La laïcité à l’épreuve des tombes
Les carrés confessionnels destinés aux Juifs et aux Musulmans se multiplient en Suisse. Sans que cela ne provoque d'importantes réactions d'hostilité.
Excepté dans le canton de Genève où la question provoque un débat particulièrement vif.
«A Genève, déplore le rabbin François Garaï, la défense de la laïcité se transforme en phobie du religieux.»
De son côté, Hafid Ouardiri, porte-parole de la mosquée de Genève, estime que l’interdiction des carrés confessionnels témoigne d’une très grande incompréhension à l’égard des gens de confession musulmane.
«Il s’agit d’une attitude discriminatoire à l’égard des minorités religieuses», surenchérit Alfred Donath, président de la Fédération suisse des communautés israélites.
Ces réactions de dépit font suite à la motion récemment déposée par des députés de droite devant le parlement (Grand conseil) du canton.
Et pour cause, cette dernière juge illégale la décision de la ville de Genève qui accorde «aux adeptes des religions juive et musulmane des emplacements d’inhumation réservés et groupés».
«L’exigence de carré confessionnel est le fait d’intégristes, estime le député Pierre Kunz. Les musulmans et les juifs dans leur majorité, surtout ceux qui ne sont pas pratiquants, n’exigent pas d’être enterrés dans des carrés confessionnels.»
Un point de vue vigoureusement démenti par Alfred Donath et par Hafid Ouardiri. Tous deux affirment, au contraire, que les juifs et les musulmans – même ceux qui ne sont pas pratiquants – tiennent à se faire enterrer selon leur coutume respective.
Le rôle pionnier de Genève
Jusque dans les années 90, Genève était pourtant le seul canton suisse à autoriser un cimetière réservé aux musulmans. Et cela en dépit d’une loi particulièrement stricte promulguée en 1876.
Car, contrairement à d’autres cantons suisses, Genève n’autorise pas la vente de parcelles destinées à un cimetière privé. «Les emplacements sont attribués sans distinction d’origine ou de religion», dit aussi le règlement.
La seule dérogation autorisée par la loi est l’octroi d’une concession privée par l’autorité communale.
Une possibilité que Manuel Tornare, responsable des affaires sociales de la ville de Genève, a voulu exploiter pour offrir une solution définitive aux Genevois de confession juive ou musulmane.
Laïcité en question
Le responsable socialiste se réclame en effet d’une laïcité qui tient compte de l’évolution démographique de la Suisse. «On doit mettre les traditions et les coutumes sur un même pied d’égalité. C’est comme ça que l’on œuvre pour la paix religieuse et civile.»
Un point de vue que conteste le député Bernard Lescaze: «Nous vivons à une époque où l’Islam pose des problèmes dans nos sociétés occidentales. Il est donc urgent de rappeler les principes de la laïcité et de s’y tenir fermement».
Un point de vue que le sociologue Uli Windisch n’est pas loin de partager. Pour lui, la laïcité signifie un espace publique égal pour tous et une sphère privée spécifique à chacun.
«Mais, affirme le sociologue, ce principe est aujourd’hui contesté par certains au nom de leur religion. Et cela inquiète de manière légitime une partie de la population suisse.»
«Le fédéralisme, rappelle Uli Windisch, permet l’intégration régulière des minorités qui émergent en Suisse. Mais ce processus implique débats et négociations. Et il se réalise souvent dans la douleur.»
swissinfo/Frédéric Burnand à Genève
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