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«Je crains un système bancaire à deux vitesses»

Pour Alexandre Zeller, le plan de sauvetage «présente un potentiel de gain important».

Alexandre Zeller, nouveau patron de la banque privée HSBC à Genève, analyse le plan de sauvetage d'UBS. La Banque cantonale vaudoise qu'il dirigeait a connu une situation semblable lorsqu'elle a été sauvée par l'Etat de Vaud en 2003.

swissinfo: Selon vous, est-ce que ce plan de sauvetage est un bon plan ?

Alexandre Zeller: On aurait préféré s’en passer, mais ce plan est raisonnable. Sortir les mauvais crédits immobiliers américains du portefeuille d’UBS assainit la situation. La Banque nationale suisse (BNS) qui va gérer ces crédits peut se permettre de patienter.

Le plan est bon, car il présente un potentiel de gain important. Dans nombre de crises, on s’est rendu compte que des actifs très dépréciés reprennent de la valeur avec le temps.

swissinfo: Le plan Paulson a pourtant montré que le soutien de l’Etat n’a pas rassuré les marchés…

A.Z.: Ce n’est pas tout à fait la même chose. Le plan Paulson est un plan global pour l’ensemble de l’économie. En Suisse, on parle d’un plan pour une banque qui a un problème de liquidités plutôt que de fonds propres.

swissinfo: La BCV que vous dirigiez a connu une situation semblable en 2003…

A.Z.: Il y a à la fois une grosse similitude et une grosse différence. La similitude est que le renforcement du capital par l’Etat de Vaud s’est effectué sous forme de bons de participation (1,25 milliard de francs). C’était des fonds propres entrant dans le capital de la banque, avec le prélèvement d’un intérêt fixe.

Dans le cadre de l’UBS, on parle d’un emprunt convertible de 6 milliards avec un coupon au prix du marché de 12,5%, transformé en actions après 30 mois.

La différence entre les deux interventions étatiques est que l’UBS se défait des crédits à risques (54 milliards de francs). A l’époque du sauvetage de la BCV, des voix poussaient dans ce sens. Nous avions préféré garder nos crédits compromis et les gérer nous-mêmes. Nous pensions avoir assez de provisions et pouvoir profiter du potentiel d’un retournement de situation. Cela s’est révélé conforme à nos prévisions.

swissinfo: L’intervention de l’Etat ne fausse-t-elle pas la concurrence ?

A.Z.: Cette distorsion de la concurrence n’est pas si énorme. Il y a pesée d’intérêts entre le rôle de l’UBS dans l’économie suisse et cette entorse à la concurrence. Objectivement l’intérêt de la place financière l’emporte. Tout le monde en profite, les banques cantonales comme les filiales de banques privées étrangères.

Plus globalement, au niveau mondial, une tendance se dessine avec l’apparition de deux catégories de banques: celles qui ont reçu une aide étatique ou qui ont été partiellement nationalisées, et celles qui n’en ont pas reçu.

Des clients commencent à dire que les banques ainsi soutenues paient des intérêts plus favorables. Potentiellement, il y a là un début de distorsion de concurrence. Je crains un glissement vers un système bancaire à deux vitesses, avec cette «prime à la médiocrité» encourageant les établissements les moins bien gérés.

swissinfo: Les banques cantonales bénéficient de la situation avec des milliers de comptes ouverts et des centaines de millions d’argent frais…

A.Z.: On assiste à un retour des clients vers des établissements plus sûrs, mais c’est aussi un défi que de gérer ces liquidités à court terme. Cela peut conduire à des situations délicates, soit en gérant ces fonds de façon trop conservatrice, soit en prenant des risques inconsidérés.

swissinfo: Faut-il augmenter la garantie de couverture, actuellement fixée à 30’000 francs ?

A.Z.: La garantie est assurée par un fonds de couverture alimenté par toutes les banques. Il est actuellement de 4 milliards. On peut relever le montant de façon raisonnable. Mais qui paiera la facture, le système bancaire ou l’Etat ? Si l’on triple la couverture, il faut trouver 8 milliards.

swissinfo: Faut-il punir les responsables, leur faire rendre leur bonus et supprimer les parachutes dorés ?

A.Z.: Il faut analyser si la politique de risque fixée par les conseils d’administration a été respectée. Mais cela va être très difficile à démontrer. A mon avis, il n’y a pas de raisons de fixer des bonus quand il y a pertes.

Rétroactivement, c’est plus délicat. On peut certes faire appel à la conscience morale des banquiers. Mais l’Etat sera-t-il aussi d’accord de rembourser les impôts prélevés sur les bonus ? A l’avenir, on va certainement vers la fixation de bonus définis sur un plus long terme.

swissinfo: La crise actuelle n’est pas aussi le reflet du déclin américain et de la montée en puissance de l’Asie et du Golfe ?

A.Z.: Avec le recul du temps, on constatera que les places financières d’Asie et des pays du Golfe ont pu acquérir des parts de marché à plus ou moins bon compte. Pour les Etats-Unis, c’est une remise en question du système économique et financier. Par contre, il ne faut pas sous-estimer la capacité de rebond des USA. On néglige l’effet de taille.

swissinfo: La prochaine crise sera celle des cartes de crédit ?

A.Z.: Il y a là de façon évidente un risque potentiel de crise. On distinguera là encore entre les banques qui ont su anticiper le danger et les autres. Les banques bien gérées l’ont fait il y a un an. La différence est que les dettes sur les cartes de crédit sont plus faciles à contrôler: montant connu, dettes à 30 ou 90 jours. Mais les crises sont cycliques, et on en verra d’autres.

swissinfo: Est-on sorti de l’œil du cyclone ?

A.Z.: Je ne pense pas. Il y a encore toute la problématique des hedge-funds, ces fonds alternatifs qui doivent encore montrer leur vrai niveau. L’échéance de fin d’année va nous donner un signal plus clair.

Interview swissinfo: Olivier Grivat

Agé de seulement 47 ans, le Vaudois Alexandre Zeller appartient à la nouvelle génération de gestionnaires financiers désormais aux commandes.

Après quinze ans passés au Credit Suisse, il a dirigé pendant six ans la deuxième banque cantonale de Suisse, en tant que président de la direction générale de la BCV, nommé en pleine période de tempête. Depuis cet été, il a repris à Genève la tête de la HSBC Private Bank, la troisième banque privée de Suisse.

En 2003, le sauvetage de la BCV par l’Etat de Vaud s’est chiffré à 2 milliards de francs pour 600’000 Vaudois, soit 3333 francs par habitant.

A titre comparatif, à Genève, le naufrage de la BCGe a pu être évité en 2000, grâce à une intervention de l’Etat qui s’est montée à 11’100 francs par habitant, soit 5 milliards de francs pour quelque 450’000 habitants.

Aux Etats-Unis, le plan Paulson de 700 milliards de dollars équivaut à une participation publique de 2333 dollars (2683 francs) par habitant pour les 300 millions d’Américains.

Et en Suisse, si les 68 milliards prévus pour renflouer UBS sont effectivement dépensés, il en coûterait 9066 francs à chacun des 7,5 millions d’habitants du pays.

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