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Pour sa survie, le secteur postal doit travailler avec les opérateurs privés

Monument de l'Union postale universelle
Le monument de l’Union postale universelle, à Berne. Les cinq figures féminines qui s’échangent des lettres autour du globe représentent les cinq continents. À droite, en contrebas, la sculpture représente Berna, la figure allégorique de la ville de Berne. swissinfo.ch

L’Union postale universelle (UPU) basée à Berne célèbre ses 150 ans. L’occasion pour swissinfo.ch de s’entretenir avec son directeur général Masahiko Metoki au sujet de la concurrence et des collaborations nécessaires entre services postaux publics et firmes privées.

À Murifeld, à dix minutes en tram de la vieille ville de Berne, nous voici nez à nez avec un imposant monument figurant Pégase, qui précède le bâtiment lui-même. Il s’agit du siège de l’Union postale universelle (UPU), deuxième plus ancienne organisation internationale de la planète. Son existence est largement méconnue. Pourtant, la manière dont les lettres sont envoyées, affranchies et traitées par les services postaux du monde entier lui doit beaucoup. Une organisation qui veille à ce que missives et colis traversent les frontières sans anicroche.

«N’importe quel défaut au sein du réseau postal d’un pays affecte le réseau postal de l’ensemble de la planète. L’UPU contribue au maintien d’un niveau de qualité identique dans tous les pays», explique Masahiko Metoki, à la tête de l’UPU depuis 2021.

Service d’envoi simplifié

L’Union générale des postes, l’appellation initiale de l’UPU, remonte à 1874. Vingt-deux pays sont alors à la manœuvre, dont l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Suisse. Inaugurés avec le système de timbres en Grande-Bretagne, les services postaux modernes fonctionnent à ce moment-là depuis près d’un siècle, dopés par les bouleversements politiques et économiques en Europe. Les lettres sont toujours plus nombreuses à circuler à travers le globe. Et les appels à davantage d’ordre et à la simplification des procédures d’envoi entre pays ont été entendus.

En quête d’affirmation sur le continent, la Suisse est parvenue à obtenir le siège du dispositif.

Quatre ans après sa fondation, l’Union générale des postes a changé de nom. Puis, en 1948, l’Union postale universelle a accédé au statut d’agence spécialisée des Nations Unies. Un gage de reconnaissance internationale, qui lui fait compter à ce jour 192 pays et régions membres.

Jusqu’en 1967, la Suisse est restée maîtresse à bord. Mais l’indépendance des pays africains a modifié les équilibres et le représentant de la République arabe unie (l’Égypte d’aujourd’hui) Michel Rahi a pris la tête de l’organisation cette année-là. Le premier non-Suisse à ce poste. De même qu’aujourd’hui, Masahiko Metoki est le premier Asiatique à l’occuper.

Masahiko Metoki a intégré le ministère japonais des Postes et Télécommunications (devenu ministère des Affaires intérieures et des Communications) en 1983. Acteur de la privatisation du service postal de son pays, il a rejoint la firme privatisée Japan Post Service Company (aujourd’hui Japan Post) en 2007 comme responsable du département des affaires internationales. Entre 2012 et 2020, il a présidé le Conseil d’exploitation postale (CEP) de l’UPU. Il a fait œuvre de candidature pour la direction générale de l’organisation onusienne en 2018 comme cadre dirigeant de Japan Post pour être élu en août 2021 lors du Congrès d’Abidjan, brûlant la politesse aux candidats suisse et belge.

Diversification des revenus

Dorénavant, le directeur général est confronté à un défi de taille: tout faire pour que les services postaux de la planète puissent bénéficier de nouveaux moyens de financement et que l’UPU poursuive son travail.

Il faut dire que les envois de lettres ont atteint leur pic en 1991 déjà – 8,27 milliards dans le monde cette année-là. En 2022, ce chiffre est tombé à 1,56 milliard… Et rien n’indique que le plancher soit atteint. Sur le plan interne, les envois ont également fondu dans de nombreux pays, avec pour corollaire des revenus moindres pour les services de courrier domestique.

Contenu externe

L’arrivée d’Internet et du courriel ont redéfini la façon dont les gens communiquent et contraint les services postaux à diversifier leurs sources de revenus. L’UPU prévoit que d’ici l’an prochain, les bureaux de poste généreront 70% de leurs recettes au moyen de services autres que postaux. En 2005, ce chiffre était de 50%. Une précision: l’UPU fournit un soutien logistique et technique à ses membres. Mais aucun financement.

Pour réduire les coûts, les pays développés ont dû rogner sur le nombre de jours de distribution et de collecte tout en augmentant les frais de port.

En mai dernier, la Poste suisse a annoncé sa volonté de fermer 170 bureaux, soit un sur cinq. Au Royaume-Uni, le Royal Mail envisage la suppression de la distribution du courrier de deuxième classe le samedi. Quant à la France, elle a cessé de livrer les lettres d’un jour sur l’autre. Ces coupes suscitent souvent la controverse. Elles sont perçues par les populations locales comme une altération du service public, surtout dans les régions rurales et pauvres où les gens dépendent des bureaux de poste pour d’autres prestations encore, les services de banque par exemple.

Si Internet a ébranlé les services de distribution du courrier, il a aussi suscité l’essor de l’e-commerce. Avec pour corollaire des quantités toujours plus importantes de colis expédiés et aéroportés dans le monde. À l’échelle domestique, ils sont passés de 4,9 milliards en 2002 à 26,9 milliards en 2022. Les livraisons internationales de colis ont atteint 128 millions en 2022 contre 47 millions vingt ans plus tôt.

D’ici 2025, les revenus liés aux colis et aux services logistiques représenteront 36% des revenus globaux des bureaux de poste, prévoit l’UPU. Contre un petit 11,3% en 2005.

Les services postaux nationaux se trouvent aujourd’hui confrontés à la concurrence d’un nombre croissant de firmes privées de livraisons de courrier et colis, qui ont fait irruption dans un domaine autrefois monopolistique. Des sociétés comme UPS, FedEX et Amazon Logistics ont essaimé. IBIS WorldLien externe chiffre le nombre de services de ce type dans le monde à quelque 8400.

En France, certains offices de poste sont désormais équipés de cabines d’essayage qui permettent aux clients de tester leurs achats et, le cas échéant, de renvoyer les colis sans avoir à les ramener chez eux.

Masahiko Metoki explique qu’une solution est à trouver dans la diversification des services offerts par les postes. Japan Post par exemple propose un service de surveillance – ses employés rendent visite aux aînés directement à leur domicile et avisent de leur état de forme d’autres membres de la famille.

Le directeur de l'Union postale universelle
Masahiko Metoki est à la tête de l’UPU depuis 2022. swissinfo.ch

Tendre la main au privé

En 2021, l’UPU a initié une politique d’ouvertureLien externe, ainsi baptisée. Objectif: «S’ouvrir [au secteur privé], partager technologie et savoir-faire de l’UPU et créer de nouvelles opportunités d’affaires pour les gouvernements des pays membres et les opérateurs postaux», selon Masahiko Metoki.

Initialement, en 2022, l’UPU a convié les firmes privées à rejoindre le Comité consultatif qui conseille ses Conseil d’administration et Conseil d’exploitation postale. Jusque-là, il était largement limité aux gouvernements et à des opérateurs triés sur le volet. Soit dit en passant, le Conseil d’administration chapeaute les opérations de l’organisation et le Conseil d’exploitation postale crée les règles qui organisent les opérations et la technologie.

«Nous allons améliorer l’efficacité et la profitabilité des services actuellement proposés par les opérateurs postaux en nous inspirant de la philosophie du secteur privé», lance Masahiko Metoki.

Par le biais de ces collaborations, l’UPU espère améliorer la qualité de ses services – en termes de ponctualité, de systèmes de suivi et de statistiques des articles perdus.

Jusqu’ici, plus de quarante firmes, dont Amazon et ACSL, spécialisée dans les drones, ont rejoint l’organisation. À l’avenir, Masahiko Metoki compte que le privé saura apporter des solutions aux problèmes rencontrés par les pays membres.

Le dilemme des frais terminaux

Rien n’illustre mieux les dilemmes commerciaux auxquels font face les services postaux que la réforme actuelle des frais terminaux. Ces derniers correspondent aux frais de livraison que le pays d’origine paie à celui de destination. L’expéditeur d’une lettre ou d’un petit colis (jusqu’à deux kilos) débourse les frais d’envoi dans le pays de départ. Le pays de destination paie la dernière étape du portage. Comme mécanisme de compensation, l’UPU a introduit en 1971 les frais terminaux. Des frais réduits, s’agissant des pays les plus pauvres.

Dans l’une des rares occasions où l’UPU a fait la une des médias, le président américain Donald Trump avait menacé de quitter l’organisation en 2018 si le système des frais terminaux n’était pas revu. Son argument portait sur la Chine, positionnée comme pays en développement, profitant de frais terminaux réduits malgré les volumes importants de colis qui y sont expédiés vers le reste de la planète.

Résultat de cette menace, les frais terminaux sont les mêmes pour tous depuis 2020. Avec comme conséquence immédiate une baisse significative en matière d’expédition de petits colis et une hausse des prix pour le consommateur.

Selon un rapport publié par l’UPU en 2023, le tonnage des lettres a diminué de 36,8% en 2020 du fait de la réforme. «Les modifications du système des frais terminaux appliquées après juillet 2020 pourraient avoir influencé les décisions d’achat des acheteurs en ligne en augmentant les tarifs d’expédition internationaux», établissait le document.

Rien qu’en 2022, la Chine a expédié 110,6 milliards de colis, soit plus des deux tiers du total mondial, selon le cabinet de conseil en commerce électronique Pitney BowesLien externe.

Masahiko Metoki affirme vouloir continuer à faire pression pour que le système soit réformé plus avant. Mais le simple fait d’augmenter les frais pour corriger les disparités fera qu’ils ne seront plus concurrentiels face au privé. «Nos membres devraient non seulement assumer une mission de service public, mais aussi apprendre à devenir des organisations rentables», en conclut-il.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Pierre-François Besson/op

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