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Rwanda: assister à un génocide – et tenter de l’arrêter 

Imogen Foulkes

Il y a trente ans, en avril, le Rwanda était le théâtre de violences ethniques au cours desquelles environ 800’000 Tutsis furent tués par les milices hutues. Au lendemain du génocide, la communauté internationale se demanda comment ces massacres auraient pu être évités.

Le début des années 1990 était une période d’espoir pour le monde entier. La Guerre froide avait pris fin et il semblait soudain y avoir de la place pour un véritable multilatéralisme. Les Nations unies organisèrent leur première conférence sur l’environnement en 1992 et la conférence mondiale sur les droits de l’homme un an plus tard.

«Le début des années 1990 était une période d’optimisme extrême», se souvient Gareth Evans, ministre australien des Affaires étrangères à l’époque. «Nous avions le sentiment que les grandes questions pouvaient être abordées.»

Mais en même temps, des conflits éclataient en ex-Yougoslavie, au Rwanda et, malgré l’optimisme ambiant, le monde ne semblait pas en mesure de s’y attaquer. Lorsque Gareth Evans entendit parler des violences commises au Rwanda, il suggéra une contribution de l’Australie à «une opération de maintien ou d’imposition de la paix» pour soutenir une petite force de l’ONU dirigée par le général canadien Roméo Dallaire. Mais il savait qu’il y aurait de «réelles difficultés» à l’obtention d’un mandat d’intervention des Nations unies.

Pourquoi le monde a-t-il été incapable d’empêcher la mort brutale de 800’000 personnes en l’espace de trois mois? Sommes-nous mieux préparés à prévenir un génocide aujourd’hui, 30 ans plus tard?

Le Rwanda a payé le prix de la Somalie

Alors que Gareth Evans exprimait ses inquiétudes au sujet du Rwanda devant le Parlement australien, Charles Petrie travaillait en tant qu’agent humanitaire des Nations unies en Somalie. Lui aussi contaminé par l’optimisme du début des années 1990, il s’était porté volontaire pour le poste parce qu’il avait «le sentiment d’un nouvel ordre mondial», que la Somalie serait une mission dont l’objectif principal serait «d’alléger les souffrances, conformément à la charte des Nations unies».

Mais l’expérience somalienne prit un tout autre visage: ce qui avait commencé comme une opération de l’ONU pour soulager la famine se transforma en escarmouches sanglantes entre les groupes armés somaliens, les forces de maintien de la paix de l’ONU et, finalement, les troupes américaines, qui subirent, lors du célèbre incident de la Chute du faucon noir, la plus grande perte de vies humaines en une seule bataille depuis la guerre du Viêt Nam.

Aussi, quand Charles Petrie, dont l’optimisme concernant la mission en Somalie avait été anéanti, fut contacté par le siège des Nations unies pour se rendre au Rwanda, il refusa. Il savait, dit-il, que «la communauté internationale n’avait guère envie d’intervenir» après les difficultés rencontrées en Somalie. Charles Petrie était convaincu que le Rwanda paierait le prix de cet échec, et «lorsque j’ai reçu l’appel pour y aller, j’ai résisté. Je ne voulais pas être le témoin d’un autre échec».

Cela ressemble à un génocide

Alors que Gareth Evans suggérait l’envoi d’agents de maintien de la paix de l’ONU, ce qui ne s’est pas concrétisé, et que Charles Petrie refusait de se rendre au Rwanda au nom de la branche humanitaire de l’ONU, des agences d’aide plus modestes se rendirent sur place.

Chris Stokes, âgé de 28 ans, franchit la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda à la mi-avril, au sein d’une petite équipe de MSF (Médecins sans frontières). Leur plan: trouver un site approprié pour installer une unité chirurgicale.

«L’endroit était verdoyant et luxuriant, mais il n’y avait personne», se souvient-il. «Pas un seul être humain vivant. Et puis, au bout de deux jours, nous avons commencé à voir des corps». Dans un village, Chris Stokes rencontra un vieil homme qui lui présenta une liste de noms, tous barrés. Il s’agissait de familles, de communautés entières qui avaient été systématiquement tuées.

Chris Stokes et ses collègues étaient dans un tel état de choc qu’ils et elles ne comprirent pas tout de suite ce qui se trouvait devant leurs yeux. «J’ai aperçu quelque chose sur le bord de la route qui ne ressemblait à rien de ce que j’avais déjà vu.»

«C’était en fait un petit lac, mais on ne pouvait pas distinguer l’eau, car toute la surface était recouverte de corps». L’équipe de MSF, se souvient Chris Stokes, commença à penser qu’elle était «face à un génocide».

Priez pour que les enfants soient abattus

Alors que le Conseil de sécurité des Nations unies tergiversait sur l’envoi de troupes supplémentaires, les massacres se poursuivaient au rythme de 15’000 personnes par jour. Après d’autres appels de collègues de l’ONU, Charles Petrie arriva à Kigali en mai 1994. Sa première impression, se souvient-il, fut «le silence des gens», le sentiment que «leur mort était inévitable».

Par une ironie obscène, le personnel international des Nations unies pouvait se déplacer assez librement au Rwanda, mais était pratiquement impuissant à sauver des vies. Charles Petrie visita un orphelinat. La religieuse responsable, sachant qu’elle et les enfants dont elle s’occupait figuraient probablement sur une liste de personnes à tuer, lui demanda de prier pour eux. Alors qu’il commençait à lui répondre, elle ajouta: «Je veux dire, priez pour que les enfants soient abattus et non pas tués à l’arme blanche».

Trente ans plus tard, la colère de Charles Petrie face à «l’échec délibéré» du Conseil de sécurité des Nations unies est toujours aussi forte. Il accuse en particulier les États-Unis qui, à la suite de leurs pertes en Somalie, «ont essayé de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’opération de maintien de la paix, parce qu’ils ne voulaient pas faire partie d’une opération de maintien de la paix de l’ONU, mais ne voulaient pas non plus être perçus comme ne faisant PAS partie d’une opération de maintien de la paix».

Chris Stokes se souvient qu’après avoir assisté à ce qu’il décrit aujourd’hui comme «la mort à l’échelle industrielle», il est retourné au siège de MSF, déterminé à raconter à ses supérieurs ce qu’il avait vu, convaincu «qu’ils le diront au monde entier». Il pensait que quelque chose se passerait ensuite pour arrêter le massacre.

Responsabilité de protéger

Le génocide s’est finalement terminé non pas par une intervention internationale, mais par la victoire d’une des parties de la guerre civile, le Front patriotique rwandais, sur les forces majoritairement hutues responsables de la plupart des tueries.

À l’ONU, on était convaincu qu’une crise comme celle du Rwanda ne devait plus jamais se reproduire. Gareth Evans fut nommé président d’une commission intitulée «Intervention et souveraineté des États», chargée d’élaborer un principe de «responsabilité de protéger» pour les Nations unies.

Les négociations furent longues, se souvient Gareth Evans, de nombreux pays défendant la notion de souveraineté, même en cas de génocide. Mais elles étaient également marquées par l’optimisme du début des années 90: les diplomates américains, russes et chinois étaient toutes et tous très impliqués et engagés.

Plus de dix ans après la guerre au Rwanda, la responsabilité de protéger, souvent appelée R2P, vit le jour en 2005. Elle repose sur trois piliers: la responsabilité de chaque État de protéger son propre peuple contre les atrocités de masse telles que le génocide, la responsabilité de chaque État d’aider ceux qui ont besoin d’assistance et, enfin et surtout, la responsabilité de chaque État de réagir si des atrocités sont commises, la sanction ultime étant l’intervention militaire.

«Ce fut une grande réussite», estime Gareth Evans. Mais a-t-elle porté ses fruits? L’ancien ministre souligne à juste titre que ce mécanisme a généralement été utilisé à titre préventif, ce qui attire nettement moins l’attention. Il cite notamment la prévention de la violence au Kenya et les interventions au Liberia et en Sierra Leone.

Vais-je perdre ma tristesse?

Charles Petrie et Chris Stokes, témoins directs du génocide, sont moins optimistes. «Quand on regarde les conflits aujourd’hui, je ne vois pas beaucoup de changement», déclare Charles Petrie.

«On a sans doute cru que la responsabilité de protéger et l’intervention internationale pourraient venir à la rescousse», ajoute Chris Stokes. «Mais nous avons finalement constaté son échec cuisant. Nous sommes passés de l’espoir et de l’illusion que quelque chose serait entrepris à une situation où nous n’attendons plus rien du tout».

Charles Petrie et Chris Stokes ont tous deux poursuivi leur travail humanitaire dans des zones de conflit, mais ni l’un ni l’autre ne peut oublier ce qu’il a vu au Rwanda. Tous deux admettent qu’il est difficile de faire face à ce souvenir. Stokes se rappelle que même si «cela semblait absurde», son équipe MSF a réussi à mettre en place une unité chirurgicale et «nous avons sauvé des vies. Même dans les moments les plus sombres, il faut essayer de sauver des vies».

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais pas Lucie Donzé

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