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Les créationnistes ne désarment pas

Le Jardin d'Eden, «comme pour de vrai». Disneyland ? Non, le musée de la création à Petersburg, dans le Kentucky. Robert Huber, Lookatonline

Pour certains, Dieu a créé le monde en six jours, 4400 ans avant d'y envoyer son fils Jésus-Christ. Pour d'autres, c'est Sa main qui préside à la sélection des espèces. 200 ans après Darwin, les créationnistes ne désarment pas. Ni en Amérique, ni en Europe, ni en Suisse.

Au commencement, Charles Darwin lui-même était créationniste – ou plutôt adepte de l’intelligent design, comme on dirait aujourd’hui. En énonçant la théorie de la sélection naturelle, il parle d’un «grand sélectionneur», qui, à l’image des horticulteurs ou des éleveurs, choisit les meilleures espèces pour les faire prospérer.

Mais plus il avance dans ses découvertes et moins le naturaliste britannique trouve de preuves de l’existence de ce grand sélectionneur. Au point d’écrire un jour de 1844 à son ami Joseph Hooker: «Je suis presque convaincu que les espèces ne sont pas immuables. C’est comme d’avouer un meurtre».

Meurtre de Dieu, dont Darwin n’ose guère alors s’ouvrir à son entourage. «Quand on a une femme qui est membre du Credo unitarien, une des sectes les plus strictes de l’Angleterre protestante, et qu’on adore sa femme, ce ne sont pas des choses dont on parle le soir à table», résume André Langaney, généticien, spécialiste de l’évolution et professeur à l’Université de Genève.

Menaces sur l’Europe

Pourtant, 150 ans après la publication de L’origine des espèces, certains refusent toujours d’admettre ce que la science tient pour évident. Depuis quelques années, les différentes formes de créationnisme semblent même faire un retour en force.

Au point d’inquiéter le Conseil de l’Europe. En juin 2007, le socialiste français Guy Lengagne, présente, au nom de sa Commission de la culture, de la science et de l’éducation, un rapport qui dénonce en termes plutôt alarmistes les tentatives d’infiltration des écoles du continent par les milieux créationnistes.

«Le combat contre la théorie de l’évolution émane le plus souvent d’extrémismes religieux proches de mouvements politiques d’extrême droite», note le rapport, qui voit là «une menace directe contre la démocratie», que les tenants du créationnisme strict «souhaitent remplacer par la théocratie». Rien que ça…

Refusé dans un premier temps par l’Assemblée parlementaire, ce rapport n’a été accepté qu’en deuxième lecture. «Mais on n’a pas souhaité prendre de mesures ou édicter une réglementation. On est resté sur une sorte de match nul, comme si on avait fait du moitié-moitié à la vaudoise», note Claire Clivaz, théologienne à l’Université de Lausanne.

Des mesures, cette professeur en Nouveau Testament et littérature chrétienne ancienne et ses collègues ont décidé d’en prendre, en mettant sur pied six soirées de formation qui fourniront aux enseignants des arguments pour répondre aux thèses créationnistes.

«On voit parfois chez nous des réactions d’élèves qui s’insurgent contre les théories de Darwin au nom de la religion, même si c’est plus rare qu’en France», note Claire Clivaz.

Dieu comme hypothèse

Pour autant, la théologienne ne remet pas en cause la liberté de croyance, qui en Suisse est garantie par la Constitution. Mais pour elle, «là où ça pose problème, c’est à partir du moment où on donne un poids politique, institutionnel à des théories qui veulent se donner des airs de concurrence avec des théories scientifiques».

Pour André Langaney également, la cause est entendue: Darwin et la Genèse ne parlent pas de la même chose. L’attitude religieuse est affaire de foi, alors que l’attitude scientifique est affaire de doute. La foi n’a donc rien à faire en science, où tout doit pouvoir être remis en question.

Et de rappeler cette anecdote: lorsqu’en 1796, Pierre Simon de Laplace est le premier à émettre l’hypothèse de la naissance du système solaire à partir d’un nuage de gaz et de poussières en rotation, Napoléon salue son ouvrage, mais fait remarquer au savant qu’on n’y trouve pas trace de Dieu. Laplace lui répond alors: «Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse».

«Je le dirai autrement, ajoute André Langaney: Dieu est une hypothèse coûteuse, et forcément non scientifique, puisqu’on n’a pas la moindre preuve matérielle de son existence».

Question de sens

Ce qui n’a jamais empêché les croyants de croire. Mais pourquoi ce regain de vigueur du créationnisme aujourd’hui ?

Claire Clivaz y voit, parmi d’autres hypothèses, un effet de ce que l’on nomme le politiquement correct. «Nous sommes dans une époque où l’on n’accepte plus les discours d’autorité, du style ‘voilà le professeur machin, il sait, il dit, c’est vrai’…», avance-t-elle. Donc, si l’évolution n’est qu’une théorie, on admet, pour ne vexer personne, qu’elle en vaudrait bien une autre.

Mais pour la théologienne, ce pourrait aussi être «un jeu d’écho entre le fait que l’on a l’impression que les ressources du monde arrivent à leur terme et le besoin de se questionner sur le début. Car s’il y a eu un début, il doit y avoir un sens au fait qu’il va y avoir une fin».

«Les gens ont peur, ils sont très solitaires, note lui aussi André Langaney. Et les sectes, en particuliers les sectes créationnistes leur offrent un contexte rassurant, et des liens affectifs qu’ils n’ont pas dans la vie courante».

L’homme en effet vit mieux avec des certitudes qu’avec des doutes. «Le peuple veut des savants, il ne veut pas des scientifiques», conclut le généticien.

swissinfo, Marc-André Miserez

Le créationnisme est particulièrement développé aux Etats-Unis. Selon un sondage, en juillet 2005, 64% des Américains étaient favorables à l’enseignement de l’intelligent design en plus de la théorie de l’évolution, et 38% étaient même partisans de l’abandon total de celle-ci dans les écoles publiques.

Contre. Dans les cinq dernières années, l’Italie, la Serbie, les Pays-Bas et la Pologne ont vu des ministres prendre position en faveur du créationnisme et de son enseignement.

En Turquie, les thèses créationnistes apparaissent dans certains manuels scolaires et 75% des lycéens ne croiraient pas à l’évolution.

Offensive. C’est de Turquie qu’est partie l’offensive d’Adnan Oktar, alias Harun Yahya, personnage sulfureux lié aux milieux créationnistes américains, auteur prolixe et défenseur de la création divine au nom du Coran.

Imposture. En 2007, il fait parvenir à des milliers d’établissements scolaires français, belges, espagnols et suisses son Atlas de la Création, qui prétend dénoncer «l’imposture» des théories de Darwin.

Prison. En mai 2008, Oktar a été condamné à trois ans de prison dans son pays «pour avoir créé une organisation illégale à fins d’enrichissement personnel». L’affaire est en appel.

Après examen, le livre d’Harun Yahya a été rapidement retiré des bibliothèques scolaires. Ici comme ailleurs, on a jugé qu’il n’avait pas la rigueur exigée d’un ouvrage d’enseignement.

Le créationnisme n’en a pas moins failli faire son entrée dans les écoles bernoises, via un manuel de sciences naturelles, où la distinction entre science et religion n’était pas suffisamment claire. Les autorités ont fait modifier les passages incriminés.

Initiative. L’association ProGenesis veut soumettre au vote l’idée d’enseigner la création à l’école en plus de Darwin. Elle lancera une initiative populaire. Certains politiciens conservateurs ont déjà annoncé leur soutien.

Communautés. La Suisse compte quelque 1400 communautés ou églises évangéliques. A raison de 100 à 150 membres chacune, cela fait entre 140 et 210’000 fidèles, le plus souvent très engagés, mais pas obligatoirement adeptes du créationnisme pur et dur.

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