Cinq ans d’aide suisse à la Bosnie: l’impossible redémarrage
La semaine dernière, Swissinfo vous a proposé un périple à travers cinq exemples de l´aide suisse à la Bosnie Herzégovine. A l´heure du bilan, le constat est brutal: en cinq ans le pays n´a toujours pas redécollé. L´effort doit se poursuivre.
«Regardez combien de temps a mis l’Allemagne, avec une aide internationale au moins aussi importante, et sans avoir connu l’épuration éthnique. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce qu’il s’est passé ici. Cette guerre a jeté hors de chez eux la moitié (1,3 million) des habitants de ce pays. Alors dans ces conditions, cinq ans, c’est de toute façon beaucoup trop court».
Au rappel de ces vérités, Wilhelm Schmid, ambassadeur de Suisse à Sarajevo, ajoute qu’avant le traumatisme de la guerre civile, la Bosnie Herzégovine a dû subir celui de l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie et la destruction de pratiquement tous ses réseaux d’échanges. Sans oublier que bien des pays de l’ex bloc de l’Est qui n’ont pas subi ces épreuves s’en sortent aujourd’hui à peine mieux que la Bosnie.
Et les fantômes du passé ne sont pas loin. Poursuivant le parallèle avec l’Allemagne, Jean-Philippe Gaudin, le dernier commandant des Bérets Jaunes déplore que l’on n’ait pas «dénazifié» le pays. Ici, chaque soldat sait que Radovan Karadzic vient parfois dans la banlieue serbe de Sarajevo. Mais quel Etat-major risquera la vie d’un seul «boy» pour capturer le boucher de Pale?
Inutile de dire qu’un pays dans cet état n’attire pas spécialement les investisseurs. Surtout lorsque éclatent des scandales comme celui de la Banque BH, où l’argent de l’aide internationale disparaît dans les poches d’un clan mafieux, dirigé par un ancien ministre de l’intérieur.
L’argent, pourtant est bien là: le rythme des reconstructions à Sarajevo comme dans les campagnes le prouve. Mais dans un pays où le taux de chômage doit approcher les 60 pour cent – même si le gouvernement n’en admet que 10 -, l’économie parallèle est évidemment partout. Et ses signes les plus évidents de réussite donnent au centre de la capitale des airs de ville occidentale: même bars, même foules, mêmes codes vestimentaires.
Autre facteur de déséquilibre: les 20 000 soldats et les milliers de coopérants internationaux sont autant de consommateurs bien trop fortunés pour les standards d’un pays où l’agent de police de la capitale gagne 200 francs par mois. Leur départ laisserait un grand vide, des restaurants de luxe aux night-clubs où les filles de l’Est font leurs premières armes.
Au fil du voyage, on ne rencontre que des gens méfiants ou déçus par la classe politique. Aux Serbes à qui leurs chefs de guerre avaient promis des lendemains qui chantent, il ne reste guère comme consolation que les panneaux routiers en cyrillique, qui vous signalent à chaque fois que vous la franchissez l’absurde «ligne de Dayton», séparant la Republika Sprska de la Fédération croato-musulmane.
Pourtant, les soi-disant trois langues de la Bosnie Herzégovine n’en sont qu’une, autrefois nommée serbo-croate et les musulmans descendent tous d’autochtones convertis du temps de l’Empire ottoman. Un peuple, trois religions et une capitale réputée pour sa tolérance au point d’être autrefois nommée «la Jérusalem des Balkans».
Mais aujourd’hui, les Saoudiens et les Iraniens offrent à la ville des mosquées même là où il n’y en avait jamais eu, en les flanquant d’école coraniques. A Mostar, les catholiques croates ont fait élever une croix de trente mètres de haut, face à la nouvelle église orthodoxe des Serbes. Les fièvres nationalistes s’incarnent dans de dangereuses passions religieuses.
Et les brillantes élites bosniaques vont tenter leur chance ailleurs, tandis que le pays peine à donner à sa jeunesse l’envie de rester.
Sarajevo ville martyr, Sarajevo, lieu de l’étincelle qui embrasa l’Europe en 1914, Sarajevo capitale olympique, Sarajevo ville d’art et de culture: le pays et sa capitale ont encore besoin de gendarmes et de jardiniers. Comme le disait il y a quinze jours Adolf Ogi, qui réserva à la Bosnie Herzégovine sa dernière sortie officielle, «le sort d’un pays qui vit à 52 minutes d’avion de Berne ne peut pas nous laisser indifférents».
Marc-André Miserez
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