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Les coupes annoncées dans l’aide internationale font craindre pour les plus démunis

Une livraison d'aide humanitaire avec un écriteau "donation de la Suisse"
Une collaboratrice de la DDC charge des biens de secours pour les réfugiés et les migrants en Grèce, en octobre 2019 à Berne. KEYSTONE/ADRIAN REUSSER

Les organisations de coopération internationale sont sous pression depuis que Berne a annoncé vouloir couper dans son aide aux pays en développement, afin notamment de renforcer le financement de l’armée. En première ligne, les populations les plus vulnérables risquent de payer le prix fort, alors que les besoins sur le terrain augmentent.

«On devra fermer des projets et en abandonner certains en phase de planification», déplore Catherine Schümperli Younossian, Secrétaire générale de la Fédération genevoise de coopération. Les organisations de coopération au développement et d’aide humanitaire vivent dans l’incertitude depuis les annonces de réductions budgétaires dans la coopération internationale. «On nous a dit de nous attendre à des coupes de l’ordre de 8 à 20% pour le budget 2025», explique-t-elle, en évoquant la Direction du développement et de la coopération (DDC). 

Le 13 novembre, la commission des finances du National a voté pour réduire le budget de la coopération internationale de 250 millions de francs pour le budget 2025, et d’augmenter celui de l’armée de 530 millions de francs. Le Conseil des Etats avait déjà ouvert le débat cet été en proposant des coupes de 2 milliards de francs dans le secteur pour la période 2025-2028. Les deux chambres trancheront lors de la session d’hiver. 

Il ne s’agit pas de la seule offensive contre le secteur, insiste Catherine Schümperli Younossian. Dans son plan d’économiesLien externe présenté fin septembre, le Conseil fédéral prévoit également de geler les dépenses de la coopération internationale dès 2027, pour économiser environ 320 millions de francs (340 millions d’euros). Seule l’armée verrait son budget augmenter de 4 milliards de francs. 

Ces annonces surprennent dans un pays qui a longtemps légitimé sa neutralitéLien externe dans les conflits mondiaux par son engagement humanitaire. L’aide au développement et la promotion de la paix constituent un pilier de l’identité diplomatique suisse. «On grignote petit à petit l’aide aux pays les plus pauvres, mais la stabilité du monde dépend aussi de celle des pays émergents», réagit Catherine Schümperli Younossian. 

Un avenir incertain

Fermeture de projets de développement, réduction de l’aide humanitaire, restructurations et licenciements… Les conséquences des coupes budgétaires sont à ce stade difficiles à prédire. «On attend les chiffres qui devraient arriver à la fin décembre. Cette incertitude est très difficile, et notre travail semble peu reconnu, malgré les besoins croissants», regrette la Secrétaire générale de la Fédération genevoise de coopération. 

Même son de cloche du côté des organisations humanitaires et des agences onusiennes, qui font déjà face à des coupes budgétaires. «La réduction des budgets de l’aide humanitaire a de graves conséquences pour les personnes ayant besoin d’une assistance souvent vitale à travers le monde», alerte Jens Laerke, porte-parole au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU, dont le siège est à Genève. Il note qu’on peut s’attendre à des réductions dans l’aide alimentaire, ou encore à l’abandon de projets planifiés.

En Afghanistan, 183 centres de santé ont fermé cette année, limitant l’accès aux soins pour 2,1 millions de personnes. Au Liban, une réduction de 40% de l’aide en espèces laisse 115’500 familles réfugiées sans moyens de subvenir à leurs besoins essentiels, tandis que des réductions d’aide alimentaire au Zimbabwe, au Soudan du Sud et en Afghanistan ont aggravé l’insécurité alimentaire pour des communautés déjà fragilisées. «Ce sont au final les personnes les plus vulnérables qui seront les plus impactées», conclut Jens Laerke.

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Contacté, le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) n’a pas souhaité s’exprimer sur les potentielles répercussions de ces annonces sur les activités de la DDC, estimant qu’il était trop tôt. «Il est pour l’heure difficile de prévoir les conséquences concrètes d’une éventuelle réduction avant que le Parlement ne se prononce définitivement», a répondu Valentin Clivaz, porte-parole du département. 

En juillet dernier, le DFAE estimait qu’une coupe de 2 milliards, comme proposée par le Conseil des Etats, pourrait entraîner le retrait de la Suisse de six à huit pays «prioritaires»Lien externe. D’ici à la fin 2024, la Confédération cessera sa coopération au développement en Amérique latine, réduisant le nombre de pays prioritaires de 46 à 35, pour se concentrer davantage sur l’Europe de l’Est, l’Afrique du Nord et subsaharienne, le Moyen-Orient et l’Asie.

Reconstruire l’Ukraine, avec quels fonds?

Dans sa future stratégie de coopération internationale, le Conseil fédéral compte affecter 1,5 milliard à la reconstruction de l’Ukraine, soit 13% du budget total de la coopération. Une décision que peinent à entendre les organisations de coopération au développement. «Cette réallocation se fait sur le dos des pays en développement», déplore Catherine Schümperli Younossian. Un tiers de ce budget serait mis à disposition des entreprises privées suisses pour reconstruire l’Ukraine. Une première dans l’histoire de la coopération helvétique.

«On a l’impression de faire face à un changement de paradigme, observe la Secrétaire générale de la Fédération genevoise de coopération. Au lieu de prioriser les pays émergents et les populations défavorisées, comme le prévoit la loi fédérale sur la coopération, on réduit l’aide aux plus pauvres pour financer une hypothétique reconstruction de l’Ukraine, au bénéfice des entreprises suisses.» 

Elle appelle à allouer des moyens supplémentaires à l’Ukraine sous la forme d’un crédit exceptionnel, comme ce fut le cas dans les pays de l’EstLien externe après la chute du mur de Berlin. Sollicité sur ce sujet, le DFAE n’a pas souhaité commenter.

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Dans la presse, des parlementaires s’inquiètent des répercussions de ces coupes sur l’image de la Suisse sur la scène internationale, mais aussi de Genève, la capitale de la paix. «Opposer les dépenses en faveur de notre sécurité à notre engagement humanitaire est une erreur, écrit le député PLR (libéral-radical, droite) Cyril Aellen, dans une tribune publiée dans Le Temps.Lien externe L’un ne va pas sans l’autre et nos choix financiers devront tenir compte d’un seul et même objectif: notre contribution à la recherche d’une paix durable.» Interrogé, le DFAE n’a pas commenté.

Des besoins inassouvis

Guerre en Ukraine et au Proche-Orient, pandémie, catastrophes climatiques… Les besoins humanitaires explosent à travers le monde, mais les financements peinent à suivre. En 2024, seuls 37% des besoins humanitaires ont trouvé un financement (état au 6 novembre 2024), contre 45% en 2023 et plus de 60% dix ans plus tôt, d’après les chiffres de l’OCHALien externe.

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«L’écart entre les besoins et les ressources disponibles ne cesse de se creuser», alerte le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui annonçait déjà en août manquer de ressources pour répondre pleinement aux centaines de conflits actuels. «Nous pourrions être contraints de réduire davantage nos opérations et de nous concentrer uniquement sur les activités humanitaires les plus essentielles», avertit le CICR en réaction aux annonces de coupes.

Les «crises oubliées» et les conflits prolongés, souvent sous-médiatisés, seraient particulièrement vulnérables à ces sous-financements. «Nous avons observé des contraintes croissantes en matière de ressources dans plusieurs régions, comme en Afrique subsaharienne, en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Somalie et en Libye. Dans ces zones, des millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable, à la nourriture et aux soins médicaux», note Christoph Hanger, porte-parole du CICR.

En 2023, la Confédération avait contribué aux  appels d’aide humanitaire lancés par les Nations unies à hauteur de 836 millions de dollars (737 millions de francs), contre environ 562 millions depuis le début de cette année, d’après les chiffres de l’OCHA. «Il y a indéniablement un manque de financement global de l’aide humanitaire de la part des donateurs institutionnels. Les partenaires avec lesquels nous collaborons sur le terrain sont en difficulté, constate Stephen Cornish, Directeur Général de Médecins sans frontière Suisse. Cette tendance générale doit être inversée, et la Suisse a un rôle important à jouer.»

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Une tendance mondiale

Ces coupes budgétaires dans les secteurs de l’aide au développement et de l’humanitaire ne sont toutefois pas propres à la Suisse, comme le souligne Karl Blanchet, directeur du Centre d’études humanitaires à Genève. «Cette année, la France a réduit de 11% son aide au développement. L’Allemagne, le deuxième plus gros bâilleur humanitaire, prévoit de couper de 54% son budget dédié aux opérations humanitaires.» 

Une tendance également visible au niveau mondial, d’après le professeur, qui note que les financements dans le secteur humanitaire sont descendus à leur niveau de 2021, alors que les besoins sont à la hausse. «Cette baisse peut partiellement s’expliquer par une forte augmentation des financements accordés à l’Ukraine, mais il y a aussi un repli national qui est inquiétant.» 
 

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Texte relu et vérifié par Imogen Foulkes/pt/sj

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