La peur de l’islam interpelle le cinéma
Le récent drame de Toulouse a ravivé le débat sur l'intégration des musulmans en Europe. Alors que les politiciens et les médias dénoncent les dérives extrémistes, les émigrés musulmans se battent contre les stéréotypes et les discriminations. Un combat véhiculé aussi par le cinéma.
Un poignard, un visage dissimulé, une trahison, un homme à la fine moustache, un accent oriental et un regard rusé: tels étaient les symboles utilisés dans les siècles passés, d’abord par la littérature puis au cinéma , pour représenter «le méchant Arabe». En contrepoids à la civilisation judéo-chrétienne.
«Ce sentiment de méfiance et de peur d’un islam imaginaire et conquérant était accompagné par une idéalisation de l’Orient des Mille et une nuits. Le mode de vie de ces pays, le pouvoir de séduction des femmes, l’hospitalité et la poésie fascinaient particulièrement les Occidentaux», explique Gianni Haver, sociologue de l’image et professeur à l’Université de Lausanne.
«Autrefois, les femmes voilées étaient un emblème de la sensualité. Aujourd’hui, elles incarnent la peur envers la religion musulmane et ses traditions», ajoute-t-il. Le charme oriental n’a désormais plus prise dans le cinéma occidental et les clichés liés au monde arabe sont exploités par les blockbusters ou par les feuilletons télévisés américains. Ils sont également souvent associés au spectre du terrorisme ou aux souvenirs de l’époque coloniale.
La prise de conscience sociale de l’Europe
Le regard du cinéma européen est différent. La forte présence d’émigrés maghrébins en France par exemple et le rôle prédominant du cinéma d’auteur ont fait en sorte que le thème de l’islam et de ses rapports avec l’Occident se transforme toujours plus en une prise de conscience sociale.
Ces films, dont une grande partie sont écrits et mis en scène par des émigrés de deuxième génération, décrivent l’autre face de la présence musulmane en Europe: les révoltes contre la domination coloniale, le repli dans l’identité religieuse, les discriminations et les incompréhensions.
C’est ce qu’a fait le documentaire de Yasmina Adi, Ici on noie les Algériens, qui décrit la répression subie par les Algériens en France en 1961, soit une année avant la déclaration d’indépendance. Film politique et social, il a été sélectionné par le Festival international du film de Fribourg (FIFF) pour une section consacrée à l’image de l’islam en Occident.
«Exception faite de quelques longs-métrages plutôt conciliants, ces productions arrivent rarement dans les salles suisses où les films américains à grand budget dominent», explique Thierry Jobin, ex-critique de cinéma et directeur artistique du Festival du film de Fribourg.
«Si nous partons du principe que le cinéma d’auteur apporte une meilleure compréhension des cultures et des traditions lointaines, cette uniformisation de l’offre risque d’avoir d’importantes répercussions. Non seulement d’un point de vue artistique mais aussi social et politique.»
A la découverte d’une identité religieuse
«Le climat en France s’est fortement dégradé durant ces dernières années. Les religions, l’islam en particulier, sont stigmatisées et utilisées à des fins électorales», raconte Yasmina Adi. La cinéaste est née en France dans une famille d’émigrés algériens. «Un temps, les gens me demandaient quelle était ma nationalité, aujourd’hui ils veulent savoir si je suis musulmane.»
L’islam a été exploité par quelques partis politiques et certains médias pour se transformer de question privée en problème public. Pour nombre d’émigrés, la religion musulmane est ainsi devenue un instrument de revendication et de reconnaissance d’identité.
«Contrairement aux émigrés italiens ou espagnols des années ’70, les réfugiés maghrébins n’ont pas pu compter sur l’aide des syndicats ou des institutions catholiques. Ils se sont donc sentis isolés, ghettoïsés, et se sont dès lors réfugiés dans la religion ressentie comme une identité collective», explique Mariano Delgado, doyen de la chaire de théologie à l’Université de Fribourg.
«Aujourd’hui, cette identité musulmane est encore plus forte chez les immigrés de seconde génération et elle se heurte inévitablement à une société européenne qui se veut toujours plus laïque et qui perçoit les symboles religieux comme une ostentation».
Le metteur en scène algérien Rabah Ameur-Zaïmeche utilise les clichés et l’humour pour affronter le thème complexe de la morale et de la tradition religieuse. Dans Dernier maquis, présenté au Festival de Cannes en 2008 et choisi dans la sélection fribourgeoise, les personnages s’interrogent sur ce que signifie être un «bon musulman»: prier plusieurs fois par jour, apprendre le Coran par coeur, se faire circoncire ou encore porter le voile?
La foi à la dérive
En France, alors que la chasse aux terroristes présumés s’est intensifiée après la tuerie de Toulouse, le metteur en scène Philippe Faucon, d’origine marocaine, s’interroge sur le rapport existant entre le fanatisme et l’exclusion sociale. Dans son dernier film, La désintégration, il raconte comment trois jeunes émigrés sans travail ni perspectives sont enrôlés par un extrémiste islamiste qui les pousse à s’écraser contre le siège des Nations Unies au volant d’une voiture bourrée d’explosifs.
Indépendamment de la simplification du problème, Philippe Faucon souligne le pouvoir de l’instrumentalisation de la foi. «Les religions monothéistes représentent un phénomène ambigu à la double nature», relève Mariano Delgado.
«D’une part, leur universalité se définit au travers de la promotion de la paix et de la justice mais d’autre part leur absolutisme les conduit à des dérives violentes, comme cela a été le cas autrefois pour la religion catholique avec les croisades ou l’inquisition», précise le professeur de théologie.
Cette contraposition entre le bien et le mal, on la retrouve aussi dans les films contemporains. Elle puise ses origines dans les délicats équilibres politiques qui, durant des siècles, ont géré les rapports entre l’Orient et l’Occident. Et, si le cinéma européen semble être parvenu à se libérer des stéréotypes liés à l’image d’un «Arabe conquérant», le thème de l’islam reste lourd de signification et continue à refléter l’imagination collective entre revendication, fascination et défiance.
De 350’000 à 400’000 musulmans de plus de 100 nationalités résident actuellement en Suisse. Environ 12% d’entre eux sont Suisses.
Le taux des musulmans en Suisse a grimpé de 2,2% en 1990 à 4,3% en 2000, année du dernier recensement fédéral dont les résultats ont été publiés. Aujourd’hui, leur pourcentage est estimé à 4,5% de la population.
La majeure partie des musulmans résidant dans la Confédération provient de l’ex-Yougoslavie (56%) et de la Turquie (20%).
En Suisse, il existe quatre mosquées avec un minaret et environ 200 lieux de prière islamistes pour la plupart situés dans les centres culturels.
Lors de la votation fédérale du 29 novembre 2009, le peuple et les cantons suisses ont approuvé une modification constitutionnelle sur l’interdiction de construire de nouveaux minarets en Suisse. Le texte a été approuvé par 57,5% de oui.
En mars 2012, le parlement suisse a repoussé une motion présentée par l’UDC qui demandait l’interdiction d’utiliser les transports publics, l’accès à certains édifices et celle de s’adresser aux autorités à toute personne ayant le visage couvert.
Au Tessin, une initiative contre le port de la burka a recueilli plus de 10’000 signatures et sera soumise à la votation populaire.
L’UDC examine actuellement la possibilité de lancer une telle initiative également sur le plan fédéral.
En 2012, le Festival international du film de Fribourg (FIFF) a consacré une section spéciale à l’image de l’islam en Occident.
Sept films y ont été présentés, soit:
DERNIER MAQUIS de Rabah Ameur-Zaïmeche, France-Algérie, 2008
HADEWIJCH de Bruno Dumont, France, 2009
ICI ON NOIE LES ALGERIENS de Yasmina Adi, France, 2010
LA DESINTEGRATION de Philippe Faucon, France, 2011
LE DESTIN (Al-massir) de Youssef Chahine, France-Egypte, 1997
MY BEAUTIFUL LAUNDRETTE de Stephen Frears, Grande-Bretagne, 1985
PIERRE ET DJEMILA de Gérard Blain, France, 1986
(Traduction de l’italien: Gemma d’Urso)
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