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En Syrie, la course pour documenter les atrocités et retrouver les disparus 

Un mois après la libération des prisons par les rebelles, le sort de centaines de milliers de disparus reste une énigme en Syrie. Pour l’ONU et le CICR, le temps presse pour préserver les preuves des crimes du dictateur déchu Bachar al-Assad.

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Un mois après la libération des prisons syriennes par les rebelles, des dizaines de milliers de familles restent sans nouvelle de leurs proches. Dans le désespoir, certains fouillent les cachots et même des fosses communes, où ils découvrent l’enfer carcéral du régime des Assad. 

Pour les Nations Unies et le Comité international de la Croix-Rouge, c’est une course contre la montre pour recueillir et préserver les preuves des atrocités de la guerre. «Les centres de détention, les fosses communes et tout document lié doivent être sécurisés pour aider les familles dans leur quête de justice, insiste Jenifer Fenton, porte-parole de l’Envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, à Genève. Les preuves des atrocités commises doivent être préservées et documentées pour identifier les responsables conformément au droit international humanitaire.» 

Plus de 100’000 disparus 

C’est un défi de taille. A ce jour, le Comité international de la Croix-Rouge enregistre plus de 43’000 avis de disparition. «Ce chiffre impressionnant ne reflète pourtant que les demandes des familles qui ont sollicité l’aide du CICR – nous savons que le nombre réel de disparitions est bien plus élevé», souligne Stephan Sakalian, chef de la délégation du CICR en Syrie. 

Entre 130’000Lien externe et 200’000Lien externe personnes seraient portées disparues en Syrie, d’après les estimations de l’ONU et de l’ICMP. Depuis 2011, des centaines de milliers auraient péri dans les centres de détention du régime de Bachar al-Assad, dont des milliers de femmes, et même des enfants. 

«Identifier les disparus et informer les familles de leur sort sera un énorme défi, et il faudra du temps pour absorber la tâche qui nous attend», a affirmé Mirjana Spoljaric, présidente du CICR, lors de sa visite en Syrie le 5 janvier. Sous le règne des Assad, l’organisation n’avait pas l’autorisation d’accéder aux lieux de détention gérés par les branches de sécurité du régime. 

Des preuves détruites 

Qualifiée d’«abattoir humain» par Amnesty International, la prison de Saydnaya, à 30 kilomètres au nord de Damas, est devenue le symbole des abus inhumains commis sous le règne des Assad. Entre ses murs, des dizaines de milliers de captifs ont été enfermés, torturés et exécutés. Depuis la libération des centres d’incarcération par les rebelles, les preuves de ces exactions sont révélées au grand jour. 

Des Syriens inspectent des documents retrouvés dans une cellule de la prison de Saydnaya, dans l'espoir de retrouver leurs proches disparus.
Des Syriens inspectent des documents retrouvés dans une cellule de la prison de Saydnaya, dans l’espoir de retrouver leurs proches disparus. HUSSEIN MALLA/The Associated Press. All Right Reserved

«Il existe désormais la possibilité d’accéder à des preuves impliquant le plus haut niveau de responsabilité du régime sur des crimes qui leur sont imputables», constate Robert Petit, chef du Mécanisme international, impartial et indépendant (IIM) qui enquête sur les crimes graves en Syrie.

Ces documents sont toutefois souvent laissés sans surveillance et de nombreux d’entre eux auraient été détruits ou endommagés, alertent les ONG Amnesty InternationalLien externe, Human Rights Watch ainsi que l’Association des détenus et des disparus de la prison de Saydnaya (ADMSP). Des pertes d’évidences parfois orchestrées par le personnel des services de sécurité et de renseignement du gouvernement de Bachar al-Assad avant leur désertion, ou provoquées par les rebelles durant leur assaut. Les familles des disparus, aussi, ont pu involontairement dégrader des documents ou d’autres évidences, en recherchant des traces de leurs proches dans les cellules et dans les charniers. 

Le chef de l’IIIM se veut toutefois plutôt rassurant: «Ce que nous avons noté, et qui nous donne de l’espoir, c’est une prise de conscience de la part des autorités de transition et des acteurs de la société civile syrienne quant à la nécessité de préserver les preuves.» 

Genève, haut lieu pour documenter les atrocités 

A Genève, une institution indépendante de l’ONU a vu le jour en 2024 pour faire la lumière sur le sort des personnes disparues en Syrie, et pour fournir un soutien aux victimes. Contactée par SWI Swissinfo.ch, elle n’était pas disponible pour répondre à nos questions dans les temps. Cette initiative s’inscrit dans une continuité d’efforts onusiens entrepris depuis la capitale de la paix. «Depuis des années, le Conseil des droits de l’homme, mais aussi le bureau de l’Envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, travaillent pour documenter les violations des droits humains dans le pays», note Souhail Belhadj Klaz, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement, sur le plateau de Géopolitis.Lien externe 

Ce spécialiste de la Syrie estime que cette expertise ferait de Genève un lieu propice pour accueillir de futures négociations en vue d’un processus de réconciliation et de reconstruction de la société syrienne: «Ces organisations connaissent donc les tenants et les aboutissants du dossier syrien et de sa transition. Cela permettrait surtout de garantir que le régime ne se radicalise pas en mettant justement des gardes fous à travers la communauté internationale représentée ici à Genève.» 

Relu et vérifié par Virginie Mangin 

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