommes le huitième pays du monde pour les investissements directs à l’étranger et nous sommes partout les bienvenus.
Les gens voient la Suisse comme un pays libéral, disposant d’un solide réseau d’accords de libre-échange et d’un solide marché financier. Cette réputation est encore intacte.
swissinfo: Ces voyages vous ont permis de voir comment on considère la Suisse à l’étranger. Est-ce que vous diriez que le pays devient lentement mais sûrement le maillon faible de l’Europe?
D. S.: Non, «maillon faible» est une formule trop forte. Mais la Suisse a quand même l’image d’un pays très traditionnel et qui bouge très lentement, surtout auprès des jeunes.
Je dirais que l’on nous respecte plus pour ce que nous avons fait que pour ce que nous prévoyons de faire. La réputation de la Suisse est davantage basée sur son passé que sur son présent.
swissinfo: Vous allez maintenant retourner dans le secteur privé. Mais vous prévoyez également de vous lancer dans le cinéma, avec une série de documentaires sur les effets de la globalisation…
D. S.: Oui. J’ai appris durant mes années au seco qu’il y a de nombreux malentendus au sujet de la globalisation. Je veux en monter concrètement certains exemples en produisant une série de petits films, axés sur la jeunesse.
La globalisation a plutôt mauvaise presse, mais elle détermine aujourd’hui de nombreux aspects de nos vies. C’est donc une chose que nous devons prendre au sérieux.
J’irai donc cette année à la New York Film Academy pour apprendre les bases du métier et j’espère arriver à produire quelque chose qui intéresse la jeunesse.
Interview swissinfo, Ramsey Zarifeh
(traduction et adaptation, Marc-André Miserez)
– David Syz est né en 1944. Il a suivi des études de droit à l’Université de Zurich avant de débuter sa carrière à la direction de l’UBS, la plus grande banque de Suisse.
– En 1986, il est nommé président de la direction du groupe industriel SIG.
– En juillet 1999, il devient le premier patron du nouveau Secrétariat d’Etat à l’économie (seco).
– Après presque cinq ans à ce poste, il vient de démissionner. Son successeur dès le 1er avril est Jean-Daniel Gerber, ancien directeur de l’Office fédéral des réfugiés.
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