Depuis un siècle sous le même toit
La Fédération suisse des communautés israélites a vu le jour en 1904, dans le but de faire lever l’interdiction de l’abattage rituel et de lutter contre l’antisémitisme.
Des combats de longue haleine, comme la querelle entre orthodoxes et libéraux.
«Nous oeuvrons pour que les préjugés contre les juifs disparaissent et pour combattre l’antisémitisme en Suisse, autant que faire se peut», déclare Thomas Lyssy, vice-président de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI).
Le travail d’explication est un élément central de ce travail. «Mais il y a aussi des gens qui ne veulent rien entendre.» Selon Thomas Lyssy, les juifs continuent en effet d’être perçus comme une minorité et non comme de vrais Suisses, bien que la majorité des quelque 20’000 juifs vivant en Suisse aient le passeport à croix blanche.
Retombées du Proche-Orient
Thomas Lyssy estime encore que l’agressivité augmente dès que la situation se tend au Proche-Orient. «C’est comme si j’avais été moi-même assis dans l’hélicoptère qui a tiré sur Cheikh Yassine.»
Les opinions politiques des juifs suisses sont très diverses. La FSCI n’a aucune position officielle sur le conflit du Proche-Orient: «La FSCI n’est pas pour ou contre M. Sharon ou pour ou contre la reddition des territoires occupés», explique Thomas Lyssy.
La tâche de la Fédération est plutôt d’encourager un sentiment d’appartenance à une communauté, lorsque les comptes-rendus des journaux propagent entre les lignes des sentiments antisémites, selon le vice-président de la FSCI.
Un point de vue par ailleurs en totale contradiction avec une étude publiée en mars par l’Institut de sociologie de l’Université de Zurich, qui affirme qu’il n’existe pas de ressentiment particulier envers les juifs dans les médias, alémaniques en l’occurrence.
Pourtant, Thomas Lyssy estime que c’est l’hostilité contre les juifs de Suisse qui a conduit à renforcer régulièrement les mesures de sécurité adoptées pour protéger les bâtiments des communautés.
«Vous ne pouvez plus entrer dans une maison communautaire juive, dans une école juive ou dans une synagogue sans être contrôlé comme à l’aéroport», explique Thomas Lyssy. Les juifs s’y sont habitués.
«Mais en fait, regrette le vice-président, le fait de s’habitue à des choses pareilles est assez terrible.»
Abattage rituel
La question de l’abattage rituel, qui constituait en 1904 l’une des raisons de créer une organisation, est toujours d’actualité en Suisse. Il y a deux ans, le Conseil fédéral a tenté d’assouplir l’interdiction.
Mais la population et les protecteurs des animaux ont massivement protesté et le gouvernement a fini par faire marche arrière.
En revanche, la Suisse autorise l’importation de viande casher. Mais une initiative demandant son interdiction a été déposée en juillet 2003 par la Société protectrice des animaux (SPA).
Si elle entre en vigueur, cette interdiction reviendrait à une restriction intolérable de la liberté de religion pour les juifs comme pour les musulmans.
Retour historique
Les dernières années ont donné une nouvelle visibilité à la FSCI, qui a servi d’intermédiaire entre les organisations juives internationales et les banques suisses lors de la polémique autour des fonds en déshérence à la fin des années 90.
Les efforts de la Fédération et de son ancien président Rolf Bloch, notamment, ont abouti à la reconnaissance de ses responsabilités par la Suisse et à la création du «Fonds spécial pour les victimes de l’Holocauste dans le besoin», doté de 300 millions de francs versés par les banques et l’industrie.
Pendant la 2e Guerre mondiale, la communauté juive de suisse a été mise sous pression par l’arrivée des réfugiés. La Fédération a néanmoins soutenu la politique restrictive de la Suisse, car il lui fallait rester en bons termes avec le gouvernement.
«La FSCI voulait éviter de mettre en danger les juifs de Suisse», explique Thomas Lyssy. Cette stratégie suscita cependant des critiques internes. Au point que la direction dut démissionner pendant la guerre.
Cette attitude conduit aussi régulièrement de pseudos historiens, poursuit le vice-président, à tenter de rendre les communautés juives responsables de la politique des réfugiés de l’époque.
Le vrai scandale, selon Thomas Lyssy, réside plutôt dans le fait que les juifs aient dû subvenir eux-mêmes aux besoins des réfugiés, ce qui n’était pas évident pour une toute petite communauté submergée de demandes.
Autre mission de la Fédération: préserver les intérêts communs des juifs de Suisse, et les représenter vis-à-vis des autorités et des institutions du pays.
Dilemme
Mais tous les juifs du pays ne sont pas membres de la Fédération. Il y a une année, les délégués de cette dernière ont refusé d’accueillir deux communautés libérales de Zurich et de Genève.
Une division de la Fédération a ainsi pu être empêchée, car les deux principales communautés orthodoxes avaient annoncé qu’elles feraient sécession si les «libéraux» étaient admis.
D’autre part, ce refus signifie que 10% environ des juifs de Suisse ne sont ni représentés, ni intégrés au sein de la Fédération. Un dilemme.
«Nous essayons de trouver un accord de collaboration, explique Thomas Lyssy. Le but est de regrouper toutes les communautés sous le même toit. Mais cela va durer plusieurs années.»
swissinfo, Gaby Ochsenbein
(Traduction Ariane Gigon Bormann)
La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) a vu le jour le 27 novembre 1904 à Baden.
L’organisation représente 18 communautés juives de quelque 18’000 membres.
La FSCI s’est donnée pour mission de garantir et d’encourager les intérêts communs des juifs de Suisse, de les représenter auprès des autorités et de lutter contre l’antisémitisme et le racisme.
Elle entend aussi se consacrer à des recherches sur l’Holocauste et sur la politique des réfugiés.
Le Genevois Alfred Donath préside la SIG depuis 2000.
– Jusqu’en 1866, les juifs de Suisse ont été régulièrement chassés, maltraités voire persécutés. Depuis le 17e siècle, seule les communes argoviennes d’Endingen et de Lengnau leur accordaient un titre de séjour.
– En 1866, les juifs obtinrent le statut de citoyens suisses.
– En 1891, l’initiative interdisant l’abattage rituel a été la première acceptée par le peuple suisse.
– Depuis 1978, cette interdiction est inscrite dans la loi sur la protection des animaux.
– La Fédération détient une licence d’importation de viande casher depuis 1926.
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