Une page de l’histoire du nucléaire se tourne
L'évacuation des derniers déchets radioactifs de la première centrale nucléaire (expérimentale) de Suisse a démarré mercredi.
Le transport des six conteneurs de Lucens vers le dépôt de Würenlingen durera jusqu’à la fin du mois. Ensuite, la parcelle sera déclassée et réaffectée.
Cette opération porte très précisément sur six conteneurs de déchets faiblement radioactifs. Et elle est supervisée par la Société nationale d’encouragement de la technique atomique industrielle (SNA), qui exploitait le réacteur de la centrale.
«Cette opération, souligne l’Association suisse pour l’énergie atomique (ASPEA), signifie la fin d’une histoire mouvementée du développement de centrales nucléaires des années 50 et 60 en Suisse.»
Un vrai laboratoire
Cette histoire-là remonte à 1962. La première centrale nucléaire de Suisse a en effet été mise en chantier en été de cette année-là.
Mais, pour que l’installation souterraine à caractère expérimental puisse fournir de l’électricité pour la première fois, il faudra attendre encore six ans (29 janvier 1968).
En fait, l’objectif principal de cette centrale n’était pas la fourniture de courant mais le développement d’un réacteur «made in Switzerland».
Grâce à l’installation de Lucens, toute une génération d’ingénieurs, de physiciens, de chimistes et de techniciens suisses ont pu faire des expériences.
Et, lorsque les toutes premières centrales nucléaires commerciales (Beznau I et II et Mühleberg) seront mises en service entre 1969 et 1971, la Suisse disposera de spécialistes déjà expérimentés.
La grave avarie de 1969
Cela dit, la centrale vaudoise a fait la une de l’actualité pour d’autres raisons également.
En effet, le 21 janvier 1969, après des travaux de révision, une très grave avarie s’est produite lors de la remise en service.
Concrètement, un élément combustible surchauffé a été détruit. Et un tube de force a éclaté.
Des gaz inertes radioactifs se sont même échappés dans la caverne. Et, fort heureusement, ils ont été confinés dans la roche. Le réacteur a été arrêté immédiatement. Et pour toujours.
Et pour cause, certains experts affirment qu’il s’agirait – au plan technique – du plus important accident nucléaire que l’on ait jamais connu.
A la suite de cette avarie, le gouvernement fédéral suisse (Conseil fédéral) a d’ailleurs chargé une commission de mener l’enquête.
Publié dix ans plus tard, son rapport n’a révélé aucune négligence ou faute grave. C’est l’humidité des lieux qui aurait causé l’accident.
Plus précisément, elle aurait été à l’origine d’une corrosion sur les assemblages combustibles du réacteur et de la fuite qui s’en est suivie.
Riche en enseignements
Quoi qu’il en soit, affirme l’ASPEA, cette «panne involontaire a été riche en enseignements».
Tous les dispositifs de sécurité ont fonctionné comme prévu. Et ni l’équipe d’exploitation, ni l’environnement n’ont été exposés à des doses de rayonnements inadmissibles.
Les travaux de démontage de la centrale ont duré jusqu’à la fin 1972. Les assemblages combustibles ont été envoyés à l’usine Eurochemic de Mol en Belgique.
La plupart des déchets radioactifs ont été transférés à l’actuel Institut Paul-Scherrer, à l’exception de diverses pièces de grande dimension.
Mais il faudra encore attendre une trentaine d’années pour que les derniers éléments faiblement radiocatifs de la centrale quittent Lucens, cette fois pour Würenlingen dans le canton d’Argovie.
Parmi les conteneurs se trouve notamment la cuve du modérateur avec l’uranium fondu figé provenant de l’assemblage combustible qui a éclaté lors de l’avarie.
Un dépôt de biens culturels
Il faut rappeler que, par précaution, les cavernes de Lucens ont été partiellement comblées par du béton en 1992. Et que la plus grande partie de la parcelle a été déclassée en avril 1995.
A noter, pour la petite histoire, que le canton de Vaud l’utilise même comme dépôt de biens culturels et archéologiques.
Dès que les derniers déchets auront été évacués, le site perdra son statut d’installation nucléaire. Et la SNA – qui finance ces transports – sera dissoute.
Les transports concernent quelque 300 tonnes de déchets. Qui sont acheminés vers Würenlingen par six convois exceptionnels.
Une équipe d’experts de la centrale bernoise de Mühleberg suit les opérations. Elle est chargée de détecter toute fuite éventuelle. Et elle doit empêcher les curieux de s’approcher des conteneurs.
swissinfo et les agences
– En Suisse, l’ère de l’énergie nucléaire commence en 1957. Le 30 avril, des scientifiques déclenchent une réaction en chaîne auto-entretenue dans le réacteur de recherche «Saphir» de Würenlingen.
– Construite en 1962, l’installation de Lucens ambitionne d’être le premier réacteur nucléaire 100% suisse.
– L’accident de 1969 marque la fin des ambitions de la Suisse (qui voulait créer sa propre filière de réacteurs).
– La Suisse compte aujourd’hui cinq centrales nucléaires commerciales dont quatre sont situées dans le canton d’Argovie.
– Fin 1969, mise en service de Beznau I.
– 1972, mise en service de Beznau II.
– 1972, mise en service de Mühleberg (BE).
– 1979, mise en service de Gösgen.
– 1984, mise en service de Leibstadt.
– 40% de l’électricité consommée en Suisse provient du nucléaire.
– Depuis 1979, six initiatives antinucléaires ont été soumises au vote des Suisses.
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