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L’Islam de Suisse entre intégration et repli

Les responsables d’associations musulmanes parlent de 10 à 15 % de pratiquants. Keystone

La récente agression dont a été victime un imam à Lausanne met en lumière les divisions qui déchirent plusieurs courants de l’Islam en Suisse.

Mais la grande majorité des Musulmans opte pour une intégration socio-économique. Gare au repli communautaire, avertit le spécialiste Stéphane Lathion. Interview.

L’ensemble des associations musulmanes implantées dans le canton de Vaud a condamné l’agression dont a été victime l’imam Mouwafak el-Rifai, poignardé vendredi dernier au Centre islamique de Lausanne.

La police vaudoise, elle, n’a pas encore révélé les motifs de l’agresseur.

Pour comprendre les enjeux de cette affaire, swissinfo a rencontré le président du Groupe de recherche sur l’islam en Suisse. Stéphane Lathion dirige en effet une recherche sur les pratiques de l’islam en Suisse. Une étude mandatée par la Commission fédérale des étrangers.

swissinfo: Quelle est l’importance en Suisse du courant représenté par l’imam Mouwafak el-Rifai?

Stéphane Lathion: Ce courant (habachite) très minoritaire du sunnisme est présent à Lausanne, Genève et Zurich. Il suit une démarche de rupture par rapport aux autres courants de l’Islam. Ces derniers le considèrent comme sectaire.

Cela dit, la grande majorité des musulmans de Suisse ne se reconnaît pas parmi les représentants auto-proclamés de l’Islam en Suisse, comme le montre l’enquête que nous sommes en train de mener.

Ceux-ci sont en effet le plus souvent arabophones, alors que 80% des musulmans de Suisse viennent d’ex-Yougoslavie et de Turquie.

Or, cette majorité silencieuse ne tient pas forcément à mettre en avant son appartenance à l’Islam. Elle n’a pas non plus de grandes revendications religieuses et se retrouve le plus souvent dans des associations sportives ou culturelles.

swissinfo: Mais ces représentants religieux qui apparaissent dans les médias cherchent bien à s’imposer en Suisse?

S. L.: En Suisse comme dans le reste de l’Europe, ils cherchent à rassembler un maximum de musulmans derrière eux. Dans le même temps, ils cherchent à devenir des interlocuteurs crédibles auprès des autorités suisses.

Cette quête de reconnaissance officielle tend d’ailleurs à primer sur la volonté de mobiliser et de représenter la majorité des musulmans de Suisse.

swissinfo: Comment réagissent ces communautés au climat de suspicion qui pèse sur les musulmans de Suisse?

S. L.: Il ressort des interviews que nous avons menées que les Turcs ou les ex-Yougoslaves privilégient une réponse pragmatique. Ils veulent en premier lieu démontrer leur capacité d’intégration sociale et économique, avant d’aborder les questions religieuses.

Mais si le débat sur l’Islam en Suisse continue de se polariser, il y a bien sûr un risque de repli communautaire. Il sera donc plus difficile pour l’ensemble de ces communautés de rejeter les éléments les plus extrémistes qui existent également en Suisse.

swissinfo: La plupart des pays majoritairement musulmans n’ont pas accompli la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Cela ne freine-t-il pas l’acceptation des musulmans en Suisse comme dans le reste de l’Europe?

S. L.: Quoi qu’on en dise, l’ensemble de ces pays connaît un processus de sécularisation de l’Islam. Mais il faut également tenir compte des dynamiques à l’œuvre dans les diasporas. En Europe, plusieurs penseurs musulmans poussent très loin la réflexion en cherchant à conjuguer Islam et citoyenneté.

swissinfo: Plusieurs chercheurs estiment à 10% le nombre de pratiquants au sein des communautés musulmanes. Ce taux est-il crédible?

S. L.: Les responsables d’associations musulmanes, eux-même, parlent de 10 à 15 % de pratiquants.

Cela dit, il faut encore savoir si la pratique de tel ou tel rite dans une religion qui en compte beaucoup témoigne de sa foi ou de son appartenance culturelle.

Ainsi, une large majorité des musulmans de Suisse suivent le jeûne du Ramadan. Mais il s’agit autant d’une pratique culturelle que d’un geste purement religieux, à l’instar de Noël pour les personnes d’origine chrétienne.

Mais sans doute moins de 10% des musulmans de Suisse prient cinq fois par jour, comme le prescrit le Coran.

swissinfo: Comment favoriser en Suisse un débat serein sur l’Islam?

S. L.: En premier lieu, il ne faut pas culpabiliser les Suisses qui ont peur de l’Islam. Ces craintes sont normales face à des communautés pas très bien connues en Suisse et à l’heure du terrorisme islamiste.

Mais il faut dépasser ces peurs et écouter ce que les communautés musulmanes ont à dire. Il faut en tout cas absolument éviter que les musulmans puissent se réfugier dans une posture de victimes.

Interview swissinfo: Frédéric Burnand à Genève

– Selon le dernier recensement fédéral, plus de 310’000 musulmans vivent en Suisse.

– Plus de 170’000 d’entre eux viennent d’ex-Yougoslavie, plus de 62’000 sont issus de Turquie et plus de 15’000 viennent du Maghreb et du Moyen Orient.

– 36’000 musulmans sont de nationalité suisse.

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