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Climat: la responsabilité des États sous la loupe de l’ONU

Des femmes transportent des biens récupérés dans leur maison inondée après les pluies de mousson, dans le district de Qambar Shahdadkot de la province de Sindh, au Pakistan, le 6 septembre 2022.
Intensifiées par le réchauffement climatique, des pluies de mousson extrêmes ont inondé un tiers du Pakistan en 2022, affectant des millions de personnes et en tuant plus 1500, dont 500 enfants, d’après UNICEF. KEYSTONE/2022/AP All rights reserved

La condamnation de la Suisse pour inaction climatique précise l’obligation qu’ont les gouvernements de limiter le réchauffement planétaire. Mais qu’en est-il de leur responsabilité en cas de dommages liés au climat? La Cour internationale de justice tranchera bientôt. Un potentiel tournant pour la justice environnementale.  

Quelles sont les responsabilités des gouvernements quant aux dégâts provoqués par le réchauffement climatique? Ces prochains mois, la Cour internationale de justice, l’organe judiciaire principal des Nations unies, donnera son avis sur la question. 

Le 29 mars 2023, répondant à une demande du Vanuatu, qui est déjà en proie à la montée des eaux, l’Assemblée générale des Nations unies a appelé la Cour internationale de justice à se prononcer, à titre consultatif, sur les obligations des États pour limiter le réchauffement climatique, mais aussi sur leurs responsabilités face aux dégâts causés par celui-ci, en particulier dans les régions vulnérables. 

Ce sera la première fois que la «Cour mondiale» se prononcera à ce sujet. Elle a déjà reçu 91 observations écritesLien externe de pays et d’organisations, «le plus grand nombre à ce jour dans une procédure de ce type», a noté la CourLien externe qui mènera des audiences cet automne avant de rendre son avis au début de l’année 2025. Si un avis consultatif n’est pas contraignant, il pourrait avoir des répercussions significatives sur le droit international. 

La récente condamnation de la Suisse pour inaction climatique pourrait par ailleurs influencer les conclusions des juges de la Haye. Pour rappel, le 9 avril, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le gouvernement suisse violait les droits humains de femmes âgées – réunies au sein de l’association des «Aînées pour le climat» – en ne prenant pas les mesures nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique.

«La Cour européenne a ainsi montré que les Etats ont une obligation d’agir pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, mais pas seulement: elle a posé les jalons pour déterminer leur responsabilité juridique face aux dommages causés par la crise climatique», argue Nikki Reisch, directrice du programme sur le climat et l’énergie au Centre international pour le droit environnemental (CIEL), à Genève.  

Vers le droit à un environnement sain  

Si l’arrêt des Aînées pour le climat est contraignant et crée un précédent pour toute l’Europe, le combat ne s’arrête pas là. Depuis, plus de 400 ONG et instituts de recherches appellent à inscrire le droit à un environnement propre, sain et durable dans la Convention européenne des droits de l’hommeLien externe (CEDH), en adoptant un protocole supplémentaire. Jusqu’à présent, ce droit est indirectement garanti à travers les articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la CEDH. 

«Le verdict de Strasbourg est une avancée pour la justice climatique, mais les critères de recevabilité sont encore très stricts», tempère Raphaël Mahaim, avocat des Aînées pour le climat et député du Parti écologiste suisse. La Cour européenne a ainsi jugé irrecevablesLien externe des actions similaires intentées par six jeunes Portugais et par le Français Damien Carême, estimant que ceux-ci n’étaient pas «personnellement et directement touchés par l’action ou l’inaction des pouvoirs publics». «L’arrêt porte aussi uniquement sur les obligations en termes de réduction de CO2, ajoute-t-il. Avec un protocole additionnel dans la Convention européenne, on pourra être plus précis et concret.»  

Un constat partagé par Nikki Reisch, de CIEL: «Un protocole supplémentaire sur le droit à un environnement sain permettrait de renforcer et de clarifier les obligations des États en matière de protection du climat.» Ce droit est déjà reconnu par le Conseil des droits de l’homme et par l’Assemblée générale des Nations unies, depuis octobre 2021 et juillet 2022 respectivement. 

Des États insulaires à la «Cour mondiale»   

A présent, les regards se tournent vers la Cour internationale de justice (CIJ), à la Haye, dont l’avis aura des répercussions bien au-delà des frontières européennes, comme le soulève Nikki Reisch: «En tant que ‘Cour mondiale’, les opinions de la CIJ ont du poids. Sa déclaration quant aux obligations des Etats en matière de protection du climat influencera les tribunaux du monde entier, ainsi que les gouvernements qui cherchent à éviter des poursuites judiciaires.» Pour l’experte, la CIJ pourrait inciter les gouvernements à être plus ambitieux, et préciser la question des dommages causés par le climat, qui affectent davantage les régions qui ont souvent le moins contribué au réchauffement planétaire.Lien externe

Qu’il s’agisse de réduction des émissions ou de réparations, la question se pose toutefois sur comment implémenter un tel mécanisme de responsabilité, quand les objectifs climatiques, même contraignants de l’Accord de Paris, sont rarement respectés. «Le talon d’Achille du droit international sur le climat est l’absence de systèmes efficaces pour établir des responsabilités», admet David R. Boyd, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et de l’environnement, qui soutient la demande d’ajout d’un protocole à la Convention européenne

Pour lui, le droit à un environnement sain devrait être reconnu dans les constitutions et les législations nationales de chaque État, puis appliqué à travers des mesures concrètes comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la protection de la biodiversité ou encore l’amélioration de la qualité de l’air.  

Vers un raz-de-marée de procès? 

Pour la directrice du programme climat et énergie à CIEL Nikki Reisch, outre les négociations onusiennes, les tribunaux nationaux et internationaux jouent un rôle crucial pour s’assurer que les gouvernements respectent le droit à un environnement sain. Elle prend pour exemple le récent arrêt de La OroyaLien externe, dans les Andes. Le 28 mars, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a jugé que le Pérou avait violé les droits des communautés locales en autorisant la contamination de la région par une fonderie de métaux.  

Les tribunaux ne risquent-ils toutefois pas d’être pris d’assaut par un raz-de-marée de procès environnementaux? Le Rapporteur spécial David R. Boyd tempère: «Les procès climatiques sont, et continueront d’être, une infime fraction du nombre total d’affaires jugées par les tribunaux. Il est important de souligner que si les États et les entreprises respectaient leurs obligations en matière de droits de l’homme et de l’environnement, ces procès ne seraient plus nécessaires!»

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Il insiste par ailleurs sur le besoin de mettre en place des politiques environnementales «plus populaires, plus équitables et plus efficaces [qui] cibleraient les entreprises et les grandes fortunes qui génèrent une part disproportionnée des émissions de gaz à effet de serre.» Tout au long de son mandat, David R. Boyd a dénoncé les contentieux entre entreprises et États qui ont ralenti la mise en place de réglementations plus strictes, notamment dans l’exploration pétrolière. «Au lieu de faire payer les pollueurs, les États paient les pollueurs!», affirme-t-il, en faisant référence à des litiges de plusieurs centaines de milliards de dollars.  

Genève, nouveau siège des litiges climatiques?  

Comme le souligne Nikki Reisch, l’arrêt des Aînées suisses pour le climat ouvre une brèche, en posant «les fondements juridiques» pour tenir les grands émetteurs responsables des dommages liés au climat. Le verdict démontre que le réchauffement climatique est une affaire actuelle, qui impacte déjà des régions et des populations vulnérables, note-t-elle. Si bien que certains pays demandent des compensations, notamment des Etats insulaires comme l’Indonésie et le Vanuatu. A la COP28, un fonds pour les «pertes et dommages», consacré à la réparation des catastrophes climatiques, a ainsi été adopté, bien que son montant reste à ce jour insuffisant, d’après de nombreux expertsLien externe.  

Au bout du lac Léman, à Genève, un nouvel organe de l’ONU voit le jour: le Réseau de Santiago, qui épaulera les pays frappés par les catastrophes climatiques en leur fournissant une assistance technique. Son objectif premier sera de limiter les pertes et dommages en équipant les régions vulnérables. «Le réseau contribuera à la collecte de preuves des dégâts liés au climat, commente Nikki Reisch. Ces informations pourraient éclairer les interprétations quant aux devoirs des États. Mais il reste à voir quel rôle concret il jouera pour régler les litiges climatiques.» L’article 8 de l’Accord de Paris, qui reconnaît les pertes et préjudices, ne détermine toutefois à ce jour aucune obligation juridiquement contraignante.  

A la fin du mois, David R. Boyd passera le flambeau à sa successeure Astrid Puentes. A cette occasion, son poste sera renomméLien externe «Rapporteur spécial sur le droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable», pour refléter et incarner la naissance de ce nouveau droit humain.  

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin/sj

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