Initiative sur les minarets – une discussion de substitution
La réputation de la Suisse à l'étranger ne souffre pas de l'initiative sur les minarets, juge Eveline Widmer-Schlumpf. Dans une interview à swissinfo.ch, la ministre de la Justice estime que ce débat illustre la force de la démocratie directe en vigueur en Suisse.
Le 29 novembre, le peuple vote sur une initiative populaire demandant que la construction de minarets soit désormais interdite en Suisse. La plupart des partis politiques ainsi que le gouvernement demandent aux citoyens de rejeter cette proposition.
Parmi les membres du gouvernement qui participent activement à la campagne politique, on trouve notamment la ministre de la Justice et Police Eveline Widmer-Schlumpf. Interview.
swissinfo.ch: Des observateurs déclarent que l’image de la Suisse se détériore dans les pays musulmans à cause de cette initiative. Partagez-vous cet avis?
Eveline Widmer-Schlumpf: Jusqu’à présent, je ne constate pas de détérioration due aux discussions que nous avons à propos de cette initiative. Il n’en a pas résulté non plus de menaces particulières.
Au contraire. Grâce à nos ambassades, qui travaillent et communiquent excellemment bien, nous avons réussi à montrer partout que la démocratie directe et la discussion ouverte faisaient partie des acquis de la démocratie suisse.
Je pense que ceci a été compris à l’étranger. Et je pense aussi que l’on respecte le fait qu’en Suisse, on puisse discuter de choses sur lesquelles il n’y aurait même pas de débat à l’étranger. C’est une grande qualité de la Suisse.
Je constate également – et j’en suis très reconnaissante – que la population musulmane de Suisse ne se laisse pas provoquer par cette campagne en partie très émotionnelle. Elle essaie en revanche de monter concrètement ce qu’est l’islam et ce qu’il n’est pas.
Je trouve bien aussi que nous puissions maintenant débattre des pratiques religieuses, des points qui sont communs aux différentes religions, mais aussi des limites des libertés individuelles et des devoirs de l’Etats par rapport à notre société.
swissinfo.ch: Le port du voile, la séparation des sexes dans les piscines, le mariage forcé et l’excision représentent des valeurs qui ne sont ni suisses ni allant dans le sens de l’émancipation de la femme. Quel est votre avis sur ces questions?
E. W.-S. : Je suis pour une société libérale et pour l’égalité des droits entre hommes et femmes. Il n’est pas possible qu’hommes et femmes, que garçons et filles soient traités de manière différente. Mais ceci n’a rien à voir avec la question que pose l’initiative.
L’initiative sur les minarets provoque une «discussion de substitution». Les partisans de l’initiative indiquent être opposés aux minarets. Mais ce qu’ils veulent en fait, c’est résister à une islamisation croissante et à la charia, des thèmes qui se manifestent dans la justification qu’ils apportent à leur proposition.
swissinfo.ch: N’avez-vous pas de compréhension pour les craintes au sein de la population?
E. W.-S. : J’ai de la compréhension face aux craintes relatives à des comportements fondamentalistes et contraires au droit. Mais seule une toute petite minorité des musulmans appartiennent à cette catégorie.
Mais face à ces problèmes, l’initiative sur les minarets représente une solution totalement erronée. Nous disposons dans notre législation des instruments pour nous protéger. Notre Etat de droit n’autorise ni les mutilations sexuelles ni la charia.
Dans notre Etat de droit, les dispositions légales prévalent sur les dispositions religieuses. Une interdiction des minarets équivaut à interdire un type de construction, mais elle ne peut pas contribuer à répondre aux questions qui préoccupent les auteurs de l’initiative.
Plus
Initiative populaire
swissinfo.ch: Les adversaires des minarets avancent l’argument selon lequel la liberté religieuse est bafouée dans les pays musulmans. Pourquoi ne réclamez-vous pas la réciprocité à ces pays?
E. W.-S. : Ce non-respect de la liberté de religion et de la liberté d’opinion n’existe pas seulement dans les pays musulmans. Il existe aussi dans d’autres pays et même en Occident.
Il faut sans cesse s’élever contre cela. C’est le devoir de la Suisse, en tant que pays humanitaire, de veiller à ce que l’on s’engage partout pour le maintien des libertés fondamentales. Nous le faisons dans la mesure des moyens disponibles.
Mais le fait que l’injustice existe dans un autre pays ne nous autorise pas à avoir nous aussi recours à l’injustice. Il n’y a en effet pas de symétrie de l’injustice. Nous avons heureusement surmonté le principe du «œil pour œil, dent pour dent».
swissinfo.ch: Selon le gouvernement, une interdiction des minarets irait à l’encontre des valeurs centrales de la Suisse. Pourquoi?
E. W.-S. : La Constitution garantit la liberté religieuse. Ce faisant, elle garantit la liberté religieuse intérieure, c’est-à-dire la liberté d’avoir sa propre croyance, mais aussi la liberté religieuse extérieure, c’est-à-dire la liberté de montrer à quelle religion on appartient au travers de signes, de vêtements ou même au travers d’un bâtiment.
Une autre règle essentielle de la Constitution est d’interdire la discrimination. Or, si l’on interdit à une communauté religieuse d’ériger un signe extérieur de sa foi, c’est discriminatoire.
swissinfo.ch: Vous refusez également l’initiative parce qu’elle contrevient aux dispositions internationales. La Suisse a-t-elle renoncé à sa souveraineté?
Nous avons signé la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Or si nous prenons de tels engagements – et nous l’avons déjà fait depuis quelques années – nous devons nous y tenir.
swissinfo.ch: Que se passera-t-il si l’initiative est acceptée?
E. W.-S. : Tout d’abord, je pars du principe que cette initiative sera refusée. Si nous démontrons ce que cette initiative peut et ce qu’elle ne peut pas, la majorité du peuple suisse verra qu’elle ne constitue pas la bonne solution pour résoudre tous les problèmes.
Si l’initiative était toutefois acceptée, il existerait effectivement la possibilité qu’un membre de la communauté musulmane dépose une plainte auprès de la Cours européenne des droits de l’homme. Les chances que cette plainte aboutisse sont grandes, étant donné que l’initiative contrevient clairement à la Convention européenne sur les droits des l’homme.
Andreas Keiser et Mohamed Cherif, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)
Il existe actuellement quatre minarets en Suisse. Ils se trouvent à Genève, Zurich, Wangen (Soleure) et Winterthur (Zurich).
Un cinquième a reçu une autorisation de construire à Langenthal (Berne).
Les minarets en fonction en Suisse sont silencieux. Décoratifs et symboliques, il ne servent pas à appeler les fidèles à la prière.
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