Dennis Francis: «En 75 ans, nous n’avons pas connu de troisième guerre mondiale»
De passage au Conseil des droits de l’homme à Genève, le président de l’Assemblée générale de l’ONU partage avec swissinfo.ch ses inquiétudes concernant les guerres à Gaza et en Ukraine et explique ce qui le rend optimiste.
«Il est établi que le Conseil de sécurité a été incapable de prendre des décisions concernant la paix et la sécurité. Mais l’Assemblée générale n’a pas hésité à agir de façon décisive», affirme Dennis Francis, interrogé sur l’inaction du Conseil de sécurité de l’ONU face aux guerres actuelles à Gaza et en Ukraine.
Le diplomate de 67 ans, originaire de Trinité-et-Tobago, est l’actuel président de l’Assemblée générale, basée à New York. Seul organe des Nations unies où chaque État membre dispose d’un siège, d’une voix et, surtout, où aucun pays n’a de droit de veto.
À ce titre, Dennis Francis dirige les réunions de cet organe composé de 193 membres. Cela lui offre une perspective unique sur les priorités et les préoccupations de la communauté internationale. En tant que représentant de tous les États membres, il est l’un des plus hauts responsables onusiens.
Lorsque nous le rencontrons en début de semaine à Genève, Dennis Francis porte l’uniforme du diplomate – un costume bleu marin assorti d’une cravate. Il sort tout juste d’un discours devant le Conseil des droits de l’homme durant lequel il a une nouvelle fois appelé à un «cessez-le-feu humanitaire immédiat» à Gaza. Il a également demandé l’ouverture de couloirs permettant à davantage d’aide d’entrer dans l’enclave où quelque 1,7 million de personnes sont réfugiées.
Si le Conseil de sécurité est le principal organe responsable du maintien de la paix dans le monde, l’Assemblée générale conserve une «responsabilité résiduelle», souligne Dennis Francis. En d’autres termes, il lui revient d’assumer les échecs du Conseil de sécurité.
Agir lorsque le Conseil de sécurité est paralysé
Au cours des deux dernières années, le Conseil de sécurité a été paralysé par le veto de certains de ses cinq membres permanents (Chine, France, Russie, Royaume-Uni et États-Unis). Il n’a pas pu arrêter l’invasion de l’Ukraine par la Russie ni voter un cessez-le-feu à Gaza, qui connaît une crise humanitaire sans précédent.
L’Assemblée générale s’est donc saisie de ces dossiers. Peu après le début de la guerre en Ukraine, l’organe onusien a condamné la violation par Moscou de la Charte de l’ONU. Concernant Gaza, l’Assemblée générale a appelé à un cessez-le-feu et à la libération des otages israéliens. Mais contrairement à celles du Conseil de sécurité, ses résolutions ne sont pas contraignantes et n’ont qu’un poids moral.
«L’Assemblée générale a essayé de mettre fin aux hostilités, de protéger les populations et de créer un climat propice au lancement d’un processus politique qui pourrait éventuellement conduire à la résolution de la question israélo-palestinienne», explique Dennis Francis. Mais il ne précise pas quelles actions supplémentaires l’Assemblée générale pourrait mener.
Aujourd’hui, le diplomate s’inquiète du projet d’Israël de mener une offensive terrestre dans la ville de Rafah, au sud de Gaza, où la plupart des Gazaouis se sont réfugiés. «Notre grande inquiétude est que, si l’on ne trouve pas un moyen de mettre ces personnes à l’abri du danger, on assistera à une véritable tragédie où des vies humaines seront à nouveau perdues.»
Financement de l’UNRWA
La semaine dernière, le chef de l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), le Suisse Philippe Lazzarini, a envoyé une lettre à Dennis Francis pour l’informer que son organisation avait atteint un «point de rupture» menaçant sa capacité à remplir son mandat de l’Assemblée générale. Celui-ci consiste notamment à fournir aux réfugiés palestiniens des services tels que l’éducation, les soins de santé primaires ou l’aide d’urgence. Philippe Lazzarini a prévenu que les opérations de l’UNRWA seraient «gravement compromises» à partir du mois de mars en raison d’un manque de financement.
Tel-Aviv a accusé des membres du personnel de l’UNRWA d’avoir participé à l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, ce qui a incité certains donateurs à suspendre leur financement. Deux enquêtes sont en cours pour vérifier ces allégations.
«L’UNRWA est une bouée de sauvetage pour le peuple palestinien depuis sa création», affirme Dennis Francis, qui espère que les pays donateurs maintiendront leur soutien jusqu’à la fin des enquêtes.
«Les preuves n’ont pas encore été apportées. Mais en attendant, la vie et le bien-être des habitants de Gaza sont en jeu», souligne le diplomate. «J’ai appelé les pays donateurs à maintenir leur soutien à l’UNRWA. Si nous ne le faisons pas, je crains que nous ne soyons obligés d’accepter une part de responsabilité dans ce qui arrive à la population de Gaza.»
Deux ans de guerre en Ukraine
Alors que la guerre en Ukraine entre dans sa troisième année, les agences humanitaires de l’ONU continuent de venir en aide aux victimes. Mais sur le plan politique, l’organisation n’a toujours pas pris de mesures significatives.
L’Assemblée générale pourrait-elle proposer une médiation onusienne du conflit? «Un processus de paix sous l’égide de l’ONU est en principe possible. Mais il ne serait envisageable que si l’organisation bénéficie du soutien des deux parties. À ce stade, ce n’est pas clair que c’est le cas», répond Dennis Francis.
Il ajoute être prêt à soutenir «toute initiative qui pourrait conduire à l’arrêt de cette guerre injuste» mais craint qu’elle «ne s’éternise».
Problèmes budgétaires
L’an dernier, certains des plus gros contributeurs de l’ONU, dont les États-Unis, n’ont pas payé leur cotisation à temps. Cela a conduit à la fermeture du siège genevois des Nations unies pendant trois semaines.
Faut-il s’inquiéter que certains pays utilisent leurs contributions pour affaiblir l’ONU? «Je ne connais pas les raisons spécifiques pour lesquelles les États membres retardent le versement de leurs contributions», répond-il. Et d’ajouter que le travail de l’ONU est «clairement impacté» par le manque de ressources. Dennis Francis encourage les pays à payer leur facture dès que possible.
Conflits, violations du droit international, changement climatique; le monde est bien loin d’atteindre ses objectifs de développement durable (ODD) – pourquoi alors rester optimiste? «Parce que lorsque je suis assis sur le podium, que je regarde devant moi et que j’écoute les déclarations, je saisis où les gens se situent mentalement. Et souvent, j’entends des messages positifs, la détermination des membres à aller de l’avant.»
«Nous avons pour mandat d’agir de façon à promouvoir les intérêts de la communauté internationale, explique Dennis Francis. La volonté politique n’est peut-être pas aussi forte qu’elle devrait l’être, mais nous avons la capacité, l’expérience et, surtout, près de 75 ans de succès. Car, reconnaissons-le, en 75 ans, nous n’avons pas connu de troisième guerre mondiale.»
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin/livm
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.