Un premier remontant pour l’économie suisse
L'accent mis sur la politique d'innovation par le ministère de l'Economie ne produira ses effets qu'à long terme.
D’autres réformes portant sur la dynamisation du marché intérieur sont indispensables pour que la Suisse renoue avec la croissance.
Depuis dix ans, l’économie suisse est en panne. Elle affiche des taux de croissance nettement inférieurs à ceux de ses principaux partenaires économiques. Même en comparaison des «petits» pays européens comme les Pays-Bas ou la Norvège.
En présentant son rapport relatif à l’innovation, le ministre de l’Economie, Joseph Deiss, entend asseoir les bases qui permettront à l’économie suisse de rester au contact des principales économies de la planète. A défaut de pouvoir les dépasser.
Certes, une politique visant à stimuler la création et l’essor de nouvelles technologies ne permettra pas à elle seule de sortir l’économie nationale de l’ornière dans laquelle elle est empêtrée depuis plus d’une décennie.
Un levier facile à actionner
Mais c’est le levier économique sur lequel il est le plus facile d’agir dans l’immédiat parce que le moins politisé. Et l’économie helvétique en a bien besoin.
La réputation internationale et le savoir-faire reconnu de quelques entreprises suisses ont été mises à mal par les récentes déconfitures des fleurons de l’économie suisse. La seule mention des noms de Swissair, d’ABB ou de Von Roll suffit pour s’en convaincre.
Un déclin que la multiplication des prévisions économiques pessimistes (KOF, BAK, seco) ne fait que confirmer.
L’économie suisse est entrée en récession depuis le début de l’année et tous les observateurs s’accordent sur le fait que sa croissance sera au mieux nulle en 2003. De plus, personne n’écarte plus aujourd’hui l’éventualité d’une déflation.
Et même si le prestige des géants tels que Nestlé, Roche ou Novartis reste intact, ces quelques noms masquent le déclin que connaît l’économie helvétique depuis une quinzaine d’années.
Plus de dix ans de stagnation
Le «rapport sur la croissance» publié par le ministère de l’Economie en avril 2002 va même plus loin en affirmant que l’économie nationale «stagne à un très haut niveau».
Durant la décennie 90, la Suisse est en effet le seul pays membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui ne soit pas parvenu à faire progresser le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant.
Dressant le bilan de cette décennie perdue, Stéphane Garelli, professeur à l’IMD de Lausanne, constate que «sur les dix dernières années, la Suisse n’a connu qu’en 2000 une croissance supérieure à 3%».
La productivité en question
A l’origine de ce qu’il convient d’appeler une «panne de croissance», la faiblesse de la productivité suisse- soit la quantité de biens et services produits par heure de travail – est pointée du doigt.
Paradoxalement, il se trouve que la Suisse figure parmi les pays de l’OCDE où les habitants travaillent le plus grand nombre d’heures et où l’âge de la retraite arrive le plus tard.
Dans de telles conditions, il est difficile d’envisager une augmentation du nombre d’heures de travail pour accroître la productivité. Reste donc à l’Etat d’essayer de dynamiser la productivité par le progrès technologique pour enrayer cette tendance.
Et la politique d’innovation – comprise comme un accroissement des investissements dans la recherche et le développement (R&D) et de bonnes conditions-cadre pour stimuler l’esprit d’entreprise – est un des moyens dont dispose l’Etat pour dynamiser les processus de production.
Au même titre que la politique de la concurrence, la politique budgétaire, la politique de formation ou la politique de stabilisation macro-économique.
Il reste toutefois impossible de quantifier ses effets sur la croissance. Tout ce que l’on peut dire avec certitude, c’est que ses effets s’avèrent «suffisamment fiables» sur la croissance, précise le rapport du seco.
Assurer une croissance durable
Car la création, la diffusion et la maîtrise de la technologie dans un sens large, y compris le savoir-faire entrepreneurial constituent la source principale de développement perpétuel, et par conséquent, de croissance économique durable.
En Suisse, contrairement à beaucoup de pays membres de l’OCDE, les activités d’innovation sont menées la plupart du temps par des entreprises privées. Mais aujourd’hui, l’économie a besoin de favoriser les processus d’innovation davantage que par le passé.
En moyenne, 78% des entreprises suisses ont des innovations. Ce résultat, excellent en comparaison internationale, démontre que l’économie helvétique figure parmi les plus innovatrices.
En ce qui concerne le dépôt de brevet, la Suisse occupe également une position de pointe. Elle possède même le rapport de brevet déposé par habitant le plus élevé de la planète.
Les innovations ne portent pas
Mais l’excellence de ces résultats absolus masque cependant un fait inéluctable: ces innovations se font principalement dans des secteurs où la croissance reste relativement faible au plan mondial.
Ce qui porte à croire que malgré l’intensité et les résultats obtenus, l’impact de l’activité novatrice sur la croissance économique du pays reste «relativement» limité.
D’autant plus «qu’avec la globalisation, et la délocalisation des centres de recherche qu’elle induit – celui de Novartis est dorénavant situé à Boston – les retombées d’une innovation technologique ne se font plus forcément sur le territoire helvétique», constate encore Stéphane Garelli.
Pour combler ce retard, les statistiques démontrent qu’une intervention étatique n’est pas appropriée. Car la rentabilité de ces interventions n’est pas assez élevée.
La solution consiste plutôt à s’assurer que la politique technologique menée par les entreprises et l’Etat reste la plus ouverte possible et qu’elle ne s’enlise pas dans des secteurs d’activité obsolètes dont la croissance reste modeste.
17 milliards sur quatre ans
C’est donc dans cette optique que le ministère de l’Economie s’apprête à injecter 17 milliards de francs sur quatre ans. Une entreprise bienvenue mais qui, à elle seule, ne permettra pas de dégripper la machine économique suisse.
Par conséquent, le redressement de l’économie s’annonce long et besogneux. Car en plus de l’innovation technologique, quantité d’autres facteurs importants participent à la croissance.
Et une nouvelle fois, un cruel besoin de réformes se fait sentir. Pour ne citer que les plus importantes, il s’agit d’alléger les procédures administratives et les réglementations publiques qui freinent la création d’entreprise. Mais surtout de dynamiser le marché intérieur suisse qui est l’un des plus réglementés en Europe.
D’autres réformes attendent
Sur ce point, il convient de saluer l’acceptation, jeudi, par le Parlement de la révision de la loi des cartels. L’abolition de certaines barrières protectionnistes devraient ainsi renforcer la concurrence et engendrer une baisse des prix qui profitera aux consommateurs.
Reste encore, comme Joseph Deiss l’a mentionné à plusieurs reprises par le passé, à introduire davantage de concurrence au sein des monopoles publics.
Si le marché des télécommunications est déjà libéralisé, ce n’est pas encore le cas de ceux des transports, de l’énergie ou encore de La Poste. Autant de secteurs qui, une fois libéralisés, devraient permettre aux entreprises de faire baisser leurs coûts fixes et de nourrir la croissance.
Mais au vu du refus par le peuple de la libéralisation du marché de l’électricité en septembre dernier, la tâche s’annonce difficile.
swissinfo, Jean-Didier Revoin
– Le facteur de production «savoir» a toujours été d’une grande importance pour la Suisse, pays pauvre en matières premières.
– Depuis le milieu des années 70, la croissance économique de la Suisse stagne à un niveau élevé.
– De nombreux pays de l’OCDE ont aujourd’hui comblé le retard qu’ils avaient sur la Suisse.
– La Suisse demeure un pays où l’innovation reste importante mais elle ne se produit pas dans les secteurs économiques qui affichent une forte croissance.
– Les mesures proposées par Joseph Deiss visent à faciliter l’innovation technologique dans des secteurs de forte croissance.
– Comme leurs effets ne se feront sentir qu’à long terme, d’autres réformes devront suivre pour dynamiser le marché intérieur notamment.
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